Nous en arrivons à cet article 7, qui nous laisse, comme vous venez de l'entendre à travers les propos de mon collègue Roland Muzeau, un goût d'inachevé, pour ne pas dire un goût amer.
En effet, vous créez un droit nouveau, ce qui en soi devrait nous satisfaire. Mais, sous couvert de ce droit qui prend la forme d'une aide aux personnes âgées étrangères ayant un pied dans deux mondes - celui où elles ont travaillé et acquis durement des droits à la retraite et l'accès aux soins, c'est-à-dire la France, et celui où vit bien souvent leur famille, c'est-à-dire leur pays d'origine -, cet article 7 va permettre au Gouvernement de réaliser des économies. En même temps, ce dernier répond à la pression des gestionnaires pour faire de la place dans les foyers, sans pour autant reconnaître à ces vieux migrants le droit d'aller et venir, ce qui impliquerait des droits à la personne et non au lieu de résidence.
Vous proposez à ces personnes appelées couramment « chibani », ce qui signifie en arabe littéraire « cheveux blancs », envers qui la France a pourtant un devoir de mémoire et de vérité, une aide au retour qui ne répond en rien à leur exigence d'un véritable droit attaché à leur personne.
Il n'est pas besoin ici de rappeler que leur va-et-vient permanent résulte de notre histoire et, qu'une fois arrivés en France pendant les Trente Glorieuses, alors que notre pays avait besoin de bras pour se reconstruire, ils ont travaillé dur dans des conditions précaires et ont été bien souvent spoliés par des entrepreneurs peu scrupuleux qui n'ont pas hésité, pour certains, à les embaucher au noir, et donc à ne pas verser la totalité des cotisations de retraite. Ces travailleurs migrants ont mené une vie effacée et empreinte de solitude, car certains d'entre eux ont laissé leur famille au pays compte tenu des règles d'immigration qui prévalaient à cette époque.
Aujourd'hui, ces chibani perçoivent les minima sociaux et sont pour la grande majorité d'entre eux dans un état de santé précaire. Ces hommes, qui ont toujours pensé rejoindre leur famille, n'arrivent pas à quitter définitivement la France, pour laquelle ils ont un profond attachement, pour retourner dans un pays qui a beaucoup changé. D'autant, et c'est bien normal, qu'ils ne veulent pas renoncer à l'accompagnement sanitaire et social dont ils ont besoin et auquel ils ont droit !
Mais contre toute attente, monsieur le ministre, le Gouvernement a pris des mesures allant à l'encontre de ce que ces chibani réclament.
En premier lieu, comme mon collègue Roland Muzeau vient de le rappeler, lors de la discussion très récente du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2006, soit en décembre 2005, vous avez fait adopter, dans le souci de réaliser des économies, la suppression d'une disposition du code de la sécurité sociale qui permettait d'exporter le minimum vieillesse, en prétextant le droit européen. La France a ainsi inscrit le minimum vieillesse dans la liste des prestations ne pouvant être exportées, alors que l'Europe ne l'y obligeait pas !
Aujourd'hui, c'est ce même souci de réduire à tout prix les dépenses de l'État et, dans le même temps, de libérer des places dans les foyers de l'ex-Sonacotra, dénommée aujourd'hui « Adoma », qui sous-tend cet article, et ce au détriment des chibani.
Vous proposez en effet une allocation équivalente à l'aide au logement des bénéficiaires de telle sorte - je vous cite, monsieur le ministre - qu'« elle ne créera aucune charge nouvelle pour l'État », et vous leur supprimez leur minimum vieillesse !
En outre, cette allocation est restrictive, car les couples, les propriétaires, les personnes dépourvues d'aides au logement, les vieux migrants ayant acquis la nationalité française et les ressortissants de l'Union européenne en sont exclus. Il s'agit donc d'une mesure discriminatoire !
Nous avons une autre inquiétude, peut-être la plus importante, mais j'espère que vous nous rassurerez avec cet amendement n° 290 déposé en dernière minute, monsieur le ministre. En effet, pour le moment, vous ne garantissez pas aux vieux migrants l'accès aux soins, auquel ils ont pourtant droit, dans la mesure où ils ne répondront plus à la condition de résidence de plus de six mois posée par le code de la sécurité sociale. Dans le texte initial, seul l'accompagnement en fin de vie est prévu.
Après s'être usés au travail chez nous, ils se voient interdire le droit de se faire soigner en France, mais ont le droit d'y mourir ! Cette aide sera bien sûr au choix du bénéficiaire, mais ce choix sera fait de manière irréversible, alors que le Gouvernement se réserve le droit d'y revenir dans trois ans.
Finalement, monsieur le ministre, il n'est plus question de reconnaissance, de justice et de progrès social, des thèmes qui pourtant, me semble-t-il, vous tenaient à coeur !
C'est plutôt la même logique discriminante que celle qui inspire la question des pensions des anciens combattants partiellement résolue grâce à la mobilisation autour du film Indigènes ! Dois-je le rappeler, la revalorisation proposée ne touche que la retraite du combattant ; quant à la décristallisation des pensions, que nous exigeons depuis des années, elle n'est toujours pas décidée.
À la lumière de ces constats, le groupe CRC a déposé un amendement afin que le rêve que ces hommes ont fait de vivre un jour avec une retraite digne aux côtés de leur famille devienne réalité. Nous insistons dans cet amendement sur leur droit à l'assurance maladie - nous serons donc très attentifs à l'amendement n° 290 - mais aussi sur le montant et la réversibilité de cette aide, tout en permettant au Parlement d'être partie prenante de cette disposition en supprimant la définition par décret des autres modalités d'application, concernant notamment le contrôle des conditions requises.