Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est légitime de s’interroger sur l’opportunité d’un débat sur la politique agricole commune, la PAC, à quelques encablures des élections européennes du 7 juin prochain.
Ce débat sur l’initiative de l’UMP vise-t-il à l’autosatisfaction ou, au contraire, à la promotion d’un florilège de correctifs à l’issue du bilan de santé de la PAC, afin de se donner bonne conscience ? S’agit-il d’un débat à 514 millions d’euros, somme à répartir au sein des filières d’ici au 1er août 2009 ? Ce débat prépare-t-il la loi de modernisation de l’agriculture prévue à l’automne ? Allons-nous nous inquiéter du poids de l’agriculture française au sein des décisions des Vingt-Sept et de l’avenir de l’agriculture européenne sur le plan mondial ? Enfin, que sera la PAC après 2013 et quels effets aura-t-elle sur notre agriculture ? Le débat est inquiétant à un moment où nos « experts » ont d’énormes difficultés à anticiper ce qui va se passer dans les six mois à venir.
L’intervention préliminaire de notre collègue Henri de Raincourt montre que mes interrogations ne sont pas éloignées de la vérité ; la suite du débat devrait le confirmer.
Pour le groupe communiste, républicain, citoyen et des sénateurs du parti de gauche, je m’efforcerai de donner notre conception d’une politique agricole commune qui prendrait le contre-pied de celle de Mme Fischer Boel, des libéraux et des lobbies de Bruxelles.
Au moment où l’on parle beaucoup de bilan de santé, il nous semble indispensable de dresser un réel bilan de la PAC depuis 1962 et surtout depuis 1992, tournant libéral de la PAC.
Pour comprendre la PAC, il faut en connaître l’histoire et les grandes lignes directrices.
Pour contrer les pénuries alimentaires de l’après-guerre, l’Europe naissante a, en 1962, institué la politique agricole commune autour de trois principes fondamentaux.
Le premier principe est un marché unifié impliquant la libre circulation des produits agricoles sur le territoire des États membres. Ce principe a malheureusement trop souvent servi à mettre en concurrence, donc en péril, des productions régionales au profit des spéculateurs, des intermédiaires et de la grande distribution.
Le deuxième principe est la préférence communautaire. Ce principe de solidarité et de protection n’a jamais fonctionné correctement. Il est contraire aux orientations de l’Organisation mondiale du commerce, l’OMC, qui, en abaissant les tarifs douaniers, favorise la pénétration des produits étrangers en Europe, le dumping et la concurrence déloyale.
Le troisième principe est la solidarité financière qui mettait à la charge du budget communautaire la totalité des dépenses de la PAC. Ce principe a connu un premier accroc avec la Grande-Bretagne, Mme Thatcher ayant réclamé son chèque.
Aujourd’hui, la renationalisation de la PAC est en route et les aides directes sont en déroute !
Les cinq objectifs initiaux de la PAC étaient les suivants : accroître la productivité, assurer un niveau de vie équitable aux producteurs, stabiliser les marchés, garantir la sécurité des approvisionnements et assurer des prix raisonnables.
S’agissant de la productivité, il faut reconnaître que l’objectif a été atteint, puisqu’elle a été multipliée environ par quatre depuis quarante ans.
La sécurité des approvisionnements est plutôt satisfaisante en Europe, d’un point de vue tant qualitatif que quantitatif. Toutefois, il faut souligner une forte dépendance protéique et une balance défavorable entre les exportations de produits agricoles pour 108, 86 milliards en 2007, contre 149, 46 milliards d’importations. Ce grand marché attise les convoitises de grands pays exportateurs, comme les États-Unis, le Brésil, le Canada, la Chine, l’Argentine et la Thaïlande, convoitises qui pèsent sur les négociations au sein de l’OMC.
Le bilan est beaucoup moins flatteur pour les trois autres objectifs.
En ce qui concerne le niveau de vie équitable, les revenus révèlent de très fortes disparités selon les secteurs d’activités et les exploitations.
Le revenu agricole moyen par actif se situe entre 12 000 euros et 40 000 euros, selon que l’on est éleveur ovin, grand céréalier ou producteur de vins d’appellation d’origine. Ces moyennes cachent malheureusement des revenus bien plus bas et des situations familiales dramatiques.
Le système des aides a contribué à accentuer les disparités au lieu de les gommer. Nous aurons l’occasion de revenir sur ce sujet en évoquant le bilan de santé de la PAC.
La stabilisation des marchés est un échec au regard des crises cycliques qui frappent la quasi-totalité des filières : le porc, le lait, le vin, les fruits et légumes, les ovins, la viande bovine... Chaque crise emporte les exploitations en difficulté et accroît la concentration.
Depuis plusieurs décennies, les mêmes recettes sont appliquées en temps de crise, et cela sans efficacité réelle sur les plans humain et social, qu’il s’agisse des restitutions à l’exportation, des aides au stockage, des prêts bonifiés, des reports de cotisations, des aides exceptionnelles et autres plans d’urgence.
Jusqu’à présent, aucun gouvernement n’est parvenu à assurer des prix garantis et rémunérateurs. Sans doute faut-il chercher dans les fondements même des traités européens l’origine de ces échecs, dans la mesure où la teneur libérale de ces textes interdit toute possibilité de réelle régulation.
Le dernier objectif – les prix raisonnables à la consommation – pose tout le débat sur les marges de la grande distribution et l’échec des différents textes de loi visant à moraliser les pratiques inqualifiables, les pressions sur les fournisseurs et les producteurs.
Oui, la PAC est souvent montrée comme étant parée de toutes les vertus. La réalité est beaucoup moins élogieuse au regard de ses objectifs initiaux.
Après le Livre vert de 1985, dans lequel il était proposé de rétablir l’équilibre entre l’offre et la demande, ce fut l’époque des quotas laitiers.
C’est en 1992, année de la réforme de Mac Sharry, que la PAC a connu un véritable tournant avec la diminution des prix agricoles en vue d’une plus grande compétitivité aux échelons local et mondial, la diminution des prix devant théoriquement être compensée par des aides.
L’Agenda 2000 a prolongé la réforme de 1992 par l’amélioration de la compétitivité des produits agricoles, la promotion d’un niveau de vie équitable, toujours sans succès, l’élaboration d’une nouvelle politique de développement rural par le deuxième pilier de la PAC et l’intégration de notions nouvelles à caractère environnemental, de notions de qualité et de sécurité alimentaire, de bien-être animal et, enfin, de simplification de la législation.
On sent bien, à ce moment, le poids de l’opinion publique en matières environnementale et sanitaire à la suite des grandes crises de l’encéphalopathie spongiforme bovine, ou ESB, et de la listériose, et le souci des instances européennes de « verdir » ses politiques pour les rendre plus acceptables.
L’accord de Luxembourg, dont les négociations ont été menées par Franz Fischler, introduit la nouvelle PAC, avec le fameux découplage des aides et de la production, la diminution des restitutions à l’exportation et l’écoconditionnalité des aides. C’est alors que sont créées les conditions pour aller vers 2013, avec un bilan de santé de la PAC et la remise en cause de tout un système, certes très injuste. Mais le pire est à venir !
Venons-en au « bilan de santé » de la PAC, qui est d’ailleurs non pas un bilan, mais un projet d’adaptation n’apportant pas beaucoup d’espoir à la profession pour la santé à venir du monde agricole. Toutefois, il faut reconnaître qu’un certain nombre d’éléments vont dans le bon sens, monsieur le ministre.
Les syndicats agricoles, comme le MODEF et la Confédération paysanne, ont souligné la reconnaissance par « le bilan de santé » de l’élevage à l’herbe et un début d’équité en matière de répartition des aides. Selon votre ministère, en 2006, 56 % des aides étaient attribuées à 20 % des bénéficiaires. Le recul de 15 % des revenus en 2008 avait créé une situation explosive qu’il était urgent de contenir et de corriger. En 2010, 18 % des aides directes, soit 1, 4 milliard d’euros, vont être réorientées. Dès 2009, 2 % vont passer du premier au deuxième pilier, au titre de la modulation.
Monsieur le ministre, je ne peux m’empêcher de rappeler que, dès son arrivée, votre majorité s’était empressée de supprimer la modulation des aides et les contrats territoriaux d’exploitation, les CTE, deux éléments majeurs de la réforme Glavany qui auraient pu donner à l’agriculture un caractère plus juste et plus durable.
Nous ne saurons qu’au 1er août quelle sera l’exacte répartition des aides au regard des 514 millions d’euros – si ce chiffre est juste ! – qui restent à répartir entre les filières. Allez-vous donner raison à la bronca des céréaliers ou, au contraire, soutenir davantage les filières en difficulté ? Je pense, bien sûr, à la filière porcine et à la filière laitière qui sont en crise, en Bretagne tout particulièrement. De belles exploitations, apparemment solides, sont en règlement judiciaire en raison d’un endettement provoqué par les crises successives, la flambée des matières premières et la chute des cours.
Monsieur le ministre, j’entends souvent dire : « plutôt des prix que des primes ». Effectivement, la réduction des aides envisagée après 2013 ne sera supportable qu’avec la légalisation d’une politique de prix garantis et rémunérateurs. Dans ce cas, et seulement dans ce cas, les aides auront une plus grande relativité et devront servir avant tout les disparités de productivité de nos régions et les filières les plus fragiles.
Monsieur le ministre, vous avez emprunté la bonne direction en ce qui concerne le rééquilibrage des aides, l’élevage à l’herbe, le plan protéines et la gestion des risques. Mais tout cela restera très fragile, voire illusoire, si nous n’allons pas plus loin. Les faiblesses sont là : demain, en 2015, la fin des quotas laitiers et celle des exploitations laitières traditionnelles ; demain, le découplage total, ce qui est une aberration !
L’après-2013 laisse présager une baisse très sensible des aides et un affaiblissement du budget européen.
Les mêmes règles de partage pour les nouveaux entrants – c’est d’ailleurs un principe juste – vont pénaliser les autres pays, que ce soit à budget égal ou inférieur.
Nous pouvons raisonnablement craindre une accélération du caractère libéral de l’agriculture par le jeu de la concurrence libre et non faussée, et le poids accru de l’OMC sur les marges de manœuvre de l’Union européenne. En effet, l’après-2013 relève de certitudes inquiétantes et d’incertitudes non moins inquiétantes. Comment s’effectueront les compensations face à la réduction des aides ?
La France va-t-elle demander encore plus de latitude en matière de répartition et aller progressivement vers une renationalisation des aides ?
Envisagez-vous de plafonner les aides par actif et par exploitation, et de supprimer la proportionnalité à la surface et les références historiques qui sont injustes ?
Quel va être l’avenir de la régionalisation des aides au sein du deuxième pilier ?
Allez-vous enfin légiférer en faveur d’une politique de régulation des prix de vente des producteurs et des prix d’achat des consommateurs ?
Pour rassurer, certains misent sur des cours élevés à la production au regard de la croissance mondiale. Cela n’est souhaitable pour personne, à l’exception des spéculateurs. On vient de constater les effets désastreux de la flambée des cours des céréales. Ce qu’il faut, ce sont des prix stables et rémunérateurs.
La crise financière et monétaire mondiale a révélé des comportements spéculatifs assassins, auxquels les denrées agricoles n’ont pas échappé, comportements qui se poursuivent aujourd’hui.
Bien que ses responsabilités soient immenses, la politique agricole commune peut relever le défi alimentaire local et mondial. Chaque pays européen doit tendre vers la souveraineté alimentaire et tout faire pour conserver, voire pour développer, sa puissance humaine et productive en matière agricole. Cela ne se fera pas sans des agriculteurs capables de vivre du produit de leur travail. N’oublions jamais le rôle essentiel et structurant que jouent ces derniers dans le milieu rural, les emplois induits par leurs activités et leur contribution à l’aménagement du territoire.
La préférence communautaire doit être réactivée par la taxation d’importations abusives et la mise en place de calendriers d’importations intracommunautaires.
La mission prioritaire de l’agriculture doit être l’alimentation humaine. Il faut dissuader la spéculation sur les produits alimentaires par tous les moyens fiscaux et juridiques.
Le projet de loi de modernisation de l’agriculture et de l’agroalimentaire prévu l’automne prochain va-t-il acter la mort programmée de la PAC et de la régulation ? Il y a fort à craindre qu’il ne s’agisse d’un texte d’adaptation à une agriculture de rendement, destinée à être compétitive au niveau mondial et confiée aux mains des banques et des spéculateurs. Nous préférons une agriculture diversifiée de production et d’aménagement du territoire, à dimension humaine.
Les semaines à venir seront l’occasion de confronter nos versions respectives de la PAC, à condition que les grands médias daignent y consacrer du temps. Jusqu’à présent, nous avons plutôt l’impression qu’il importe de ne pas parler des élections européennes, et encore moins du Front de Gauche, auquel nous participons et qui se veut un nouveau Front populaire en faveur de l’Europe des peuples et des solidarités.