Intervention de Yves Dauge

Réunion du 13 février 2007 à 22h00
Création de l'établissement public culturesfrance — Adoption des conclusions du rapport d'une commission

Photo de Yves DaugeYves Dauge :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à mon tour à remercier le président et le rapporteur de la commission des affaires culturelles, ainsi que l'ensemble de cette dernière.

Après de précédents débats, ici même, dont chacun se souvient, débats marqués par une critique un peu dure à nos yeux de l'action culturelle extérieure de la France, force est de reconnaître un véritable renversement de situation. Après avoir sans doute mal vécu cet épisode, les fonctionnaires des administrations concernées et les militants de terrain qui travaillent pour la cause de l'action culturelle extérieure vont pouvoir constater le revirement effectué par le Parlement, ce qui devrait leur rendre le courage nécessaire pour mener une action difficile. Il faut en effet qu'ils se sentent soutenus ! Rien n'est pire pour les militants de causes difficiles que de sentir, au niveau du Parlement ou du Gouvernement, à quel point la critique est facile alors que les crédits ne suivent pas forcément !

Nous soutenons bien sûr ce changement de statut de CulturesFrance, mais, au-delà de la question du statut, ce sont les missions qui comptent. Un statut légitimé et clarifié, c'est bien, mais, sur le fond, les missions priment.

Permettez-moi de relire un extrait du rapport rédigé par Jacques Blot sur la fusion des agences chargées de l'action culturelle extérieure :

« Si le nouvel opérateur ne devait apparaître que comme l'addition d'associations existantes, sa création n'aurait pas de sens. Il doit être conçu comme un instrument apportant à notre action extérieure une meilleure visibilité, plus de créativité pour l'adapter à la diversité du monde et aux novations technologiques, plus de souplesse et de réactivité. » Nous pouvons tous, je crois, adhérer à cette vision-là.

« Son organisation devrait tenir compte de trois grandes fonctions : promotion du patrimoine et de la création, production et communication, aide à la diversité culturelle. Elle doit préserver deux spécificités : le rôle de la culture dans la construction européenne, les liens particuliers de la France avec l'Afrique. »

Il ne faudra peut-être pas s'enfermer uniquement en Afrique et en Europe : le monde, c'est aussi la Chine, l'Inde ou l'ancienne Indochine française... Mais il est vrai que ces spécificités existent, et c'est pourquoi j'adhère tout à fait à cette vision.

Au-delà du statut, il est certain que les missions que le réseau culturel, les Alliances françaises et l'AFAA ont exercées au cours des dernières décennies ont singulièrement évolué en raison des réalités auxquelles ils ont été confrontés. Si la première de ces missions consiste à assurer une promotion de la culture française - c'est indiqué dans les statuts -, nous n'avons pas à nous en plaindre, car c'est un minimum. Pour instaurer un dialogue, il nous faut d'abord exister nous-mêmes !

Le thème de la culture et du développement est l'autre dimension qui a émergé considérablement.

En effet, on imagine mal aujourd'hui une politique du développement qui ne se fonderait pas sur une politique de la connaissance : la connaissance des milieux, naturels et culturels, des pays dans lesquels nous travaillons, des traditions, des religions, en essayant d'ailleurs, à cet égard, de tracer la frontière entre ce qui peut s'apparenter à l'intégrisme et ce qui relève de la culture, comprise comme un espace de démocratie, d'ouverture, de liberté. Il y a là un travail de fond remarquable à accomplir, auquel la France peut contribuer au côté des pays concernés.

Par conséquent, je vois deux dimensions dans le champ qui nous occupe : celle, assez traditionnelle, de la diffusion de notre propre culture, et celle, qui prend de plus en plus d'importance, de l'aide à la promotion des cultures des pays dans lesquels nous intervenons. J'insiste fortement sur cette seconde dimension. D'ailleurs, beaucoup de centres culturels inscrivent déjà leur action dans cette dynamique.

Sur ce plan, l'AFAA apporte son soutien, mais sur le terrain, c'est souvent le centre culturel ou l'Alliance française qui agit. Je tiens donc à bien mettre en exergue, dans notre stratégie globale, le rôle joué par le réseau des centres culturels et des Alliances françaises.

À cet égard, madame la ministre, j'ai pu constater, en visitant récemment le centre culturel de Ouagadougou, au Burkina-Faso, que les moyens financiers ne sont pas exactement à la hauteur des besoins. Je ne vous apprendrai rien sur ce point, mais il existe une tension extrême. Le directeur du centre m'a clairement dit qu'il avait besoin de 80 000 euros supplémentaires, non pas pour promouvoir je ne sais quelles idées, mais simplement pour faire face à la demande locale. En effet, le centre culturel est souvent un acteur majeur de la vie culturelle de la ville où il est implanté : il révèle des artistes, il monte des opérations, il est sollicité tous les jours, en termes de moyens matériels et humains.

Là est la spécificité africaine qui a été évoquée. Cela rejoint le débat que nous avons eu, en présence de Mme Girardin, sur l'aide publique au développement. Nous étions alors arrivés à la conclusion unanime que le solde de l'aide publique au développement, une fois que les dépenses obligatoires et le poids de la dette publique ont été pris en compte, se réduit à peu de chose. Dans ces conditions, on fait avec ce que l'on a, et le mieux que l'on puisse faire, c'est maintenir ; mais maintenir, cela veut dire régresser, parce qu'il faut absorber l'augmentation des salaires, des charges, de la demande... On peut certes se satisfaire de ce qui est fait, mais il faut tout de même dire les choses clairement et ne pas laisser croire que tout va bien.

En tout état de cause, nous devons tout de même avoir des priorités et hiérarchiser nos objectifs. Si la France veut maintenir son rang dans le monde et voir reconnaître son influence culturelle, notamment en Afrique, où d'autres pays nous font concurrence, elle doit s'en donner les moyens ; sinon, il est clair que notre pays se trouvera marginalisé. J'espère d'ailleurs que ces questions seront soulevées lors du débat en vue de l'élection présidentielle.

Il convient donc d'évoquer cette problématique des missions et des moyens, qu'il s'agisse du réseau des centres culturels, de l'Alliance française ou de CulturesFrance.

À ce sujet, madame la ministre, il nous a été indiqué que la fondation de l'Alliance française serait dotée d'un capital de 2 millions d'euros, si mes souvenirs sont exacts. C'est une bonne chose, à mon avis, mais, parallèlement, on a retiré 500 000 euros à CulturesFrance, ce que nous avons - je le dis franchement - mal vécu. Je n'opposerai pas ces deux décisions, parce que j'aime beaucoup les Alliances françaises et que tout ce qui facilite leur fonctionnement me réjouit, mais je demande ce soir que, en une prochaine occasion, CulturesFrance soit dotée elle aussi d'un fonds de roulement.

Cela nous ramène d'ailleurs aux critiques visant l'existence de réserves financières. En effet, CulturesFrance était obligée d'en constituer afin de pouvoir payer son personnel. C'était donc de bonne gestion. Il convient désormais, je le répète, de doter CulturesFrance d'un capital : c'est une simple question de bon sens. Au-delà des discours, il faut que nous soyons très pragmatiques et que nous disions les choses telles qu'elles sont.

J'affirmerai maintenant mon attachement à un éventuel élargissement, souvent évoqué, de l'outil que représente CulturesFrance à d'autres institutions. Cela a d'ailleurs commencé, par le jeu de fusions. Nous souhaitons tous plus de visibilité, de lisibilité, de mutualisation.

Au-delà, ce qui comptera beaucoup, c'est l'organisation des partenariats, en particulier avec ce grand opérateur qu'est l'Agence française de développement, d'autant que cette dernière, à cause de la relation de plus en plus affirmée entre culture et développement, s'intéresse à des questions culturelles. Il faudra donc établir ou renforcer les liens, peut-être à l'échelon du conseil d'administration, notamment avec les universités.

On ne peut en effet ignorer le monde universitaire, très présent sur le terrain. De multiples actions se développent, souvent avec le soutien des régions et des départements. Bien entendu, les centres culturels travaillent avec les universités. Tout ce qui pourra permettre de créer, au sommet, des liens étroits entre tous les partenaires sera positif.

Cela concerne aussi les collectivités territoriales, puisque le thème de la coopération décentralisée est omniprésent. Il faudra donc prévoir des articulations. D'ailleurs, l'AFAA avait, en son temps, passé des conventions avec les régions en vue de monter des actions. Les partenariats doivent être intensifiés.

Enfin, s'agissant de la tutelle, je me réjouis qu'un projet de contrat d'objectifs soit en cours d'élaboration. Cela permettra une clarification, car ce qui a souvent fait défaut, jusqu'à présent, c'est précisément une meilleure lisibilité de la politique menée et des objectifs. Chacun fait pour le mieux, mais l'action est souvent dispersée entre une multitude d'objectifs sans qu'une hiérarchie ait été dégagée. Cette fois, au moins, on indique clairement la voie à suivre, quitte à ajuster ensuite les choses chemin faisant, bien entendu.

Quoi qu'il en soit, il était à mon sens indispensable de mettre en place une telle feuille de route, qui a souvent manqué dans le passé. L'accent est mis sur l'importance du travail que nous devons accomplir pour contribuer à faire émerger les cultures locales. Il ne s'agit pas seulement, comme je le disais tout à l'heure, de transmettre notre propre culture.

Cela correspond bien à l'esprit de la Convention de l'Organisation des Nations unies pour l'éducation, la science et la culture, l'UNESCO, pour la protection et la promotion de la diversité des expressions culturelles, à laquelle il est fait référence. À cet égard, madame la ministre, on m'a indiqué que le seuil des trente pays signataires avait été franchi, ce qui permet l'entrée en vigueur de la Convention. Quelque quarante États l'auraient ratifiée, selon les informations dont je dispose.

En outre, peut-être pourrez-vous nous confirmer que le directeur général de l'UNESCO envisage de réunir les premiers adhérents à la Convention avant même la conférence générale de l'automne 2007, c'est-à-dire avant l'été, afin de mettre en place le comité intergouvernemental. Si cela est vrai, il est certain que la France devra se préparer à cette échéance avec tous les outils dont elle dispose, de manière à se présenter bien armée lorsqu'il sera procédé à l'installation du comité intergouvernemental. En effet, il serait déplorable que, après une bataille de plusieurs années pour obtenir cette Convention, nous négligions cette phase de préparation de nos arguments et d'affirmation de nos positions !

Je vous demande donc, madame la ministre, d'être très attentive à cette question, et de vérifier avant toute chose si les informations, provenant de l'UNESCO, selon lesquelles le directeur général a l'intention de réunir rapidement les représentants des premiers États signataires sont fondées. Quand l'UNESCO mettra en place le dispositif, la France devra être en mesure de présenter un argumentaire solide, des dossiers, des propositions, qui lui permettront de tenir la tête haute et de conserver un rôle de leader sur le plan culturel, sans prétendre exercer une domination. C'est là un enjeu pour demain, qui mérite de notre part une réflexion approfondie.

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