Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, entre le 26 septembre et aujourd'hui, notre avis sur ce texte n'a pas changé, vous l'avez certainement deviné. Nous y sommes toujours vivement opposés à la fois pour des raisons de forme et des raisons de fond.
Sur la forme, nous contestons les conditions dans lesquelles le Gouvernement veut faire adopter ce texte à marche forcée pour court-circuiter une procédure en annulation engagée par plusieurs organisations devant le Conseil d'État. Le Gouvernement instrumentalise le Parlement pour contourner une décision qui vient de la plus haute juridiction administrative française, seule habilitée, dans notre État de droit, à apprécier la conformité des textes, et qui pourrait bien lui être défavorable. Si le Gouvernement n'a pas réussi à imposer un vote conforme à l'Assemblée nationale, il peut compter aujourd'hui sur sa majorité au Sénat.
Pourtant, madame la rapporteur, vous l'avez vous-même indiqué, il reste « des imperfections formelles » dans ce texte. Sur ce point, je suis d'accord avec vous ; j'irais même peut-être plus loin ! Vous avez décidé que ces imperfections resteraient en l'état, jugeant qu'il n'était pas indispensable de prolonger la navette pour ce motif et préférant une promulgation rapide de ce projet de loi afin de stabiliser le texte du nouveau code. Cela nous ramène à mon propos précédent.
Je ne comprends pas bien l'argument pour un texte qui n'est censé entrer en vigueur qu'à partir du 1er mai 2008. La vérité est autre. On vous a suggéré, je suppose, de mettre fin aux débats pour que le texte soit promulgué avant la fin de l'année, ce qui aura pour conséquence d'interrompre la procédure en cours devant le Conseil d'État.
Sur le fond, nous maintenons que cette recodification n'a pas été faite à droit constant, comme elle aurait dû l'être. En témoignent la centaine d'amendements adoptés par le Sénat et l'Assemblée nationale en première lecture. Vous le reconnaissez vous-même, madame le rapporteur, ce furent des « modifications significatives ». Selon nous, il aurait fallu en apporter bien d'autres !
Nous contestons principalement trois points.
Le premier est le déclassement de plus de 500 dispositions de la partie législative vers la partie réglementaire. Demain, nous n'aurons plus aucun droit de regard sur leur modification. Nous vous l'avions déjà dit en première lecture, et je rejoins sur ce point les propos tenus par ma collègue Annie David, c'est effectivement un moyen de dessaisir le Parlement. C'est aussi un moyen d'éviter que les organisations syndicales ne saisissent le Parlement pour lui demander de modifier le code du travail.
Le deuxième point est l'externalisation vers d'autres codes de nombreux articles qui concernent des catégories importantes de salariés : assistants maternels et familiaux, salariés agricoles, etc.
Enfin, le troisième point concerne les changements de vocabulaire et de grammaire, ainsi que le découpage ou le regroupement de certains articles qui permettra de nouvelles interprétations et instaurera donc une nouvelle incertitude jurisprudentielle. On sait pourtant à quel point c'est important en matière de code du travail et de relations au travail !
Selon nous, il est inacceptable d'user de tels procédés pour mettre en jeu des sujets aussi importants que l'inspection du travail, les conseils de prud'hommes ou les procédures de licenciement. De plus, nous craignons que cela n'ouvre de nouvelles portes juridiques pour diminuer encore, à l'avenir, les droits des salariés et de leurs représentants.
Par exemple, après un licenciement économique, si un employeur embauche à nouveau pendant une période donnée, il doit proposer le poste en priorité à la personne qu'il vient de licencier ; c'est la procédure actuelle. Certes, dans le nouveau code, la règle a été recopiée à l'identique, mais on l'a glissée dans une section relative aux licenciements d'au moins dix salariés dans une période de trente jours, ce qui pourrait avoir pour effet d'exclure tous les autres. Vous voyez bien que nous ne sommes pas à droit constant !
Par ailleurs, il n'est pas neutre d'associer dans la même partie les articles relatifs à la rémunération et ceux qui concernent le temps de travail. On présente la réglementation du temps de travail comme un facteur de réduction des salaires. C'est la logique du « travailler plus pour gagner plus », dont nous reparlerons certainement très longuement tout au long de l'année 2008. Lier les articles relatifs à la réduction du temps de travail et ceux qui portent sur la santé au travail aurait eu un tout autre sens !
Le minutieux travail qu'ont effectué à l'Assemblée nationale nos collègues députés de gauche pour amender le texte a permis de multiplier les démonstrations de ce genre. Madame la secrétaire d'État, madame la rapporteur, nous aurions pu reprendre ces amendements. Mais nous ne nous faisons aucune illusion sur un changement de position ou une prise de conscience tardive du Gouvernement. Il ne nous a donc pas semblé opportun de poursuivre ce dialogue de sourds, d'autant plus que, madame la rapporteur, vous avez affiché, ce qui est parfaitement votre droit, votre intention de faire voter le texte conforme. Il ne nous reste plus qu'à poursuivre notre contestation par d'autres moyens ; nous verrons lesquels. Je ne vous cacherai pas que nous envisageons, entre autres, de saisir le Conseil constitutionnel.
En fait, pour nous, tout est très clair : le Gouvernement profite de la jungle des textes pour faire passer un certain nombre de dispositions conduisant à des régressions sociales. Notre position sur le sujet n'a donc pas changé.
En revanche, ce qui a changé entre le 26 septembre et aujourd'hui, c'est le contexte. Alors que nous avions débattu dans une relative indifférence en première lecture, pour cette deuxième lecture, les critiques se multiplient et ne cessent de prendre de l'ampleur. J'invite donc tous ceux qui s'expriment ici aujourd'hui et à juste titre dans la presse à prendre connaissance des débats que nous avons eus voilà quelques mois. Ils y retrouveront pour l'essentiel les propos tenus.
Parmi ces critiques, il en est qui viennent de l'Inspection du travail. Vous ne pouvez pas rejeter d'un revers de mains les points précis qui ont été soulevés par ces professionnels du droit du travail, repris tout à l'heure par notre collègue Mme Annie David dans un large tour d'horizon, et sur lesquels nous sommes en parfait accord.
L'Inspection du travail est l'administration chargée de faire appliquer au quotidien le droit du travail dans les entreprises. Son rôle est donc primordial pour le succès de cette opération de recodification. Celle-ci ne réussira pas contre elle. Aussi devez-vous l'écouter, madame la secrétaire d'État, quand elle attire votre attention sur le fait que la recodification proposée pose de nombreux problèmes juridiques.
Le code du travail, c'est le droit le plus « intime », c'est le quotidien pour 16 millions de salariés du privé. Mais c'est aussi le droit le moins connu, le plus contesté, le plus concerné par les fraudes. C'est la base de l'État de droit dans l'entreprise. Sa recodification aurait mérité un consensus, mais ce n'est pas la voie qui a été choisie pour les raisons que j'ai développées au début de mon propos.
Derrière ce qui est présenté comme une simple remise en ordre des textes se profilent des modifications du sens et de la portée des règles. En cela, cette recodification pourrait bien constituer un séisme. Non sans paradoxe, elle pourrait aussi se révéler être un mirage, tant la croyance en un sens clair et univoque d'un texte, en un droit sans interprétation, est un leurre. C'est particulièrement vrai en matière de droit du travail. On sait en effet combien les conflits d'interprétation sont consubstantiels à ce droit !
En conséquence, madame la secrétaire d'État, nous voterons contre ce texte qui nous semble tout à fait inadapté à la situation actuelle dans notre pays.