Madame le ministre, face aux nombreuses agressions de chiens dangereux, vous deviez agir. Vous l'avez fait très rapidement, on ne peut que s'en réjouir et vous en féliciter.
Ce projet de loi suscite aujourd'hui les espoirs de nombre de nos concitoyens inquiets. Je pense particulièrement aux habitants de la Seine-Saint-Denis, mon département, où le petit Aaron a trouvé la mort dans des circonstances horribles. Il était donc grand temps de changer les orientations de la loi du 6 janvier 1999.
Celle-ci se voulait la réponse au nombre croissant d'agressions et à ce que l'on appelle le « phénomène pitbull » qui sévissait en banlieue : les délinquants utilisaient leurs animaux pour commettre des rackets, des incivilités et autres trafics de stupéfiants.
Nous avons alors pris le parti de cibler les espèces de chiens dangereux en contraignant considérablement la détention des races dites « d'attaque et de défense ». Ainsi, l'obligation de déclaration en mairie, la délivrance de justificatifs de vaccination antirabique, le certificat d'assurance, l'attestation de majorité, ont permis de dissuader une frange de la population de se porter acquéreur de ce type de molosses. De plus, la loi impose la stérilisation des chiens de première catégorie.
L'objectif annoncé était de parvenir progressivement à éradiquer les chiens réputés les plus agressifs. Près de dix ans plus tard, cela a été souligné à cette tribune, le constat n'est pas à la hauteur de nos attentes.
Si le « phénomène pitbull » paraît maîtrisé, le dispositif s'est montré particulièrement perméable aux trafics de chiens de première catégorie, dont la cession, la vente et l'importation sont pourtant interdites.
Un rapport du ministère de l'intérieur et du ministère de l'agriculture évaluait, en décembre 2006, le nombre de chiens de première et de deuxième catégorie actuellement présents sur le territoire national respectivement à 270 000 et à 410 000 ; l'extinction de ces espèces est restée un voeu pieux.
Ces résultats témoignent de l'échec de la catégorisation. Notre collège Dominique Braye - il vient de le rappeler - indique dans son rapport que le classement labellise l'animal et représente pour une catégorie d'individus un attrait supplémentaire. Pitbull, boer bull, rottweiller, bull-terrier, sont devenus de véritables « marques » identifiables à des revendications et à des comportements asociaux.
Par ailleurs, la réglementation est aisément contournée au profit de races telles que le dogue argentin, le cane corso ou le fila brasilero. Ces espèces non classées présentent des caractéristiques morphologiques proches de celles des animaux de catégorie. Leur prolifération témoigne des limites d'une catégorisation qui ne répond pas à des critères scientifiquement éprouvés.
Cependant, la suppression du classement n'est pas envisageable pour l'heure. Elle risquerait, en effet, d'entraîner la déresponsabilisation des propriétaires. Il faut donc aller plus loin et traiter la question des chiens mordeurs dans son ensemble. Les statistiques nous encouragent, d'ailleurs, à le faire. Depuis octobre 2006, et sur l'ensemble des cent directions départementales des services vétérinaires, seulement 7 % des morsures recensées proviennent desdites races. À l'inverse, 67 % des morsures sont le fait de chiens de plus de 10 kilos.
Je salue donc l'initiative qui vise à instaurer un véritable dépistage de la dangerosité des chiens, et ce quelle que soit leur race. Le projet ne s'arrête pas aux espèces communément réputées dangereuses, mais envisage également les chiens mordeurs.
Il serait au demeurant souhaitable d'étendre le dispositif aux animaux qui présentent des antécédents, même bénins. Tous les chiens responsables d'accidents graves ont été auparavant sujets à des manifestations d'agressivité. Le dépistage de la dangerosité potentielle des chiens mérite donc de débuter dès les premiers signes de violence. Le projet de loi élargit considérablement les contrôles, et je ne doute pas qu'il intégrera cette possibilité.
Néanmoins, il me semble que le texte ne tient pas suffisamment compte des modalités de garde et de vie de l'animal. L'urbanisation et le confinement qui en découle sont des vecteurs des troubles du comportement chez le chien. Peut-on admettre la coexistence d'animaux dangereux et d'enfants en bas âge dans des espaces réduits et clos ? Rappelons que, selon un rapport de la direction générale de la santé, 40, 2 % des morsures touchent des enfants âgés de un à quatorze ans. Les attaques interviennent essentiellement dans le cadre privé : deux victimes sur trois sont des familiers de l'animal. Le lieu de vie est donc un facteur déclenchant majeur ; malheureusement, il est trop souvent négligé.
Le propriétaire légal ne peut être seul tenu pour responsable des agissements de son animal. Le chien est partie prenante à la vie de la famille. En conséquence, il faut apprécier les caractéristiques de celle-ci : le nombre de ses membres, l'âge des enfants, la présence de personnes âgées, ces critères devant trouver un cadre légal. J'insiste particulièrement sur ce point pour la délivrance du certificat d'aptitude à la détention des animaux classés et des chiens mordeurs.
La sécurité publique exige que le vétérinaire puisse disposer de l'ensemble de ces informations au cours de l'évaluation comportementale. Cet impératif se double de la nécessité de faire parvenir les conclusions de l'examen au maire.
Il n'est pas concevable, en effet, au nom du secret professionnel, d'empêcher l'autorité compétente de prendre les mesures qui s'imposent à l'encontre d'un chien dangereux ou de son propriétaire.
À l'heure actuelle, madame le ministre, le texte de la circulaire laisse au propriétaire le choix de prévenir ou non le maire de la dangerosité de son animal à l'issue de l'évaluation comportementale. Comment ce dernier peut-il ordonner une formation à des propriétaires de chiens mordeurs sans disposer de ladite évaluation ?
Cette mesure me semble être un non-sens qu'il convient de modifier sans tarder. Je rejoins sur ce point M. Braye, qui propose de transmettre systématiquement aux maires les conclusions des évaluations comportementales. Cette mesure permettra d'établir un registre des animaux visés et un meilleur suivi de leur comportement. Le maire est un interlocuteur de choix dans la sensibilisation et le contrôle des chiens dangereux. Il doit disposer de l'ensemble des outils nécessaires à ses attributions.
Le présent texte dispose que le propriétaire doit déclarer au maire toute morsure de son animal, mais face à la crainte de mesures contraignantes, voire d'euthanasie, le détenteur peut être tenté de dissimuler l'agression. Il semble donc plus pertinent de renforcer la coopération entre les services vétérinaires et les communes pour connaître les maîtres de chiens agressifs.
Par ailleurs, le projet de loi prévoit de mettre en oeuvre des formations à l'adresse des propriétaires de chiens de première et de deuxième catégorie ainsi que de chiens mordeurs. Si par principe, la formation constitue un progrès incontestable, il apparaît néanmoins qu'elle risque de s'additionner inutilement à l'évaluation comportementale. En effet, est-il nécessaire de contraindre un propriétaire à payer une formation pour un animal initialement déclaré inoffensif ? Ne vaudrait-il pas mieux renforcer le champ d'investigation du vétérinaire au cours de l'évaluation ?
Tenant compte des résultats d'une enquête plus approfondie, la formation pourrait être restreinte aux cas les plus compliqués et s'articuler plus directement autour des rapports « détenteur-animal », au coeur de bien des agressions.
Cette démarche éviterait de déployer des moyens trop importants et de saturer les professionnels du secteur. Les premières années d'application du texte s'annoncent, en effet, extrêmement complexes face au nombre considérable d'animaux à étudier. Est-il besoin d'en rajouter ?
Par ailleurs, l'origine de l'agressivité d'un certain nombre d'animaux est à chercher dans les conditions d'acheminement et de vente. Ce texte, madame la ministre, n'aborde pas suffisamment cette question, pourtant ô combien essentielle.
Trop souvent, la période de sevrage n'est pas respectée. Les chiots retirés prématurément à leur mère encourent des séquelles qui peuvent se traduire par un surcroît d'agressivité à l'âge adulte
Au même titre, l'acheminement d'une partie des chiots commercialisés dans des animaleries constitue un vecteur aggravant de l'état futur de l'animal. Les importations de chiens en provenance essentiellement des pays de l'Est méritent d'être moralisées. Ces animaux subissent d'innombrables maltraitances qui affectent leur comportement et déclenchent l'agressivité.
La commercialisation doit donc, à mon sens, être mieux encadrée. L'état actuel de la législation permet à n'importe qui de vendre n'importe quoi. Cette situation me semble inacceptable. Il faudrait limiter aux éleveurs et aux associations de protection des animaux le droit de vendre ou de faire adopter les chiens. Bien souvent, les animaleries ne disposent pas d'un personnel suffisamment formé à l'éducation des chiots. Elles ne peuvent pas répondre correctement aux besoins de l'animal et risquent de provoquer chez lui des traumatismes irréversibles.
Pour corriger les failles du système et garantir une vente plus sûre, il pourrait être envisagé de conditionner la commercialisation dans les centres d'élevage et les magasins animaliers à un agrément du ministère de l'agriculture. Celui-ci recenserait le lieu de naissance, la date du sevrage, les vaccinations, les conditions d'acheminement et de commercialisation du chiot. Cette véritable traçabilité garantirait à l'acheteur et aux services vétérinaires un suivi particulièrement efficace du parcours du chien.
Madame le ministre, je ne peux que me montrer favorable à l'adoption de ce texte. Par l'élargissement du dépistage de la dangerosité, par l'information apportée aux acquéreurs, par le souci de lutter contre les éleveurs clandestins, je ne doute pas qu'il parvienne à limiter le nombre d'agressions.
Je reste néanmoins vigilant quant à la moralisation et à la professionnalisation du commerce des chiens. Ces conditions, me semble-t-il, sont le préalable à tout le reste.
Pour conclure, je félicite nos deux rapporteurs, Dominique Braye et Jean-Patrick Courtois, pour l'excellent travail qu'ils nous ont présenté voilà quelques instants à cette tribune.