Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, avec huit millions de chiens, la France se situe au premier rang des pays d'Europe en terme de population canine.
Si une très grande majorité d'entre eux sont bien insérés dans leur environnement familial, l'actualité récente nous a, hélas ! rappelé qu'un chien est un animal potentiellement dangereux s'il n'est pas correctement sociabilisé et s'il est maltraité.
Au cours des derniers mois, plusieurs accidents, souvent dramatiques, ont impliqué un chien. La presse s'est largement fait l'écho de ces événements. Sous la pression émotionnelle, le Gouvernement a décidé de proposer une nouvelle loi, à peine huit mois après un précédent renforcement du dispositif législatif.
Mais il faut relativiser les faits, même s'ils sont dramatiques.
À titre d'exemple, je mentionnerai quelques statistiques. En 2004, il y a eu deux morts suite à des morsures, mais vingt-cinq morts par accident de chasse, vingt-six morts par accident de montagne, une cinquantaine de morts par noyade en piscine une centaine de morts en mer. Puis, le nombre de morts dues à des morsures de chien s'est élevé à une en 2005 et à trois en 2006. Au cours de ces deux années, le nombre de décès causés par les autres facteurs que je viens d'énumérer a été comparable à celui de 2004.
Si la loi du 6 janvier 1999 a pu enrayer partiellement la délinquance utilisant des chiens, elle n'a pas permis, contrairement à ce que souhaitait le législateur, de faire disparaître les chiens réputés dangereux. Cependant, ce sont surtout des chiens non classés comme dangereux par la législation qui sont à l'origine des drames récents, dont je rappelle qu'ils ont essentiellement eu lieu dans la sphère privée.
Je tiens à le préciser, chaque année le nombre de morsures s'élève à près de 10 000, dont l'énorme majorité sont le fait d'autres races de chiens que celles qui sont visées par la loi du 6 janvier 1999. En réalité, ce sont les labradors, race pourtant présumée paisible, qui sont les auteurs du plus grand nombre de morsures.
Pour comprendre la problématique, il convient de rappeler qu'un chien a l'âge mental d'un enfant de trois ans et qu'il obéit à un code et à un rituel bien particuliers.
Pour vivre en harmonie avec la cellule familiale dont il devient un membre, un chien a besoin d'être bien compris s'agissant de ses besoins biologiques et psychologiques et, surtout, d'être éduqué, certes avec affection, mais également dans un cadre d'autorité et de dominance.
Ainsi, la connaissance des comportements canins doit-elle être une nécessité.
Pour asseoir sa dominance, le chien entame une séquence standardisée de signaux à destination de son compétiteur, qui peut être un autre chien, un enfant, voire son propre maître ou un autre adulte.
En cas d'insoumission du compétiteur, la séquence se termine par une morsure brève. Mais elle est parfois altérée, ce qui témoigne d'une pathologie comportementale dans la socialisation de l'animal pouvant alors constituer un grave danger.
Les récents accidents ont, en fait, souligné l'effet déterminant du comportement du chien et de son éducation sur son potentiel d'agressivité, la difficulté éprouvée par de nombreux détenteurs de chiens pour les maîtriser, mais également l'absence de réflexes de bon sens chez certains d'entre eux.
Je voudrais m'arrêter un instant sur l'irresponsabilité du propriétaire du dernier chien auteur d'une morsure grave. En effet, il s'agissait du chien de la famille, et s'il a mordu le bambin, c'est parce que celui-ci a tiré sur sa gamelle. Il me paraît inconséquent de laisser un très jeune enfant agir de la sorte avec un chien de cette taille !
On comprend donc le besoin d'une formation, mais aussi du réapprentissage des notions élémentaires de civisme dans les précautions à prendre pour éviter de faire courir des risques à autrui. Mais, avant tout, il faut que cette formation soit dispensée par la bonne personne, c'est-à-dire par un comportementaliste.
En réalité, tous les chiens de première catégorie ne sont pas dangereux, de même que des chiens aujourd'hui non classés peuvent l'être ou le devenir, comme il a été rappelé tout à l'heure.
L'agressivité, la dangerosité, sont une question non de gènes, mais de conditions d'élevage et de sociabilisation du chiot. Dès lors, la responsabilité individuelle du producteur, à côté de celle du propriétaire, est pleine et entière.
Il s'agit donc de s'interroger sur les aptitudes des personnes à détenir un chien compte tenu de l'environnement qu'elles peuvent lui offrir et de ses caractéristiques et besoins biologiques propres.
Le groupe socialiste proposera, par voie d'amendements, des mesures de prévention complémentaires.
D'abord, nous suggérerons d'identifier ce qui est à l'origine du comportement agressif des chiens, toutes races confondues, en créant à cet effet un observatoire de veille permanente. Cet organisme aura pour mission principale d'éclairer les pouvoirs publics dans leur décision. Il permettra de constituer une source d'informations sur les cas d'agressions canines et leurs conséquences ainsi que sur l'évolution du comportement canin.
Ensuite, nous considérons que, pour les chiens d'un certains poids qui circulent librement dans les propriétés privées, mais hors de l'habitation, il est nécessaire de prévoir la mise en place d'un dispositif de clôture sécurisée.
Enfin, si nous souhaitons que la catégorie des éleveurs professionnels soit mieux définie, nous ne voudrions pas tomber dans des tracasseries qui ne feraient que pénaliser les éleveurs passionnés qui produisent l'essentiel du cheptel français inscrit au livre des origines.
Or, la nouvelle mouture proposée pour le III de l'article L. 214-6 du code rural, aux termes de laquelle sera classé comme éleveur celui qui aura vendu ne serait-ce qu'un seul chiot, est problématique. En effet, à vouloir trop bien faire, on risquerait d'aboutir à l'inverse du but recherché.
Cette nouvelle définition pénalisera au premier chef ces petits éleveurs qui produisent juste pour le plaisir, par passion, dont toute la production est inscrite au livre des origines françaises, qui ne font naître qu'une portée par an, voire moins : ils pourraient devenir la cible privilégiée des contrôleurs de la Mutualité sociale agricole, pour qui il est certainement plus facile d'aller piocher dans le fichier national canin que de battre la campagne à la recherche des élevages clandestins ! Dans ces conditions, ces derniers pourront continuer leurs activités en toute tranquillité, alors qu'il est très probable que toutes ces tracasseries décourageront ceux qui ne demandent qu'à bien faire.
Il faut faire porter l'effort contre les dérives des élevages clandestins, qui n'ont que faire des chiens qu'ils détiennent. Ceux-ci sont enfermés dans des conditions sordides d'hygiène et d'espace, mal nourris, maltraités, bien souvent euthanasiés lorsqu'ils parviennent à fin de leur carrière de reproducteurs ; les chiots qui en sont issus ne sont ni sociabilisés ni équilibrés, et sont fréquemment à l'origine des accidents que nous réprouvons tous.
Bien entendu, la production de ces établissements n'est pas inscrite au livre des origines françaises, ce qui empêche toute traçabilité.
Pour conforter la sociabilisation du chien, il est sans doute nécessaire de porter de huit à dix semaines l'âge à partir duquel un chiot peut être cédé, afin d'éviter l'isolement que provoque une séparation précoce de la mère. Enfin, il y aurait lieu de beaucoup mieux surveiller toutes les officines qui vendent des animaux et de lutter contre les trafics de chiens en accentuant les contrôles aux frontières, en particulier pour le trafic en provenance des pays de l'Est. L'ouverture, dans le cadre de l'Union européenne, des frontières de ces pays permet des importations, légales ou illégales, de chiens dont les origines ne sont malheureusement pas contrôlées, pas plus que ne le sont l'âge, la sociabilisation ou l'état sanitaire.
Je tiens à rappeler que les élevages sont le berceau de l'assise comportementale des chiens. Il convient donc d'en faire le niveau sur lequel porteront prioritairement les efforts d'une politique visant à prévenir les dérives comportementales des chiens et de s'assurer la pleine collaboration des éleveurs par la mise oeuvre de mesures, tant volontaires qu'obligatoires, ayant pour objet d'obtenir de meilleures conditions de développement des chiots et, par conséquent, la production de chiens équilibrés et la commercialisation de chiots convenablement sociabilisés.
En fin de compte, la dégradation du rapport homme-chien tient davantage à une méconnaissance de l'animal. La relation entre le chien et l'humain exige du temps et des règles que certains ont tendance à oublier.
Votre projet de loi, madame la ministre, est sans doute un peu précipité. Son manque de précision ouvre la porte à tous les arbitraires, puisque point ne sera besoin que l'animal ait provoqué quelque accident que ce soit pour que l'action du maire soit justifiée : il suffira qu'il ait vaguement eu l'impression que le chien est dangereux.
Par ailleurs, il est regrettable que la Société centrale canine, organisme qui anime le monde cynophile français depuis plus d'un siècle et gère pour le compte du ministère de l'agriculture le fichier canin et le livre des origines françaises, n'ait été ni consultée ni associée à l'élaboration de ce texte, alors qu'elle fédère également tous les clubs de race et dispose de 1 400 éducateurs canins et de 2 400 contrôleurs d'élevage.
Je voudrais rappeler ici les prises de position de plusieurs spécialistes éminents du monde cynophile.
Ainsi, le professeur Courreau, vétérinaire à l'École de Maisons-Alfort, indique : « Aucun animal n'est génétiquement prédisposé au regard de sa race à être plus agressif qu'un autre. »
Thierry Bédossa, vétérinaire comportementaliste, souligne quant à lui que le projet de loi stigmatise certaines races de chiens, qu'il ne résout en rien le problème et qu'il contient « des dispositions criminelles, racistes et choquantes ».