Monsieur le président, mesdames les secrétaires d’État, mes chers collègues, l’adoption, sans conteste, est un geste d’amour généreux destiné à donner une famille à un enfant, et, ainsi, à faire le bonheur de ce dernier.
Cette démarche doit toutefois, dans les faits, être davantage clarifiée et mieux encadrée.
La convention de La Haye vise à protéger l’enfant, entre autres éléments, des dérives éthiques et financières qui peuvent entourer l’adoption. Des mesures sont ainsi mises en place pour maintenir l’enfant dans sa famille biologique ou lui trouver une famille d’accueil dans son pays d’origine. La France, pays des droits de l’homme, ne peut que se réjouir de la réduction du nombre d’enfants abandonnés ou confiés à des orphelinats dans les soixante-dix-huit pays signataires de cette convention.
Cette évolution a cependant pour effet de limiter dans les faits les possibilités d’adoption sur le plan national comme sur le plan international, et elle crée un fort déséquilibre entre la demande de parents français candidats à l’adoption et le nombre d’enfants véritablement adoptables ou adoptés.
Sur le plan national, les procédures pour rendre un enfant adoptable sont certes complexes et mériteraient d’être assouplies. La décision du magistrat de rendre adoptable un enfant n’en est pas moins lourde de conséquences, tant pour l’enfant lui-même que pour ses parents. Si des améliorations peuvent être recherchées en liaison avec la justice et les services sociaux, il est néanmoins illusoire de penser que quelques cas emblématiques seraient le reflet d’un dysfonctionnement généralisé et que leur règlement permettrait de répondre à toutes les demandes des familles.
Quelques chiffres à ce sujet : en France, 28 000 familles attendent un enfant pour 3 000 pupilles et moins de 800 adoptions annuelles. Il est vrai que, comme cela a déjà été souligné, les familles souhaitent accueillir des enfants jeunes et – faut-il le dire ? – en bonne santé.
Sur le plan international, on évalue en 2008 le nombre d’enfants adoptés dans le monde entre 30 000 et 40 000, alors que la France, à elle seule, compte près de 28 000 agréments en cours de validité ! Des pays comme Madagascar, la Chine ou le Vietnam ont récemment ratifié la convention de La Haye, qui interdit toute démarche individuelle d’adoption internationale. Dans le monde, le nombre d’adoptions internationales a diminué dans la quasi-totalité des pays d’accueil, notamment de 10 % aux États-Unis et de 25 % en Norvège. En France, on accuse un recul de 20, 5 % entre 2006 et 2007, notamment en raison de l’allongement du délai des procédures en Chine et de la fin des procédures individuelles au Vietnam.
On observe ainsi beaucoup de souffrance chez les parents adoptants en attente, qui disposent d’un agrément et ne voient pas leurs souhaits légitimes se réaliser.
Aussi, il me semble urgent de tenir sur l’adoption un langage de vérité et de responsabilité.
En premier lieu, il convient de spécifier avec franchise aux parents que l’agrément qui leur est délivré, souvent après un véritable parcours du combattant particulièrement éprouvant, ne leur donne aucun droit acquis impératif, pas plus que la certitude d’un « résultat ». Comme beaucoup d’orateurs l’ont rappelé, l’adoption consiste avant tout à donner des parents à un enfant, avant d’ouvrir un droit aux parents adoptants, dont l’attente reste par ailleurs tout à fait légitime. Un travail d’information préalable des candidats s’avère donc nécessaire sur la réalité de la situation.
En second lieu, les pays ayant ratifié la convention de La Haye refusent désormais les démarches individuelles. C’est notamment ce qui a justifié, en 2005, la création de l’Agence française de l’adoption, dont les résultats limités ont déçu les espérances suscitées par sa création. Néanmoins, avant de faire le procès de l’AFA, ne convient-il pas de s’interroger sur une spécificité bien française, qui veut que les candidats à l’adoption de notre pays ne conçoivent pas d’accueillir des enfants autrement que sous le régime de l’adoption plénière ? Cette pratique, qui efface l’état civil de l’enfant, pénalise la France par rapport aux pays qui, en pratiquant l’adoption simple, moins exclusive, laissent une place à l’histoire de l’enfant. C’est un véritable paradoxe français dans un contexte où l’accès aux origines est avancé comme un droit de l’enfant.
Sans doute convient-il de faire évoluer notre vision sur le sujet, d’autant plus que les droits reconnus à l’enfant, sous régime plénier ou simple, ne sont pas si éloignés les uns des autres ! C’est du reste la conclusion préconisée par mes collègues auteurs du récent rapport du Sénat, lesquels proposent de donner une « nouvelle chance pour l’Agence française de l’adoption ».
En conclusion, c’est une réflexion d’ensemble qu’il nous faut engager, dans l’unique intérêt de l’enfant. Faciliter l’adoption simple par une meilleure information, sensibiliser les travailleurs sociaux et les juges pour améliorer les procédures nationales et procéder à des signalements plus précoces, développer l’adoption internationale en intégrant mieux les cultures et sensibilités des pays concernés, réguler la délivrance des agréments pour ne pas laisser espérer en vain certains parents adoptants : telles sont les pistes qui rationaliseraient utilement le dispositif des adoptions en France.
Répondre à l’attente des familles, à la faveur d’une nouvelle loi, ne peut se résumer à vouloir ajuster une offre de plus en plus rare à une demande croissante. Seule une vision globale et équilibrée de ce dossier si chargé d’émotions contradictoires pourra, en mettant l’enfant au centre de la démarche, offrir une solution acceptable.