Intervention de Yves Détraigne

Réunion du 7 novembre 2007 à 15h00
Chiens dangereux — Discussion d'un projet de loi, amendement 58

Photo de Yves DétraigneYves Détraigne :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte législatif d'initiative gouvernementale que nous examinons aujourd'hui s'inscrit dans une démarche identique à celle que ma collègue Françoise Férat et moi-même avons engagée.

Après le décès d'une fillette à Épernay le 27 août dernier, nous avons considéré qu'il était temps de nous saisir du problème et de proposer des solutions concrètes. La multiplication des accidents impliquant des chiens dangereux est une réalité et le règlement rapide de cette question est devenu une nécessité pour nos concitoyens.

Pour illustrer l'importance du problème, je voudrais simplement rappeler quelques éléments.

D'abord, entre le mois de juin 2006 et le mois d'avril 2007, le quotidien régional qui couvre les départements de la Marne et de l'Aisne a recensé neuf accidents graves causés par des chiens dangereux dans ces deux départements.

Ensuite, le jour même où les propriétaires de tels chiens manifestaient à Épernay contre la décision d'euthanasier l'animal responsable de la mort de la petite Maëlyne, une adolescente âgée de quatorze ans se faisait attaquer par deux molosses à une vingtaine de kilomètres de là, à Dormans.

Bien évidemment, j'ai conscience de l'emballement médiatique qui s'est emparé de la presse ces dernières semaines et qui a placé sur le devant de la scène les nombreux accidents impliquant des chiens dangereux. Mais cette médiatisation soudaine a eu au moins le mérite de donner l'écho nécessaire à la proposition de loi que ma collègue Françoise Férat et moi-même avons présentée, ainsi qu'au projet de loi de Mme la ministre de l'intérieur.

Comme cela vient d'être rappelé par Mme la ministre, par M. le rapporteur et par M. le rapporteur pour avis, la question des chiens considérés comme dangereux n'est pas récente. Une législation existe déjà sur ce sujet. Elle est contraignante, mais insuffisante. Elle est répressive, mais peu appliquée dans les faits.

Avec la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux, le législateur a, pour la première fois, tenté d'apporter une solution globale au problème. L'adoption de ce dispositif a été suivie par plusieurs textes législatifs, mais qui ne résistent malheureusement pas à l'épreuve des faits.

Ainsi, même si les statistiques indiquent une relative baisse des accidents survenus au cours des cinq dernières années, le problème demeure entier.

C'est sur la carence de la législation actuelle que nous souhaitons nous concentrer. En effet, l'arsenal législatif dont nous disposons est lacunaire sur un point majeur, la prévention des accidents, et sur son corollaire, l'indispensable responsabilisation des propriétaires de chiens.

C'est pourquoi, tout en conservant le volet répressif de la loi précédente, nous avons souhaité aller plus loin sur le plan de la formation des propriétaires, et ce dans le même esprit que celui qui a prévalu dans le projet de loi. Il est indispensable que les propriétaires de tels chiens retrouvent le sens des réalités et que l'on n'entende plus certains propos tenus lors de la manifestation d'Épernay, tels que « les chiens sont des êtres humains comme les autres » ou « je ne fais pas de différence entre mes enfants et ma chienne ». Pour ma part, de tels slogans me laissent quelque peu dubitatif...

C'est souvent d'un déficit de conscience, de connaissance et de formation que surviennent les accidents. Qui n'a pas croisé, dans sa commune, des jeunes gens à peine majeurs en compagnie de molosses que l'on n'oserait pas confier à un adulte ? S'ils sont mis entre les mains de personnes incapables de les contrôler, ces chiens peuvent devenir de véritables armes. La loi du 6 janvier 1999, que j'évoquais tout à l'heure, visait à les définir comme tels et à les recenser, mais elle était muette s'agissant de la responsabilité des maîtres. Or la mise en place d'une formation des propriétaires est aujourd'hui impérative.

Permettez-moi d'insister sur un point. Comme cela a été souligné, la majorité des accidents surviennent dans le milieu familial et touchent avant tout des personnes vulnérables. Les enfants et les personnes âgées sont souvent les premiers atteints et la gravité des blessures qui leur sont causées est accentuée par leur incapacité à se défendre. C'est pourquoi il est indispensable d'insister sur la formation et de considérer que seul un propriétaire conscient des risques potentiels de son animal pourra l'introduire dans le milieu familial.

Nous ne sommes pas de ceux qui pensent qu'il existe non pas des chiens dangereux, mais uniquement des maîtres dangereux. Si les auteurs de la loi du 6 janvier 1999 relative aux animaux dangereux et errants et à la protection des animaux ont jugé utile de définir les chiens dangereux de manière très précise, c'est bien parce que les races concernées ont un degré de dangerosité supérieur aux autres, ne serait-ce qu'en raison de leur force musculaire.

Mais, et nous sommes les premiers à le reconnaître, c'est bien l'usage qui est fait d'un chien qui peut le rendre plus dangereux encore. La manière de se comporter avec son animal de compagnie et de le dresser est déterminante. Si la capacité du chien à contenir son agressivité doit être encouragée, l'aptitude du maître à contrôler son animal est la priorité. C'est pourquoi, dans la proposition de loi que nous avons présentée, nous insistons sur la nécessité de former les maîtres au contrôle de leur animal de compagnie.

Les moyens de mettre en oeuvre une telle formation existent. Dans notre pays, nombreux sont les professionnels à même de canaliser le danger que peuvent constituer ces animaux. Je pense notamment aux centres d'éducation canine, aux vétérinaires comportementalistes et aux clubs canins. C'est en sélectionnant et en associant de tels spécialistes que nous parviendrons à mettre sur pied une politique de formation efficace. Les structures existent et elles sont opérationnelles.

Nous nous sommes inspirés de l'exemple de nos voisins européens. Sans aller jusqu'au « microprocesseur de reconnaissance » espagnol, l'exemple de certains Länder allemands, qui mettent en place un permis de détention fondé sur la maîtrise de l'animal, a retenu toute notre attention.

En effet, la délivrance d'un « permis de détention », quelle que soit d'ailleurs son appellation, sanctionnant des tests d'aptitude nous semble être la solution la plus efficace pour responsabiliser les propriétaires de chiens de première et de deuxième catégorie. Muni de ce permis, le propriétaire sera plus à même de limiter les risques d'accident et sera plus susceptible de prendre les décisions qui s'imposent, que ce soit dans la vie quotidienne ou en situation de danger.

Le présent projet de loi et la proposition de loi que nous avons déposée avec ma collègue Françoise Férat s'inscrivent tous deux dans cette perspective.

Cependant, et nous aurons l'occasion d'en débattre pendant la discussion des articles, nous souhaitons ajouter une condition supplémentaire pour la délivrance du permis de détention en obligeant les propriétaires de chiens dangereux à faire passer à leur animal le certificat de sociabilité et d'aptitude à l'utilisation, le CSAU. Ce test, qui existe déjà et qui est reconnu, a pour objet principal de vérifier l'équilibre caractériel du chien, sa sociabilité et l'aptitude du maître à exercer un véritable contrôle de son animal.

Le certificat est aujourd'hui réservé à certains types de chiens pouvant être agressifs, mais n'appartenant pas à la première et à la deuxième catégorie. Notre objectif serait d'intégrer les chiens visés par la loi du 6 janvier 1999 dans cette formation.

Nous rejoignons évidemment Mme la ministre sur la question du certificat d'aptitude, qui sera délivré à l'issue d'une formation dont les acteurs seront définis par décret, après concertation.

En outre, et c'est un point primordial, il s'agit bien sûr de redoubler de sévérité envers les propriétaires qui ne se mettraient pas en conformité avec la législation existante. C'est pourquoi nous ne pouvons qu'approuver les termes du projet de loi, qui confèrent des pouvoirs de sanction accrus au maire et simplifient les procédures administratives.

Cependant, nous sommes très sceptiques sur l'amendement n° 58, déposé par le Gouvernement en milieu de journée, qui prévoit des peines de prison pour le propriétaire, y compris dans des cas où il n'y a pas homicide. Nous craignons qu'un tel dispositif ne fasse inutilement peur à de nombreux propriétaires de chiens ordinaires.

Plusieurs articles de la proposition de loi que nous avons déposée visent également à renforcer les pouvoirs de sanction du maire, en cas de non-présentation ou de caducité du permis de détention ou, plus largement, en cas de danger manifeste pour la sécurité des personnes.

Vous en conviendrez, la manifestation qui a eu lieu dans notre département, à Épernay, pour s'opposer à l'euthanasie du chien qui venait de tuer une fillette, est inacceptable. C'est pourquoi les textes que nous allons examiner renforcent et facilitent la décision d'euthanasie, surtout quand le chien est à l'origine d'un accident mortel.

Pour conclure, je voudrais insister sur le fait que l'endiguement du « phénomène pitbull » constituera évidemment un travail de longue haleine, qui nécessitera l'association de tous les acteurs de terrain. Nous en avons bien conscience, le « risque zéro » n'existe pas. Mais le risque d'accident peut être considérablement réduit si l'on met en place une politique de formation adaptée et si la menace de sanction réduit la négligence de certains propriétaires.

Si le projet de loi est adopté - et je ne doute pas qu'il le sera - la France sera l'un des pays européens les plus en pointe sur la question épineuse des chiens dangereux. Certes, plusieurs points restent en suspens, comme l'interdiction totale de la détention de chiens de première catégorie ou le problème des croisements de chiens ; M. le rapporteur pour avis vient très justement de faire le point sur la complexité de ces questions.

En tout état de cause, l'adoption du projet de loi constituera un grand pas dans la bonne direction.

Pour conclure, il me reste à remercier et à féliciter Jean-Patrick Courtois, rapporteur de la commission des lois, et Dominique Braye, rapporteur pour avis de la commission des affaires économiques, de leur excellent travail, d'ailleurs très complémentaire, sur ce projet de loi.

Je n'en doute pas, les débats que nous aurons sur ce sujet seront de qualité et permettront d'améliorer encore le texte qui nous est soumis.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion