Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis près de cinquante ans désormais, la PAC est la principale politique européenne. Elle a notamment permis de faire de l’Europe une grande puissance agricole. Depuis le début des années quatre-vingt-dix, elle a prouvé sa capacité à se réformer en profondeur pour mieux répondre aux attentes de la société.
Désormais, la PAC n’a plus pour unique objectif d’encourager la production ; elle vise à garantir une agriculture européenne compétitive, capable de maintenir la vitalité du monde rural et de répondre aux exigences des consommateurs, aux exigences de qualité et de sécurité des denrées alimentaires, tout en respectant l’environnement et le bien-être animal.
La PAC a connu un processus de réforme quasi permanent qui a conduit peu à peu à l’émergence d’une double logique sous-tendant désormais l’ensemble des aides : un découplage, qui va de pair avec une modulation de plus en plus marquée.
Le bilan de santé, tel qu’il a été conclu, marque en quelque sorte l’achèvement de cette logique. Nous allons au bout du découplage, puisque seules quelques rares productions resteront couplées dans les années à venir. Parallèlement, la modulation des aides est accrue, même si vous avez réussi, monsieur le ministre, à minimiser le niveau du transfert du premier vers le deuxième pilier tel que l’avait initialement prévu la Commission.
Avant de revenir plus en détail sur le contenu de cet accord et, surtout, sur la façon dont la France va l’appliquer, je tenais à rappeler que les décisions prises par les ministres de l’agriculture, aussi douloureuses soient-elles pour tous les agriculteurs, n’en sont pas moins indispensables.
En effet, le cadre financier de la PAC, qui a été fixé en 2002 pour les dix années suivantes, sera automatiquement remis en cause après 2013, les nouveaux pays entrants, caractérisés par un fort secteur agricole, devant bénéficier d’une part beaucoup plus large des aides de la PAC, qui, rappelons-le, restent stables, malgré l’entrée de tous ces pays.
À l’heure actuelle, la France demeure la première bénéficiaire de cette politique : les aides de la PAC se montent au total, pour notre pays, à 10, 5 milliards d’euros par an environ.
Dans cette perspective, et sans que soit remise en cause cette politique qui a fait ses preuves, un ajustement de la PAC était indispensable. C’est là tout l’enjeu du bilan de santé.
La Commission européenne avait publié, à la fin du mois de novembre 2007, un premier état des lieux, assorti de grandes lignes d’orientation. Puis, au mois de mai 2008, elle a formulé une série plus précise de propositions tendant à moderniser et à simplifier la PAC.
L’adoption de ce bilan de santé était l’une des priorités de la présidence française. Monsieur le ministre, vous avez réussi à mener à bien ces négociations et accompli un difficile travail de conciliation, malgré la situation que vous avez trouvée. Soyez-en remercié.
L’accord obtenu, comme je l’ai déjà souligné, est loin d’être satisfaisant. Vous avez dû faire face à une proposition initiale de la Commission à laquelle la France, à juste raison, n’était pas favorable. Le résultat obtenu, s’il a permis d’améliorer très sensiblement la proposition de la Commission, est loin de faire l’unanimité parmi les agriculteurs et leurs représentants. Il consacre un pas supplémentaire vers une dérégulation de la politique agricole commune européenne.
Les outils de régulation voient leur portée réduite– c’est le cas pour les dépenses d’intervention – ou menacée à terme – c’est le cas pour les quotas laitiers –, tandis que le découplage de la quasi-totalité des aides est décidé. C’est donc bien la fin d’une certaine PAC.
Si je ne remets nullement en cause la nécessité d’adapter cette politique dans la perspective de l’après-2013, je regrette cependant la disparition d’outils de régulation économique, qui ont prouvé par le passé leur utilité et leur efficacité en matière de régulation des cours.
Alors que nous traversons une période d’extrême volatilité des cours des matières premières agricoles, notamment des céréales, je trouve dommage de se priver de ces outils.
J’en viens maintenant aux modalités que vous avez définies de mise en œuvre de ce bilan de santé.
Les chiffres parlent d’eux-mêmes : 18 % des aides, soit 1, 4 milliard d’euros, seront réattribuées dès 2010 sur d’autres bases que des références historiques individuelles. Il s’agit là d’une refonte complète des aides de la PAC.
Monsieur le ministre, vous avez déjà eu l’occasion de vous expliquer longuement sur ces modalités de mise en œuvre. Chaque fois, vous avez répété votre conviction que si nous voulions préserver l’essentiel, à savoir une politique agricole commune, il était nécessaire d’accepter ces mesures, dont vous n’avez pas nié le caractère douloureux. Je partage tout à fait votre sentiment. Nous n’avons pas encore mesuré à quel point 2013 risque d’être une année de fracture profonde pour l’agriculture française. Il est donc indispensable de s’y préparer dès à présent.
Le plan que vous nous proposez met l’accent essentiellement sur l’élevage à herbe et les cultures herbagères, ainsi que sur d’autres activités défavorisées, comme l’élevage caprin et ovin. Cette évolution nécessaire a le grand mérite de rétablir une plus grande justice dans la distribution des aides de la PAC.
En effet, à l’heure actuelle, les grandes cultures représentent, en volume, près de 69 % de ces aides, alors qu’elles ne correspondent qu’à 23 % des exploitations.
La mise en œuvre du bilan de santé, telle que vous l’avez décidée, devrait ainsi permettre de garantir une plus grande homogénéité du revenu des agriculteurs. Cela est indispensable, car leur revenu moyen varie énormément selon les secteurs d’activité et les modes de production.
Ce rééquilibrage des aides de la PAC va également se traduire par une réorganisation de leur répartition géographique. En effet, d’après une étude de l’INRA, la redistribution induit un transfert des régions localisées au nord d’une ligne Bordeaux-Metz vers celles qui sont situées au sud de cette ligne, où se trouvent la quasi-totalité des zones défavorisées simples et des zones de montagne. Au total, la redistribution des aides pénaliserait, selon l’INRA, 159 000 exploitations professionnelles sur les 322 000 qui ont été recensées en 2007.
L’impact du bilan de santé est donc considérable. Plus de la moitié des exploitations seront pénalisées. Dans ces conditions, peut-être aurait-on pu envisager d’échelonner sur plusieurs années les transferts d’aides. Certes, il y a urgence à faire évoluer les aides de la PAC, mais peut être aurait-il fallu mieux prendre en compte la conjoncture actuelle.
En effet, l’année 2008 a été marquée par la hausse générale des prix des moyens de production, à savoir l’énergie et les engrais. Par ailleurs, le prix des céréales a marqué un net repli, après la très forte hausse de 2007.
Ainsi, après avoir très fortement progressé au cours des deux années précédentes, le revenu net par actif de l’ensemble de la branche agriculture a enregistré une baisse de 15 % en 2008.
Vous me répondrez, monsieur le ministre, que le Gouvernement a prévu une aide ciblée de 170 millions d’euros pour accompagner les exploitations fragilisées par la réorientation des aides. Cette dotation sera-t-elle pérenne jusqu’en 2013 ?
Je souhaitais également attirer votre attention sur la situation des régions intermédiaires, comme le Lot-et-Garonne. Ces zones sont caractérisées par des potentiels agronomiques, des niveaux d’aides et de revenus plus faibles. Or, d’après l’étude de l’INRA précitée, les agriculteurs des zones intermédiaires pourraient perdre jusqu’à 30 % de leur revenu.
Une étude de la chambre régionale d’agriculture d’Aquitaine confirme également ces données : pour mon département du Lot-et-Garonne, ce sont 15 millions d’euros, sur 83 millions d’euros, qui seraient supprimés. Heureusement pour nos agriculteurs, l’aide à la prune est préservée, ce dont je vous remercie, monsieur le ministre, sachant la part que vous avez prise dans cette décision.
Vous avez déjà suggéré à plusieurs reprises la possibilité d’une aide « rotationnelle » pour limiter le poids des prélèvements programmés dans les zones intermédiaires. Pourriez-vous nous préciser ce que vous entendez par là ?
Cette aide, pour être vraiment efficace, doit être allouée en fonction de critères simples, correspondant à la réalité concrète des exploitations. L’irrigation des parcelles ne doit pas être un obstacle et, surtout, il ne faut pas multiplier les contraintes administratives, contrairement à ce qui prévalait précédemment.
Quant aux aides à l’herbe, le détail des mesures est très important. Si la subvention était limitée aux cinquante premiers hectares, cela ne pénaliserait que peu d’élevages dans mon département ; en revanche, si on appliquait des critères de spécialisation en matière d’élevage, ainsi que cela a été évoqué, cela exclurait la quasi-totalité de mon département.
Enfin, vous connaissez mon engagement de longue date pour la mise en place d’une véritable assurance agricole. Je me félicite donc que la couverture des risques climatiques et sanitaires fasse explicitement partie des quatre objectifs prévalant dans la mise en œuvre du bilan de santé. Toutefois, je souhaiterais obtenir des précisions sur le dispositif envisagé. En effet, vous avez annoncé que 140 millions d’euros seront consacrés à cet objectif, soit 100 millions d’euros pour la généralisation de l’assurance récolte et 40 millions d’euros pour la création d’un fonds sanitaire destiné à indemniser les conséquences des incidents sanitaires sur les productions animales et végétales.
Ces dotations, mêmes si elles ne permettront pas de tout faire, sont déjà importantes. Nous savons tous que la mise en place d’une assurance récolte à grande échelle, même si elle n’est pas obligatoire, aura un impact financier très important pour l’État. Ainsi, l’Espagne dépensera cette année 280 millions d’euros au titre de l’assurance récolte, alors que seulement 50 % de ses exploitations sont assurées.
Surtout, monsieur le ministre, je souhaite savoir si le dispositif prévoit la prise en compte par l’État de la garantie de réassurance. Il s’agit là d’une condition indispensable à un engagement massif des assureurs, et donc à la généralisation de l’assurance récolte à une majorité d’exploitations.
II en est de même pour le fonds sanitaire. Si l’on compare les 40 millions d’euros de dotation de ce fonds au coût global de la seule fièvre catarrhale ovine, ou FCO, on peut douter de l’efficacité de cet outil.
Depuis 2008, ce sont plus de 82 millions d’euros pour les aides à la vaccination, 130 millions d’euros pour les aides économiques en soutien aux filières d’élevage et 19 millions d’euros pour les autres mesures vétérinaires qui ont été mobilisés pour faire face à la crise que connaissent les éleveurs français.
On peut toujours discuter du montant des crédits proposés. Je considère pour ma part qu’il s’agit de sommes très importantes qui permettront la mise en place d’outils indispensables à notre agriculture. Je me réjouis de l’orientation choisie par le Gouvernement, qui marque une rupture dans la gestion des crises agricoles.
Monsieur le ministre, il me reste à vous féliciter pour ces deux ans passés à la tête de ce beau ministère, que vous avez su réformer et moderniser. De la FCO aux OGM, en passant par les blocages de ports ces dernières semaines, vous avez été confronté à de nombreuses difficultés. Vous y avez fait face en ayant toujours la volonté de sauvegarder les intérêts de l’agriculture et des agriculteurs français : soyez-en remercié. Je vous remercie également très sincèrement pour votre disponibilité et votre écoute.