Intervention de Roland Muzeau

Réunion du 25 janvier 2006 à 15h00
Retour à l'emploi — Discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence

Photo de Roland MuzeauRoland Muzeau :

Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, depuis quatre ans, les gouvernements successifs de M. Raffarin et, plus récemment, le gouvernement de M. de Villepin affichent l'emploi au premier rang de leurs priorités.

Régulièrement, le Président Chirac intervient sur son thème de prédilection, la fracture sociale, pour dire aux Français qui sont effectivement victimes de l'aggravation des insécurités sociales et économiques que cette fracture sociale n'est pas une fatalité et que l'Etat agit pour réduire les inégalités.

Or, qu'il s'agisse de la fiscalité, des services publics, de la politique de l'emploi à proprement parler, tous les moyens à disposition ont été utilisés non pas pour agir sur les causes de la pauvreté et de l'exclusion du marché du travail, mais pour asseoir les mutations du capitalisme, la financiarisation de l'économie, au mépris des risques que ces choix emportent, à savoir la généralisation de la précarité, l'amplification du sous-emploi, donc l'aggravation de la misère et le développement du phénomène des travailleurs pauvres.

Telle est aujourd'hui la réalité d'une France qui porte les stigmates de votre politique de baisse du coût du travail et qui compte, selon les experts, entre 1, 2 et 3, 5 millions de travailleurs pauvres percevant des salaires mensuels inférieurs à 600 euros, soit la moitié du SMIC, une France dans laquelle la part des salaires et des prestations sociales en espèces dans le revenu des ménages est plus faible aujourd'hui qu'en 1970.

Telle est notre société, où 6 millions d'individus dépendent des minima sociaux dont le niveau - en l'occurrence celui du RMI - situe la France, sachons-le, dans le bas du tableau, par comparaison avec les autres pays européens.

C'est en pleine connaissance des réalités de notre société de plus en plus duale, de la situation actuelle qui se caractérise par un chômage de masse, que vous opposez dangereusement les smicards, les victimes de cette dévalorisation du travail salarié, qui peinent à vivre de leur travail, aux moins méritants, aux chômeurs, bénéficiaires du RMI, lesquels, avec 425 euros par mois, « profiteraient », à vous écouter, d'un système.

Aux uns, vous expliquez que la hausse du SMIC aurait un effet négatif sur l'emploi non qualifié, préparant ainsi la disparition des mécanismes actuels de fixation du SMIC, tant voulue par le Mouvement des entreprises de France, le MEDEF, et vous proposez de cumuler des miettes d'emploi pour, au final, gagner un vrai salaire.

Aux autres, vous proposez les mêmes miettes partielles d'emploi sous-rémunérées.

Pour tous, vous suggérez de réduire le degré de solidarité, de sécurité, au lieu d'agir de façon contra-cyclique pour véritablement réduire le chômage, redonner de la qualité et du sens au travail.

Comment penser que les personnes privées d'emploi retrouveront un emploi d'autant plus vite que les périodes durant les lesquelles elles sont sûres d'être indemnisées seront courtes, que les salariés seront d'autant plus dociles et appliqués que leurs conditions d'emploi, leur statut seront précaires ?

Pour une majorité d'individus, les potions sont amères, la solidarité devient un privilège et la coercition, la règle. Et ce, alors que, pour d'autres, moins nombreux mais plus nantis, le Gouvernement renforce les impunités, tout en prenant soin d'éviter les « injustices » en assurant un partage des revenus favorable au capital.

Le budget pour 2006 témoigne de ce déséquilibre et d'un parti pris insupportable en faveur des riches qui, gagnant déjà 20 000 euros mensuels, se sont vu offrir, grâce notamment au bouclier fiscal, 10 000 euros supplémentaires, alors que des gens mouraient de froid, comme n'a pas manqué de le déplorer Louis Maurin, directeur de l'Observatoire des inégalités.

C'est pour dénoncer ce même mépris envers les plus pauvres, les mal-logés que, symboliquement, l'Abbé Pierre a occupé, hier, l'Assemblée nationale, où les députés de droite ont relancé l'offensive contre la loi relative à la solidarité et au renouvellement urbains, dite loi SRU, afin d'en abaisser les exigences en terme de logements sociaux.

Nos concitoyens, eux aussi, sont pleinement conscients du décalage constant entre le discours qui se veut socialement rassurant et la dureté des solutions néolibérales qui sont appliquées méthodiquement par ce gouvernement aux travailleurs, aux pauvres, à l'ensemble de la société. C'est d'ailleurs pourquoi deux Français sur trois se disent mécontents de la politique économique et sociale qui est menée.

En ce début d'année, malgré les efforts soutenus du Premier ministre « pour repeindre l'emploi en rose » et rendre crédible l'idée d'une baisse pérenne du chômage, à toutes les questions abordées par le baromètre mensuel de l'institut de sondage BVA pour Les Echos, nos concitoyens répondent majoritairement par le pessimisme.

Les faits sont têtus. Vous pouvez continuer à vous abriter derrière les statistiques, à rechercher la caution d'experts, du très sérieux patron de l'ANPE pour nier vos tours de passe-passe ou l'augmentation des radiations de chômeurs. Vous pouvez omettre de rappeler le poids significatif de la démographie avec les départs à la retraite des générations du baby-boom.

L'évidence s'impose pourtant à chacun : l'économie française reste faiblement créatrice d'emplois et elle en détruit beaucoup.

Par ailleurs, s'il y a moins de chômeurs - moins 5 % entre septembre 2004 et septembre 2005 -, il y a davantage de personnes acculées à vivre avec le RMI - plus 6, 2 % au cours de l'année 2005 en France métropolitaine. Dans mon département, les Hauts-de-Seine, qui est l'un des départements les plus riches de France, l'augmentation du nombre de RMIstes atteint 8 %. C'est le résultat de vos choix privilégiant le traitement libéral du chômage.

Rien de surprenant, alors, que les Français aient le sentiment, à 72 %, que l'avenir de l'emploi reste sombre et, à 75 %, que la croissance gardera en 2006 son faible niveau.

À leurs dépens, ils ont appris le sens négatif donné au mot « réforme ». S'agissant de la protection sociale, en faisant du retour à l'emploi le pivot de toutes vos politiques sociales, vous avez détourné les buts de cette dernière, comme l'analyse la sociologue Catherine Lévy dans son livre Vivre au minimum.

Ainsi, il est désormais question beaucoup plus de protection sociale patronale que de sécurité de chacun face aux aléas de la vie et de protection des salariés face aux aléas du marché du travail.

Au nom de l'emploi, nombre de mesures antisociales ont été imposées aux salariés.

Obsédés par le taux de croissance outre-Atlantique, que vous attribuez à l'augmentation du nombre d'heures travaillées, mais refusant de préciser à qui profiterait l'allongement de la durée du travail, vous avez prétendu assouplir les 35 heures pour permettre à ceux qui souhaitaient « travailler plus de pouvoir gagner plus ». Le piège du chantage à l'emploi, aux délocalisations, s'est refermé sur les salariés de Bosch, d'Hewlett Packard, de Seb, de Fenwick et tant d'autres : désormais, ils travaillent 39 heures, payées 35. Et cela s'accompagne néanmoins de milliers de suppressions d'emploi !

Après le bilan lamentable des gouvernements Raffarin, qui, à la fois par réaction et par intégrisme libéral, avaient supprimé tout ce qui marchait auparavant et avaient décidé de stopper le traitement social du chômage, la loi dite « de cohésion sociale » devait, pour « réveiller une forme de citoyenneté des entreprises, rendre plus efficaces notre politique de l'emploi et son pilotage », selon les termes de M. Larcher, permettre de simplifier les contrats aidés, d'inscrire les personnes les plus fragiles dans un vrai parcours d'insertion, de leur faciliter le retour à l'emploi. Ce que nous retenons de cette réforme, ce sont avant tout les effets d'aubaine, c'est qu'elle a ouvert la porte à la dénaturation des missions des agents du service public de l'emploi, au durcissement et à la systématisation des contrôles et des sanctions des demandeurs d'emploi, et ce alors qu'à peine la moitié des chômeurs sont indemnisés. Depuis, vous n'avez pas avancé en direction du contrat unique d'insertion, bien au contraire, puisque de nouveaux types de contrat aidé ont été ajoutés.

Que dire, par ailleurs, de la loi de M. Borloo relative au développement des services à la personne, elle aussi fortement inspirée du modèle américain, si ce n'est que, une fois encore, elle « s'appuie sur les inégalités », selon le professeur d'économie Jean Gadrey ? Elle offre en outre aux employés du secteur de l'emploi domestique, principalement des femmes, des petits boulots sous-qualifiés à temps partiel, et non des emplois dignes s'accompagnant de perspectives de professionnalisation.

Enfin, le Gouvernement a abrogé certaines dispositions de la loi de modernisation sociale qui visaient à responsabiliser les employeurs en cas de licenciement et a tenté de nous convaincre que ce retour en arrière « participait à l'effort national de cohésion sociale... en renforçant la protection des salariés en cas de licenciement collectif », comme l'a dit notre collègue M. Gournac.

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