Nous nous trouvons de nouveau ici devant un problème de cohérence.
Le projet de loi qui nous est présenté prétend favoriser la réinsertion des allocataires de minima sociaux. Qu'entend-on par réinsertion ? Et réinsertion dans quoi, au demeurant ?
La réinsertion dans l'emploi, qui semble être celle que vous visez, suppose, à notre sens, un minimum de stabilité. Les allocataires du RMI et de l'ASS sont des chômeurs de longue durée, et les allocataires de l'API sont en général des femmes dépourvues de qualification professionnelle, qui n'ont parfois jamais connu d'emploi.
Que vont-elles se voir proposer avec ce texte ? Un emploi, avec une prime de 1000 euros et une prime mensuelle forfaitaire. Sur quel type de contrat ? S'il s'agit d'un contrat aidé, ce contrat a au moins une date de début et une date de fin, avec, sauf pour le CIE dans le secteur marchand, un dispositif d'accompagnement ou de formation. S'il s'agit d'un CNE, il a une date de début, et rien d'autre !
Le mot « rien » est ici particulièrement adapté, puisque le salarié sait qu'il a aujourd'hui un emploi et un salaire, mais qu'il n'aura peut-être plus rien demain. Il sait aussi qu'il ne peut pas se loger dans ces conditions, sauf à être hébergé, qu'il ne peut pas obtenir le moindre crédit, qu'il ne peut pas faire de projet exigeant quelque investissement financier.
Le problème que pose ce texte, comme toutes les mesures que vous annoncez depuis quelques mois, c'est que vous condamnez une grande partie de nos concitoyens à une vie immédiate et sans projet.
Ce n'est pas tant dans le fait que des personnes occupent des emplois de services auprès de plusieurs employeurs que réside le problème - ces emplois sont utiles à la société et nous soutenons leur développement - que dans l'état d'insécurité permanente dans laquelle sont maintenus un nombre de plus grand de nos concitoyens, qu'ils aient un ou plusieurs employeurs.
Sans doute cette insécurité permet-elle de tenir les salaires à la baisse et d'empêcher les revendications, mais elle n'est pas un facteur de cohésion sociale. Au-delà d'un certain niveau, elle devient inacceptable, voire dangereuse pour l'économie. Plusieurs signaux devraient vous alerter. Le dernier en date est la brutale et stupéfiante baisse de la consommation en décembre. Les chiffres de novembre vont d'ailleurs être revus à la baisse, d'après le Figaro Économie.
Ce phénomène n'est pas tout à fait nouveau. Des salariés que l'on contraint à l'incertitude permanente du lendemain, dans un contexte de bas salaires, d'inquiétude sur les conditions de leur vieillesse et sur l'avenir de leurs enfants, ne sont pas enclins à soutenir l'économie par la consommation. Mais on va demander en plus, au bénéficiaire d'un CNE de s'investir dans son travail, alors qu'il sera dans une situation de précarité absolue pendant deux ans, ... s'il a la chance d'être gardé par son employeur pendant au moins 23 mois. Il - ou elle - va connaître cette incertitude permanente alors qu'il vient d'être rejeté par le monde de l'entreprise et qu'il est, de ce fait, déstabilisé sur le plan personnel et familial.
Mais de quelle insertion dans la société parle-t-on ? Pour la presque totalité de la population, c'est le travail qui structure la vie et qui insère dans la société. Toutefois, pour que le travail soit un facteur d'insertion, encore faut-il qu'il ne détruise pas le peu qui reste de qualité de vie aux plus démunis d'entre nous. Il doit les aider à sortir de la fragile sécurité que procure, par exemple, le RMI et à passer à une plus grande sécurité, à davantage de bien-être et de dignité.
Quel degré de sécurité peut procurer un emploi d'une précarité absolue ? Quelle avancée dans la dignité peut-on attendre de l'absence totale de droits qui en découle pour le salarié ?
De notre point de vue, l'insertion professionnelle, qui conditionne l'insertion dans la société, consiste à redonner un avenir à ceux qui ont le sentiment de ne plus en avoir.
Il n'y a pas de déclin, mais le monde du travail est de plus en plus largement dominé par l'angoisse du lendemain et la recherche d'un peu de sécurité, une sécurité qui se dérobe partout par le fait d'une politique qui organise délibérément la suppression de tous les droits des salariés.
S'il y a une cohérence dans les mesures que vous prenez, elle n'est qu'immédiate et ne profite qu'à une petite minorité.
Ce n'est pas à la cohésion sociale, mais, au contraire, à la déstructuration sociale que l'on assiste. Il y aura, ainsi, une caste de privilégiés, puis une catégorie de prestataires de services et de salariés qualifiés sous contrat précaire, mais encore relativement protégés par leur qualification, et enfin, une large catégorie de personnes peu qualifiées, qui vivront tantôt de petits boulots totalement précarisés et sous-payés, tantôt d'allocations. S'agissant de ces dernières, vous avez d'ailleurs prévu, lors de la discussion du projet de loi relatif à l'égalité salariale entre les femmes et les hommes, en déposant un amendement qui nous laisse un goût d'amertume, qu'elles pourront assurer quelques heures d'intérim pour compléter leur revenus.
Nous sommes en total désaccord avec ces orientations, indéfendables socialement et dangereuses économiquement. C'est pourquoi nous demandons que le Sénat se prononce, par scrutin public, sur le maintien ou non du CNE.