Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 7 novembre 2006 à 9h45
Quartiers en difficulté — Débat sur les travaux d'une mission d'information commune

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre société est en crise et ce n'est pas un fait nouveau. Cette crise perdure depuis bientôt trente ans et a atteint notre pays dans ses profondeurs, dans ses structures mêmes.

En découlent le chômage, la chute du niveau de vie de la plus grande partie de la population et l'accroissement des inégalités, puis - le processus est connu - l'apparition d'une société à plusieurs vitesses, où le plus grand nombre rencontre des difficultés croissantes dans l'accès aux soins, à la protection sociale, aux études et à la culture, au logement et à la sécurité.

Nous sommes aujourd'hui confrontés à une urgence sociale. Celle-ci, bien entendu, concerne en premier lieu les populations les plus exposées au mal-vivre de ce début de XXIe siècle - ce siècle qui aurait dû être, et pu être, conformément à nos rêves d'enfant, celui du progrès au service de tous. Mais elle concerne aussi, et surtout, notre société tout entière.

Les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment qu'il n'est pas possible de concevoir la nécessaire reconstruction des quartiers sans une refondation de notre société.

Mes chers collègues, la situation est grave, l'urgence est là, et tout légitimait la mise en place d'une mission d'information sur la situation dans les quartiers difficiles.

Toutefois, nous limiterions d'emblée la portée de cette mission si nous persistions à considérer qu'une solution, dans un tel environnement économique et social, existe à la seule échelle d'une ville ou d'un quartier.

Ces remarques préalables me semblent nécessaires afin d'apprécier à leur juste valeur les différentes politiques de la ville mises en place depuis 1982, dont nous ne sous-estimons aucunement l'utilité, mais que nous ne souhaitons pas isoler du contexte politique, économique et social, à l'échelle nationale.

Il faut parler clair ! Ce n'est pas la politique de la ville qui réparera à elle seule les dégâts de la politique de désertification industrielle ou de casse des services publics.

La politique nationale se trouve bien à l'origine de la montée des inégalités en France, qui se concrétise à présent au niveau local.

L'écart se creuse entre les communes riches et celles qui sont confrontées à de graves difficultés sociales. Comment accepter, et il s'agit pas là d'une caricature, qu'une ville comme Neuilly-sur-Seine, dont Nicolas Sarkozy a longtemps été le maire, n'accueille sur son territoire que 2, 5 % de logements sociaux, alors que dans cette commune près d'un habitant sur cinq paie l'ISF, contre un pour mille à Saint-Denis ?

Les inégalités en France sont là, puisque 60 % des salariés, tous secteurs confondus, gagnent moins de 1 600 euros nets par mois, et que 47 % des familles monoparentales disposent de revenus inférieurs au seuil de pauvreté avant le versement des diverses allocations.

Dès lors, comment ne pas percevoir le scandale que représente l'envolée du CAC 40, qui s'est accru de 50 % en 2005 - de combien augmentera-t-il en 2006 ? - au regard de la stagnation, voire de la régression des salaires, souvent rognés par l'augmentation des cotisations sociales ?

Les primes de départ de plusieurs millions d'euros versées à certains P-DG ne sont-elles pas autant d'insultes pour les milliers de salariés qui ne savent comment régler les factures de fin de mois ?

Les quartiers difficiles, ce sont avant tout des vies difficiles ; ils reflètent une société dure pour le peuple et généreuse pour ceux qui ont déjà beaucoup. Mes chers collègues, il faudra nous attaquer à ce système qui permet une croissance sans frein des produits du capital et bride les revenus du travail.

Ces quartiers, ces villes, sont avant tout victimes d'un système qui nie l'égalité et la justice sociale. Même si ce n'était pas son objet, la mission d'information s'est trouvée confrontée directement aux conséquences que la politique libérale menée depuis quatre ans entraîne pour la vie de nos concitoyens les plus défavorisés.

En témoignent les lois de finances qui, systématiquement, favorisent les plus hauts revenus, la baisse de l'impôt au profit des plus riches ou encore les réformes des retraites et de l'assurance maladie, qui sont de terribles régressions, puisque seuls les citoyens les plus aisés pourront vieillir dignement et se soigner dans de bonnes conditions.

Or qui a voté ces lois et ces budgets ? Chacun le sait dans cet hémicycle ! Quant aux lois de décentralisation libérales, elles cassent l'ossature des besoins publics, brisent l'unicité de la République et mettent en concurrence les territoires.

Comment lutter pour améliorer la situation dans certains quartiers dès lors que l'on accepte de jeter aux orties l'idée même de solidarité nationale ?

Nombreux sont ceux, sur toutes les travées de cet hémicycle, qui savent que les collectivités territoriales se trouvent dans l'impossibilité de faire face aux missions immenses qui leur ont été conférées, rappelez-vous, mes chers collègues, par les lois Raffarin !

Alors que beaucoup parlent d'effort national pour les quartiers en difficulté, c'est en réalité le chacun pour soi que la majorité du Parlement a voté, au Sénat comme à l'Assemblée nationale.

Or, selon nous, il ne peut y avoir deux discours, un pour les missions d'information et l'autre pour expliquer le vote sur des textes qui ont organisé une véritable restauration libérale dans notre pays.

Pour conclure ces remarques d'ordre général, comment améliorer la vie dans les quartiers difficiles ? Le « tout-privé » et la concurrence érigée comme principe sacro-saint vont à l'encontre des idées de reconstruction et même d'intérêt général.

Ainsi, la phase finale du décès de la poste est programmée. Mes chers collègues, croyez-vous qu'il s'agisse d'une bonne nouvelle pour les quartiers difficiles ?

La hausse vertigineuse des factures de gaz comme la privatisation de GDF constituent-elles de bonnes nouvelles pour les quartiers difficiles ?

L'anarchie croissante dans le domaine des télécommunications, la désintégration du service public de l'audiovisuel, les suppressions massives de postes dans l'éducation nationale constituent-elles de bonnes nouvelles pour les quartiers difficiles ?

Enfin, les menaces à peine voilées contre les services publics de transport constituent-elles de bonnes nouvelles pour les quartiers difficiles ?

Ces réformes de fond, encadrées par un processus de stigmatisation des populations concernées, des gens modestes, augurent mal d'une volonté de s'attaquer aux racines des problèmes, bien au contraire !

À partir de ce constat général, le groupe communiste républicain et citoyen avance des propositions qui susciteraient des effets immédiats, et dont certaines ont été retenues par la mission d'information.

Mes chers collègues, je souhaite vous rappeler les grands axes de nos propositions et certaines des mesures qui, selon nous, apporteraient une réponse cohérente aux difficultés des villes, des quartiers et des populations qui y vivent.

Premièrement, dans le domaine de l'emploi et du pouvoir d'achat, il est nécessaire de porter un coup à la précarité, dans le public comme dans le privé, ce qui doit commencer par l'abrogation du CNE, le contrat nouvelle embauche, et par l'augmentation du SMIC à 1 500 euros.

Nous proposons également de créer une allocation d'autonomie pour les jeunes âgés de 18 à 25 ans et de rendre immédiatement obligatoire l'égalité professionnelle et salariale entre les hommes et les femmes.

Deuxièmement, il faut lutter contre toutes les discriminations, dans le domaine du logement, de l'éducation, de l'emploi, des salaires, de la culture. Les sanctions contre les discriminations liées au sexe, aux origines, aux lieux d'habitation, aux opinions ou aux croyances devront être renforcées.

Il faut, une fois pour toutes, accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections locales pour les citoyens étrangers non communautaires.

Troisièmement, il faut imposer un droit opposable au logement. Parmi les nombreuses propositions que le groupe CRC formule sur ce point, j'insiste sur l'absolue nécessité de construire 600 000 logements à loyers modérés sur cinq ans, des PLUS et des PLAI.

Il est impératif de tripler les sanctions contre les communes qui ne respectent pas l'obligation de 20 % de logements sociaux, et d'établir l'inéligibilité des maires qui refusent d'appliquer la loi SRU. Il est également nécessaire de rendre obligatoire la création d'un poste de gardien d'immeuble pour cent logements.

Quatrièmement, l'État doit de nouveau investir dans le financement des transports collectifs. La gratuité pour les demandeurs d'emplois, le désenclavement de quartiers aujourd'hui isolés et la lutte contre la déshumanisation de ce service public sont parmi nos principales propositions.

Cinquièmement, s'agissant de l'école et de la formation, il convient d'accroître l'accueil dès deux ans à la maternelle, de créer des postes de médecins, d'infirmières et de psychologues scolaires, de rendre obligatoire l'accueil des élèves en stage ou en formation en alternance dans les entreprises de plus de vingt salariés. Il faut encore renforcer le lien entre la famille et l'école, et revaloriser les bourses universitaires nationales. Ces propositions constituent certaines mesures d'urgence pour permettre l'accès à la formation. Je note que la politique des gouvernements Raffarin et Villepin, en place depuis 2002, a fait le contraire.

Sixièmement, il faut donner aux collectivités territoriales les moyens de faire face. La politique de contrat de ville menée dans les quartiers difficiles est de plus en plus directement supportée par les budgets des communes concernées.

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