Toujours dans le même sens, et pour faire entrer « le marché du travail dans la modernité », selon les termes de l'actuel Premier ministre - au demeurant plus engagé dans la course présidentielle que dans la bataille pour le plein emploi de qualité -, mais également en raison de l'urgence de la situation, est né cet été le contrat nouvelles embauches, le CNE. Plus stable en apparence que les contrats courts à durée déterminée et à temps partiel, puisqu'il est à durée indéterminée, il n'en reste pas moins aussi précaire et aussi dangereux, sinon davantage, dans la mesure où les salariés concernés ne bénéficient plus des droits et garanties de droit commun de notre législation sociale en matière, notamment, de licenciement et d'indemnisation de leur précarité. Cette forme de contrat de travail on ne peut plus souple est en passe d'être étendue à tous les jeunes de moins de vingt-six ans avec le contrat première embauche, le CPE, remake du contrat d'insertion professionnelle, le CIP, de Balladur en 1994 (M. Henri de Raincourt rit), en attendant l'ultime étape de sa généralisation et la réforme globale du contrat de travail. L'Observatoire français des conjonctures économiques, ou OFCE -, l'INSEE et l'Agence centrale des organismes de sécurité sociale, ou ACOSS, confirment pourtant les effets d'aubaine et le risque que ces contrats ne cannibalisent les contrats à durée indéterminée.
M. de Villepin affirme ainsi clairement son choix en faveur d'un modèle de flexibilité à l'anglo-saxonne dans lequel la précarité déjà généralisée est institutionnalisée, et les embauches facilitées par de nouvelles exonérations totales de cotisations sociales. Cela ne manque d'ailleurs pas de nous conduire à nous interroger, d'une part, sur le rôle réel du Conseil d'orientation de l'emploi, censé travailler sur l'efficacité des aides publiques à l'emploi et sur leur conditionnalité, et, d'autre part, sur le sérieux du pacte de rigueur budgétaire.
Dans le modèle ainsi retenu, les obstacles aux licenciements sont levés et le niveau de protection de ceux qui perdent leur emploi abaissé, la lecture des nouvelles conventions d'assurance chômage ne laissant aucun doute à ce sujet.
Restait tout de même à traiter de l'incitation au retour à l'activité des bénéficiaires de minima sociaux, maillons indispensables de la société de plein emploi précaire dessinée par la droite. C'est chose faite, en urgence et par le petit bout de la lorgnette, avec le présent projet de loi, qui traite uniquement des mécanismes d'intéressement pour les allocataires du revenu minimum d'insertion, de l'allocation de parent isolé et de l'allocation de solidarité spécifique, mais qui consacre tout un titre aux sanctions en cas de fraude aux minima sociaux.
Une fois encore, je ne peux qu'exprimer mon mécontentement à la fois sur le fond et sur la méthode suivie par le Gouvernement pour mener à bien ces réformes, en l'occurrence celle des minima sociaux.
Autant de précipitation et d'acharnement pousse à s'interroger sur les objectifs réels du Premier ministre. Vise-t-il vraiment le retour à l'emploi des personnes les plus éloignées du marché du travail ? Je ne le pense pas ; il n'aurait pu sinon se dispenser d'attendre les conclusions de la mission d'information du Sénat et aurait traité de la prise en compte sociale des titulaires de minima sociaux. Or l'accompagnement, dimension essentielle de l'insertion des individus en difficulté dans notre société, est précisément la grande absente du projet de loi.
On m'objectera qu'un texte est en préparation et qu'une fenêtre parlementaire lui est réservée ; soit. Mais alors, pourquoi une telle précipitation, préjudiciable à la qualité de nos débats ?
Mon ami Guy Fischer développera tout à l'heure d'autres arguments lorsqu'il défendra une motion tendant à opposer la question préalable. Celle-ci ne traduit pas un refus de notre part d'aborder la problématique des minima sociaux ; elle marque au contraire notre volonté d'en débattre globalement et sereinement, après consultation des partenaires institutionnels et associatifs.
Sur le contenu du projet de loi, nous ne manquerons pas non plus, en défendant nos quelque trente amendements, d'exprimer nos désaccords sur les mécanismes d'intéressement proposés, qui ne répondent pas à la volonté de simplification et de lisibilité pourtant explicitement affichée : ces mécanismes sont loin d'être aussi incitatifs qu'il n'y paraît et risquent fort d'être particulièrement injustes et pénalisants pour les personnes exerçant une activité professionnelle inférieure à 78 heures par mois. La réponse « nuancée » du rapporteur à la question de savoir si la réforme permettra d'augmenter le pouvoir d'achat des bénéficiaires de minima sociaux par rapport à celui qui est le leur avec le dispositif actuel renforce, vous vous en doutez, mes chers collègues, notre appréciation.
Nous marquerons également notre opposition au renforcement inacceptable des contrôles et des sanctions touchant, une fois de plus, des publics précarisés, et au rôle répressif que, madame la ministre, vous entendez faire jouer aux centres communaux d'action sociale, les CCAS.
Enfin, nous nous interrogerons sur la portée de l'article 6 garantissant une place en crèche aux parents de jeunes enfants retrouvant un emploi, dans la mesure où, par ailleurs, le Gouvernement se dispense bien de lever les vrais obstacles au retrait des femmes hors du champ du travail. Difficilement applicable concrètement, comme le Gouvernement en est conscient, cette disposition renvoie la responsabilité aux maires, une fois de plus sans leur donner davantage de moyens effectifs.
L'examen des principales propositions du rapporteur de la commission des affaires sociales ne laisse pas augurer d'une évolution sensible du texte, lequel manque manifestement d'ambition pour contribuer au développement de l'emploi. Pis encore, alors que ce projet de loi est déjà inacceptable en l'état, certains de nos collègues de l'UMP ou de l'UC-UDF, avec la bénédiction de la commission, proposent de le compléter par des amendements dans lesquels on trouve pêle-mêle atteintes aux heures supplémentaires, réduction des droits syndicaux, la cerise sur le gâteau étant le « cavalier » gouvernemental portant décision d'ordonnance et création dans six régions d'un nouveau contrat dit « de transition professionnelle ».
Madame la ministre, le gouvernement auquel vous appartenez méprise le travail parlementaire, tout le monde le sait.