Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, les révoltes du monde arabe et la flambée des prix du pétrole et du gaz font peser des incertitudes sur notre indépendance énergétique. Si des solutions alternatives doivent être recherchées, les ambitions du Grenelle de l’environnement ne doivent pas être pour autant sacrifiées.
Certains industriels estiment que les gaz et huiles de schiste constituent, pour demain, la panacée. Il est indéniable que ceux-ci, dont nous n’avons pas encore une bonne connaissance des ressources contenues dans notre sous-sol, peuvent présenter, pour l’avenir, un intérêt pour l’indépendance énergétique de notre pays, mais cela ne doit pas se faire à n’importe quel prix.
Cette question suscite incontestablement des inquiétudes, mais elle est particulièrement difficile à appréhender du fait des enjeux économiques et énergétiques. En effet, l’exploitation des gaz et huiles non conventionnels dans le monde serait susceptible de modifier profondément et durablement la carte de la production d’énergie.
L’Agence internationale de l’énergie estime que les ressources exploitables de gaz non conventionnels pourraient être supérieures aux réserves prouvées de gaz conventionnels, ce qui pourrait sans aucun doute avoir des répercussions géopolitiques considérables, puisque les gaz non conventionnels semblent beaucoup mieux répartis que les gaz conventionnels dans la mesure où seuls trois pays – la Russie, l’Iran et le Qatar – détiennent plus de la moitié des réserves mondiales.
Si la France a beaucoup investi dans le nucléaire et l’hydraulique et, plus récemment, dans les énergies renouvelables, elle a toujours besoin de gaz naturel, notamment pour remplacer le charbon qui nous sert à produire l’électricité en période de pointe. Les gaz et huiles de schiste présentent donc, de façon évidente, un potentiel économique important, en même temps qu’une possibilité de réduire notre dépendance énergétique.
Toutefois, pour exploiter ces mines d’hydrocarbures non conventionnels, la seule technique connue à ce jour présente des risques non encore calculés ou étudiés, et pourrait entraîner des nuisances en termes de pollution des nappes souterraines et des sols, de dégradation du paysage, de bruit et d’augmentation du trafic routier.
Ce qui est incriminé, ce ne sont pas les gaz et huiles de schiste en eux-mêmes, mais c’est bel et bien la technique d’extraction par fracturation hydraulique, eu égard, d’une part, aux énormes quantités d’eau utilisées – de l’ordre de 15 000 mètres cubes par forage horizontal – et, d’autre part, à la présence d’additifs chimiques dans le fluide de fracturation, ce qui pose un sérieux problème que nous ne pouvons occulter.
Même si certaines technologies utilisées sont en fait, comme dans l’exploitation américaine, relativement anciennes, notre capacité collective à maîtriser les risques fait aujourd’hui débat. Cependant, nous n’avons pas l’assurance que d’autres nouvelles technologies existent ; en tout cas, rien ne le prouve aujourd’hui. Il n’est donc pas pensable de faire en France de l’exploitation de gaz et huiles de schiste au moyen de procédés d’extraction qui auraient une incidence écologique désastreuse. Ce serait un retour en arrière par rapport à tout ce que nous avons fait et voulu ensemble.
Les produits chimiques utilisés pour la fracturation hydraulique ont-ils un impact sur la ressource en eau potable ? Peut-on les sélectionner pour éliminer ceux qui sont dangereux ? Est-il possible ou non d’avoir une exploitation propre et sûre, réalisée sous le contrôle rigoureux de l’administration et dans le cadre d’une réglementation française particulièrement protectrice de l’environnement ? En outre, la sécheresse que nous connaissons cette année nous fait prendre conscience que la ressource en eau est une denrée de plus en plus précieuse, car de moins en moins abondante.
Toutes ces questions sont posées ; elles sont en débat, un débat dont on voit bien qu’il fait écho à de très fortes inquiétudes.
Des recherches scientifiques doivent être menées à bien pour que l’on puisse avoir des réponses à ces questions. Les industriels doivent pouvoir prouver qu’ils peuvent faire autrement qu’une exploitation à l’américaine, et qu’une exploitation propre est possible. Si tel n’est pas le cas, nous n’accepterons pas ce type d’exploitation en France ; ce sont des risques que nous n’avons pas le droit de prendre pour nos territoires et nos populations.
Les riverains sont, quant à eux, particulièrement mobilisés. Je pense notamment à ceux du Bassin parisien, principalement de mon département de Seine-et-Marne, qui sont déjà familiers de l’exploitation pétrolière : 80 % de ce territoire est concerné par des demandes de permis d’exploration d’huiles de schiste en cours d’instruction ou déjà attribués. On peut donc aisément comprendre l’inquiétude et la mobilisation des Seine-et-Marnais.
Si les extractions de pétrole ne sont pas nouvelles en Seine-et-Marne, les puits exploités depuis une trentaine d’années sont quasiment épuisés. Il est donc nécessaire pour les entreprises pétrolières de trouver d’autres approvisionnements. Les forages de gaz et huiles de schiste coûtent trois fois plus cher, mais peuvent contenir dix à vingt fois plus de pétrole qu’un forage vertical classique.
Par ailleurs, le code minier apparaît aujourd’hui comme insuffisant au regard des exigences de notre société et de celles des riverains, ainsi que de la Charte de l’environnement. Il ne répond pas, en effet, au désir légitime de transparence exprimé par la population et par beaucoup d’élus des territoires concernés. Nous attendons donc du Gouvernement qu’il s’engage à inscrire à l’ordre du jour des travaux du Parlement un projet de loi visant à moderniser le code minier dans un délai raisonnable.
Pour enrichir le débat, le Gouvernement a heureusement mis en place une mission de haut niveau, menée conjointement par le Conseil général de l’industrie, de l’énergie et des technologies et par le Conseil général de l’environnement et du développement durable. Un rapport définitif doit être rendu incessamment. Peut-être pouvez-vous nous en dire plus à ce sujet, madame la ministre ?
Parallèlement, une mission parlementaire a été lancée. Ces travaux devraient nous permettre d’avoir un éclairage complet du sujet.
Pour l’heure, bien évidemment, au nom du principe de précaution consacré par la Charte de l’environnement, nous demandons que tout projet d’exploitation par la technique de la fracturation hydraulique soit abandonné. À l’évidence, il n’est pas pensable que l’exploitation des gaz et huiles de schiste soit matière à un quelconque recul environnemental, qu’il s’agisse du mix énergétique, de la protection de l’eau, des paysages ou encore du sol. Mais toute question mérite d’être prise en considération, et tel est l’objectif de la mission. Je vous remercie, madame la ministre, des éléments rassurants que vous ne manquerez pas de nous donner en la matière.
Au travers du Grenelle de l’environnement et de la Charte de l’environnement, nous avons manifesté un engagement fort en faveur de la protection de notre environnement et de la santé humaine. C’est la raison pour laquelle nous avons estimé que le recours à des technologies présentant des risques pour l’environnement, la santé, l’identité de nos territoires et allant à l’encontre de nos valeurs devait être interdit.
Tel est l’objet de la proposition de loi que nous examinons aujourd’hui, excellemment rapportée par notre collègue Michel Houel, qui a donné à la Haute Assemblée un certain nombre d’éclairages essentiels.
Dans un souci de transparence et de contrôle, nous approuvons la remise annuelle au Parlement d’un rapport du Gouvernement portant sur l’évolution des techniques d’exploration et d’exploitation, la connaissance des sous-sols en matière d’hydrocarbures liquides et gazeux, la conformité du cadre législatif et réglementaire à la Charte de l’environnement dans le domaine minier, les conditions de mise en œuvre d’expérimentations réalisées aux seules fins de recherche scientifique sous contrôle public.
Enfin, nous approuvons l’institution d’une commission nationale chargée de l’orientation, du suivi et de l’évaluation des techniques d’exploration et d’exploitation des hydrocarbures liquides et gazeux, qui réunira des représentants de l’État, des collectivités territoriales, des associations, des salariés et des responsables des entreprises concernées.