Intervention de Patricia Schillinger

Réunion du 27 juin 2011 à 10h30
Développement de l'alternance et sécurisation des parcours professionnels — Discussion en procédure accélérée d'une proposition de loi dans le texte de la commission

Photo de Patricia SchillingerPatricia Schillinger :

Tel n’a pas été le cas. Ils n’ont pas disposé de délais de négociation suffisants. Et le choix d’une proposition de loi permet aussi de passer outre l’avis du Conseil d’État !

Début mai, Pierre Méhaignerie, le président de la commission des affaires sociales de l’Assemblée nationale, a indiqué aux partenaires sociaux qu’il leur donnait jusqu’au 3 juin pour conclure un accord sur l’emploi des jeunes, ce qui était parfaitement irréalisable.

Un accord national interprofessionnel a finalement été conclu le 7 juin, mais il porte seulement sur l’alternance et les stages. Il convient d’ailleurs de rappeler que cet accord est en deçà du texte du collectif, lui-même téléguidé par l’Élysée sur le sujet.

Par ailleurs, les délais ne sont pas respectés au Sénat. Le texte à l’Assemblée nationale a été voté le 21 juin en fin d’après-midi et nous devions déposer les amendements en commission au Sénat le même jour à dix-sept heures. En pratique, c’est impossible. En effet, il n’est pas possible de déposer des amendements sur un texte qui n’a pas encore été transmis au Sénat. C’est la raison pour laquelle nous n’avons pas déposé d’amendements en commission. Ce n’est pas sérieux. Un peu de respect pour les parlementaires et leurs équipes, s’il vous plaît !

Ce texte concerne l’avenir de la jeunesse, la formation en alternance, l’emploi ou le reclassement des salariés licenciés économiques, autant de sujets importants qui demandent des débats approfondis. Il s’agit de plusieurs millions de salariés et de jeunes en formation.

De plus, on observe que le grand texte sur l’emploi, notamment l’emploi des jeunes, que l’on nous avait tant annoncé a disparu ainsi que les crédits afférents. Avec 23 % de chômage chez les jeunes, votre politique en matière d’emploi est un échec.

La proposition de loi que nous sommes amenés à examiner ne semble pas à la hauteur de ces enjeux, et l’on peut s’interroger sur ses objectifs. En effet, les principales mesures qu’elle comporte ont déjà été prises dans le cadre du projet de loi de finances rectificative ou par décret.

Le texte qui nous est présenté aujourd’hui propose la possibilité de conclure avec deux employeurs conjointement un contrat d’apprentissage ou de professionnalisation pour l’exercice d’activités saisonnières, ce qui concerne surtout le tourisme, l’agriculture et l’agroalimentaire. Cette mesure comporte des risques de dérive, dont la plus importante concerne la gestion de la pénurie de main-d’œuvre dans certains métiers. Dans les domaines de l’hôtellerie et de la restauration, plus particulièrement dans les régions touristiques, il est courant d’observer que certains métiers usent d’un grand nombre d’apprentis, dont 11, 6 % dans la restauration, 9 % dans l’agroalimentaire.

Cette disposition appelle plusieurs questions : comment s’harmoniseront les périodes en entreprise ? Quelles seront les conditions de validation des heures de formation ? Comment seront financés les organismes de formation sur ces types de formation ? Comment résoudre les problèmes d’hébergement et de transport, qui sont souvent un obstacle à la formation, surtout s’il y a une grande distance entre les deux activités saisonnières ? Que se passera-t-il en cas de rupture avec l’un des deux employeurs et pas avec l’autre ? Il n’est pas possible d’autoriser ce système avec légèreté ; cela pose beaucoup de questions et apporte peu de réponses. Pour des raisons pratiques, il semble indispensable que les deux contrats, voire les deux diplômes soient dans la même branche.

En moyenne, le taux de rupture des contrats d’apprentissage est de 20 %, et de 40 % dans la restauration. Les premiers motifs restent la mauvaise qualité des conditions de travail, la mésentente avec l’employeur, les rythmes de travail, les horaires excessifs ou inadaptés et la rémunération trop faible. Les ruptures sont beaucoup moins fréquentes dans l’industrie, qui dispose depuis longtemps de structures de formation de qualité. Selon une étude, 13 % des employeurs déclarent accueillir des apprentis comme supplément de personnel, et 6 % pour les avantages financiers.

J’ai bien peur que l’orientation qui nous est présentée aujourd’hui soit de « faire du chiffre », les alternants n’étant pas comptabilisés dans les statistiques du chômage. Et il apparaît que le véritable objectif est de fournir aux employeurs une main-d’œuvre précarisée, donc docile, non comprise dans les seuils d’effectifs sociaux et sous-payée. Aucun engagement d’embauche en contrat à durée indéterminée n’est demandé aux employeurs après l’obtention de titres. Cela ne permettra pas de revaloriser la formation en alternance.

Il est essentiel d’améliorer l’image de l’apprentissage ainsi que sa qualité, tant matérielle que pédagogique.

Par ailleurs, ce texte permet à des élèves ayant accompli la scolarité du premier cycle de l’enseignement secondaire et n’ayant même pas encore atteint l’âge de quinze ans de signer un contrat d’apprentissage, c’est-à-dire un contrat de travail, ce qui constitue de facto une légalisation du travail dès quatorze ans. Il n’est pas acceptable de permettre l’apprentissage à quatorze ans. Une telle mesure remet en cause deux principes : l’obligation scolaire jusqu’à seize ans et le fait qu’un jeune puisse travailler seulement à partir de seize ans. Nous voulons protéger le travail des mineurs et des enfants, car, je le répète, les conditions de travail sont souvent mauvaises, avec des rythmes de travail et des horaires excessifs ou inadaptés.

De plus, la proposition de loi souhaite transformer la nature des groupements d’employeurs, qui deviennent progressivement des formes d’entreprises de travail temporaire.

Issu de la loi du 25 juillet 1985, ce dispositif d’abord réservé aux petites entreprises de moins de dix personnes a été étendu à celles employant jusqu’à 300 salariés avec l’existence d’un accord collectif. Il respecte deux règles majeures : la solidarité entre membres du même groupement et l’impossibilité pour la même entreprise d’être membre de plus de deux groupements à la fois.

Aujourd’hui, vous nous proposez d’adopter un certain nombre de règles qui dénatureront totalement les groupements d’employeurs. Avec ce nouveau cadre juridique, vous permettez la possibilité de détourner le code du travail. En effet, le texte renforce la flexibilité au bénéfice des entreprises et aux dépens de la protection des salariés.

Je tiens à souligner que nous soutenons l’alternance, mais une alternance de qualité, pas celle du chiffre. Actuellement, 600 000 jeunes sont en alternance, dont 418 000 en contrat d’apprentissage. L’État veut porter le chiffre de 800 000 jeunes en alternance à l’horizon de 2015. Or cela coûterait 1 milliard d’euros. Le projet de loi de finances rectificative pour 2011 et ce texte permettent de mobiliser à peine 70 millions d’euros. Qui va payer la différence ? Une fois de plus, c’est sur les régions qu’on fera porter le développement de l’apprentissage. Et cela sans concertation !

En outre, nous aurions souhaité un dispositif plus clair sur la carte d’étudiant des métiers, afin de garantir les mêmes droits à tous les étudiants en formation, y compris aux apprentis. L’ensemble des mesures de cette proposition de loi détricotent une fois de plus le code du travail. On surfe toujours sur la même vague, celle de la flexibilité et de la précarité au détriment des conditions de travail et des salariés !

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