Vous nous dites que ces dysfonctionnements sont liés à l’obsolescence du code minier et que vous prévoyez très prochainement une refonte de celui-ci afin de permettre une meilleure transparence et une meilleure information. Soit, mais dois-je rappeler que c’est cette majorité parlementaire qui a fait voter en 1994 l’abrogation de l’enquête publique minière et que vous avez coutume de renvoyer à d’autres textes certaines décisions, ce qui ne nous donne aucune visibilité globale ni aucune garantie concrète sur les futures décisions ? Autrement dit, les choses sont faites à moitié.
Nous aurions pu saisir l’occasion offerte par l’examen de ces propositions de loi, d’autant qu’elles étaient consensuelles, pour répondre aux problèmes posés, mais nous sommes malheureusement passés à côté de cette opportunité.
Ainsi, les propositions de loi initiales ont été édulcorées par les travaux des commissions, d’abord à l’Assemblée nationale puis au Sénat, perdant de leur force. Nous sommes passés d’une interdiction d’exploration et d’exploitation des gaz et huiles de schiste à une formulation ambiguë. Nous voyons bien qu’il s’agit avant tout de gagner du temps en espérant que les esprits s’apaisent et préserver la possibilité de revenir sur le sujet. Les manifestants qui sont aujourd’hui devant nos portes ne sont pas dupes de la manœuvre et sont décidés à ne pas vous laisser faire.
Nous sommes opposés à la réécriture par la commission de l’économie du Sénat de l’article 1er. Si nous reconnaissons tous que la fracturation hydraulique est dangereuse pour l’environnement, chacun l’a dit ici, pourquoi l’autoriser à des fins de recherche ? Cela fait trente ans qu’on fait de la recherche sur le sujet et cela fait trente ans qu’on utilise en réalité cette technique. Cette réécriture traduit parfaitement la contradiction qui existe entre le discours et les dispositions concrètes de la loi. Admettez-le, sous couvert de recherche, votre intention est de légaliser une pratique, que nous souhaitons interdire, en jouant la montre !
L’article 2 pose également problème. Il reste, en effet, difficile de croire qu’il est impossible d’abroger l’ensemble des permis de recherche au motif que ceux-ci sont muets pour l’administration, et ce alors même que le bureau qui s’occupe de cette question a été capable de désigner, selon le rapport rédigé à l’Assemblée nationale, les seize permis qui posent problème. Dans son intervention, Nicole Bricq a très précisément indiqué ce que contiennent ces documents.
On a essayé de nous faire croire que cette réécriture répondait au principe à valeur constitutionnelle d’intelligibilité et d’accessibilité de la loi. Force est de constater que l’objectif n’est pas atteint puisque la nouvelle rédaction est beaucoup moins claire et laisse la porte ouverte au maintien de permis de recherche d’exploitation d’huiles et de gaz de schiste, contrairement aux ambitions affichées. Il faut admettre que, en l’état, la présente proposition de loi ne réglera pas la question de manière satisfaisante et pérenne, surtout lorsque l’on sait que les entreprises titulaires des permis n’imaginent pas un seul instant abandonner cette activité. Il est même déjà question de nouvelles techniques. Je pense aux fracturations par azote, par air comprimé ou par propane, qui ont été évoquées en commission ce matin.
De plus, cette nouvelle écriture inverse la charge de la preuve : nous passons d’une abrogation de l’ensemble des permis de recherche pour les hydrocarbures liquides ou gazeux non conventionnels à un principe d’autorisation de ces permis, sauf si les industriels déclarent utiliser la fracturation hydraulique. Notons que rien n’est prévu pour évaluer l’impact environnemental du florilège de techniques et sous-techniques envisagées par les industriels depuis que le sujet a été porté au grand jour.
Nous regrettons, par ailleurs, la suppression de l’article 3, qui prévoyait, avant l’octroi du permis, non une simple consultation sur internet, comme l’autorise l’ordonnance du mois de janvier, mais bien une enquête publique, un débat public et une étude d’impact.
Nous ne pouvons accepter que l’enquête publique soit simplement demandée dans le cas de projets réalisés à des fins scientifiques, ainsi que le prévoit l’article 1er. Au vu de la situation actuelle, il est clairement urgent de réaffirmer la nécessité de transparence en ce qui concerne l’utilisation du sous-sol, patrimoine de la nation au sens de l’article L. 110-1 du code de l’environnement.
Enfin, l’article 4, avec la fourniture d’un rapport annuel aux parlementaires, notamment sur l’évolution des techniques, confirme que le Gouvernement ne souhaite pas se priver dans le futur de la possibilité d’explorer et d’exploiter ces hydrocarbures.
Tout cela s’inscrit dans le droit fil du pré-rapport présenté par la mission d’information interministérielle installée le 4 février dernier, qui affirme la nécessaire compatibilité entre environnement et exploitation des huiles et gaz de schiste afin de contribuer à l’émergence et à la formation d’opérateurs et de sous-traitants capables de se positionner sur le marché mondial. Total n’a-t-il pas annoncé le 13 mai dernier avoir pris des participations dans des concessions de gaz de schiste en Pologne ?
Pour une question de méthode, il aurait peut-être été intéressant d’attendre la fin de toutes les missions et le rendu des rapports avant de débattre puisque ces travaux sont censés nous éclairer…
Au final, cette loi ne constitue aucunement une interdiction de l’exploitation du gaz et des huiles de schiste, comme cela était prévu initialement. Le texte qui nous est présenté laisse la porte ouverte à tous les excès, à toutes les pratiques, au plus grand bénéfice des sociétés pétrolières.
Contrairement à ce que l’on aurait pu espérer initialement, aucun consensus n’a pu émerger dans notre assemblée sur cette question importante, ce que nous regrettons. À défaut, bien entendu, de l’adoption des amendements que nous vous présenterons, mes chers collègues, nous voterons contre ce texte.