Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je suis très heureux et très honoré de vous présenter aujourd'hui cette proposition de loi qui vise à mieux encadrer le recours aux stages étudiants et à apporter davantage de garanties aux stagiaires. Je remercie le président de la commission des affaires sociales et les membres de cette commission qui ont accepté de me désigner comme rapporteur.
Déposée sur le bureau du Sénat en juin 2006 et inscrite à l'ordre du jour à la demande de mon groupe, le groupe socialiste, cette proposition de loi a été élaborée dans le contexte du mouvement de revendication suscité, notamment, par le collectif Génération précaire, qui a mis en évidence un certain nombre de dérives dans l'utilisation des stages par les entreprises.
Des témoignages multiples montrent que les stages sont parfois détournés de leur vocation pédagogique pour devenir une source de main-d'oeuvre à moindre coût. Certaines entreprises fonctionnent en ayant recours en permanence à des stagiaires qui occupent de véritables postes de travail, tout en étant rémunérés à un niveau très inférieur au SMIC. Il peut arriver que le stagiaire qui s'apprête à quitter l'entreprise soit invité à former celui qui va lui succéder sur le même poste.
Les stages peuvent aussi être utilisés comme un outil de prérecrutement et équivalent alors à une période d'essai prolongée. De jeunes diplômés s'inscrivent parfois à l'université uniquement pour pouvoir conclure une convention de stage, alors qu'ils disposent de la qualification requise pour pouvoir assurer les fonctions auxquelles ils postulent.
Le recensement effectué chaque année par le magazine L'Express montre que « la case stage » est devenue quasi obligatoire, mais aussi qu'elle a tendance à se substituer à l'emploi de jeunes diplômés ; parmi les cent plus importants recruteurs sondés par le magazine, plus du quart d'entre eux proposeront, cette année, plus d'offres de stages que d'emplois destinées à de jeunes diplômés, parfois jusqu'à deux ou trois fois plus.
Ce problème des stages n'est d'ailleurs pas uniquement « franco-français ». Grâce à l'impact médiatique, y compris dans la presse étrangère, des actions du collectif Génération précaire, les témoignages de nombreux jeunes Européens montrent que la problématique de l'insertion professionnelle des jeunes est commune à de nombreux pays de l'Union européenne.
Je remercie les militants qui m'ont alerté sur ce problème d'avoir constitué un réseau européen et d'avoir porté le débat au niveau du Parlement et de la Commission européenne. J'espère, et nous pouvons le souhaiter, mes chers collègues, qu'une solution pourra aussi être élaborée à ce niveau.
En attendant, la proposition de loi que je vous présente aujourd'hui vise à mettre un terme à ces abus et à redonner aux stages leur objectif pédagogique. Certes, des initiatives ont été prises l'an passé, en réaction à la mobilisation des stagiaires, mais elles demeurent, à mon sens, insuffisantes.
La loi pour l'égalité des chances du 31 mars 2006 a en effet introduit quelques règles qui vont dans le sens d'une moralisation du recours aux stages, mais qui, de fait, restent très en deçà des attentes de ces étudiants et de ces stagiaires.
Cette loi a d'abord prévu que tout stage en entreprise est obligatoirement précédé de la conclusion d'une convention tripartite, signée entre le stagiaire, l'établissement d'enseignement supérieur où il poursuit ses études et l'entreprise qui l'accueille.
Elle a ensuite limité à six mois, en principe, la durée des stages.
Elle a rendu obligatoire le versement d'une gratification au stagiaire au-delà de trois mois, assujettie à cotisations sociales pour la part qui excède un seuil fixé à 360 euros.
Enfin, la loi a unifié la situation des stagiaires au regard de la protection contre les accidents du travail et les maladies professionnelles.
Des décrets ont ensuite été pris pour l'application de la loi pour l'égalité des chances. Ils ont précisé le contenu de la convention de stage et ont interdit aux entreprises de recourir à un stagiaire pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail permanent de l'entreprise, ainsi que pour remplacer un salarié absent, faire face à un surcroît temporaire d'activité ou occuper un emploi saisonnier. Il s'agit ainsi d'éviter que le recrutement de stagiaires ne se substitue à l'embauche de salariés.
Nous attendons encore le décret qui doit préciser le montant de la gratification accordée aux stagiaires. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous nous donniez des indications sur la date de publication de ce décret et sur le montant de la gratification - j'insiste sur ce terme - envisagée. Car c'est une information essentielle pour l'ensemble des étudiants.
En avril 2006, le Gouvernement, plusieurs syndicats étudiants et les représentants des établissements d'enseignement supérieur ont également signé une « charte des stages étudiants en entreprise » destinée à compléter le dispositif législatif et règlementaire. Je précise que la charte n'a cependant pas été signée par l'Union nationale des étudiants de France, l'UNEF, qui est le principal syndicat étudiant, ni par le collectif Génération précaire. Ce dernier n'avait pas qualité pour signer, mais il a clairement fait savoir qu'il voulait une loi et non une charte.
La charte insiste longuement sur les obligations mutuelles des étudiants, des entreprises et des établissements d'enseignement. Elle prévoit en particulier que l'étudiant est suivi par un tuteur dans l'entreprise et par un enseignant référent dans son établissement d'enseignement.
Mais cette charte ne revêt aucun caractère contraignant. Elle constitue davantage un référentiel de bonnes pratiques. Finalement, elle ne s'imposera qu'à ceux qui voudront bien être vertueux. En outre, elle ne définit pas l'abus de stage. Un décret a d'ailleurs quelque peu précisé les choses, je tiens à le souligner à cet instant.
J'observe que le comité de suivi de la charte, dont la création a été annoncée, n'a toujours pas été mis en place et j'aimerais, monsieur le ministre, que vous nous précisiez vos intentions à ce sujet. Le travail d'évaluation auquel doit procéder ce comité me paraît en effet indispensable.
La proposition de loi présentée par mon groupe permettrait d'aller plus loin en posant un cadre législatif complet pour organiser le recours aux stages. Elle ne vise pas à décourager les entreprises de proposer des stages aux étudiants. Je suis au contraire favorable à une plus grande professionnalisation des formations universitaires, dont les stages constituent l'une des principales modalités. Au-delà des stages, c'est aussi l'apprentissage et l'alternance qu'il faut développer à l'université.
Par cette proposition de loi, il s'agit simplement de prévoir et de combattre les abus, tout en permettant à l'ensemble des étudiants d'avoir accès aux stages. J'observe en effet que les étudiants qui ont besoin de travailler pour financer leurs études sont souvent contraints d'accepter des « petits boulots », sans lien avec leurs études mais correctement rémunérés. Ne serait-il pas plus judicieux qu'ils puissent effectuer des stages qui compléteraient leur formation théorique, ce qui est aujourd'hui impossible pour beaucoup, car ils ne leur procurent pas le revenu dont ils ont besoin ?
Je souligne que la proposition de loi a vocation à s'appliquer à l'ensemble des stages, qu'ils soient accomplis auprès d'employeurs publics ou privés - c'est peut-être là où le bât blesse pour certains - et non pas seulement aux stages en entreprise ; cela me paraît relever de l'équité. Elle donne valeur législative à des règles posées dans la charte ou figurant dans des décrets. Elle renforce en outre les garanties apportées aux stagiaires, surtout en matière de rémunération.
Les articles 1er et 2 introduisent une série de dispositions parallèles, d'abord dans le code de l'éducation, puis dans le code du travail. En effet le statut de stagiaire présente un caractère hybride, à mi-chemin entre le monde de l'éducation et le monde du travail. Il s'agit donc de tenir compte de la double position du stagiaire, à la fois étudiant et travailleur.
Tout stage devra donner lieu à la signature d'une convention tripartite comportant des mentions obligatoires. Il devra y être insisté sur les responsabilités respectives de l'établissement d'enseignement supérieur - qui devra notamment contrôler l'adéquation du contenu du stage à la formation suivie par l'étudiant -, de l'organisme d'accueil - qui devra désigner un maître de stage chargé d'exercer une fonction de tuteur - et du stagiaire - qui devra réaliser la mission qui lui est confiée, dans le respect des règles en vigueur dans l'organisme d'accueil, et rédiger, le cas échéant, un rapport ou un mémoire de stage.
Nous proposons que la rémunération du stagiaire soit au moins égale à 50 % du SMIC, dès lors que la durée du stage est supérieure à un mois. Nous parlons bien de rémunération et non d'une simple gratification, ce qui, juridiquement mais aussi symboliquement, n'a pas la même portée.
La fixation d'un minimum légal pour la rémunération des stagiaires constitue l'une des principales avancées de ce texte, de même que le principe de la prise en charge par l'employeur - dans des conditions qui seront à déterminer - des frais de transport, quand le lieu de stage est très éloigné, de logement ou de restauration engagés par le stagiaire.
La durée maximale des stages effectués au cours d'une même année universitaire ne saurait en outre excéder six mois ; cela paraît légitime, car l'accomplissement de stages ne doit pas se substituer à la formation dispensée par l'établissement d'enseignement. Des dérogations pourront toutefois être prévues pour certaines formations.
Le stagiaire bénéficiera des garanties accordées aux salariés en matière de santé et de sécurité au travail et sera protégé en cas de maladie : sa rémunération sera maintenue pendant au moins un mois et la maladie ne pourra être invoquée comme motif de rupture du stage.
Un autre point me paraît essentiel : la proposition de loi définit et réprime l'abus de stage.
Le stage ne doit pas être utilisé pour exécuter une tâche régulière correspondant à un poste de travail, ni pour répondre à un besoin qui devrait être satisfait par l'embauche d'un salarié en contrat à durée déterminée.
Un stage ne doit pas non plus être accompli par un jeune diplômé qui dispose de la formation adéquate pour occuper le poste qui lui sera confié. La sanction prévue par le texte en cas d'infraction est une amende de 1 500 euros, doublée en cas de récidive ; je reviendrai sur ce point tout à l'heure.
Toujours pour lutter contre les abus, la proposition de loi prévoit l'information des représentants du personnel concernant les stages et l'envoi des conventions de stage à la direction départementale du travail, qui disposerait alors d'un délai de quinze jours pour faire connaître son opposition motivée.
Afin de faciliter l'accès au juge, la proposition de loi dispose ensuite que les litiges nés de la convention de stage seront désormais portés devant le conseil de prud'hommes et non devant le tribunal d'instance, comme c'est le cas actuellement. Il me semble en effet que le conseil de prud'hommes, qui applique une procédure plus souple et dont les délais de jugement sont souvent plus courts, sera mieux à même de traiter ces affaires et, surtout, de procéder à des règlements amiables en cas de litige.
Enfin, le texte envisage l'hypothèse d'une embauche à l'issue du stage. Dans ce cas, la durée du stage s'imputera sur la période d'essai et sera prise en compte pour le calcul de l'ancienneté du salarié.
L'article 3 prévoit qu'un arrêté ministériel fixera la part de la rémunération du stagiaire qui sera assujettie à cotisations sociales. Afin de ne pas alourdir excessivement le coût d'un stagiaire pour l'entreprise, il est raisonnable de prévoir, comme c'est le cas aujourd'hui, qu'une partie de la rémunération sera exonérée de cotisations. Il est cependant important que les stagiaires accumulent des droits à retraite et à assurance chômage.
L'article 4 prévoit enfin un gage pour compenser les éventuelles charges supportées par les régimes sociaux.
Mes chers collègues, la commission des affaires sociales a examiné la proposition de loi lors de sa réunion du 7 février dernier.