... et, plus surprenant encore, vous avez ouvert aux investisseurs privés le capital d'AREVA, entreprise du nucléaire civil.
Ce double discours révèle des conflits d'intérêts majeurs entre la promotion du développement durable et les intérêts économiques des grandes sociétés, notamment des entreprises pétrolières.
Cependant, comment peut-on imaginer que la libéralisation à tout crin que l'Union européenne propose et que notre gouvernement met en oeuvre avec zèle puisse aboutir à une meilleure prise en compte de l'intérêt général et de la nécessité de préserver le patrimoine public ? Le marché ne peut pas prendre en compte l'intérêt général, et encore moins oeuvrer en ce sens.
La soumission des entreprises aux règles de gestion privée induit nécessairement la recherche de la rentabilité maximale. L'utilité humaine, sociale, environnementale n'intéresse pas les actionnaires, car elle n'est pas source de profit.
Ainsi, les catastrophes écologiques et les menaces climatiques qui pèsent sur notre planète ne peuvent être évaluées indépendamment du système économique et social dans lequel elles ont lieu. Il faut en tenir compte, et s'attaquer aux causes plutôt qu'aux effets.
Au moment même où vous nous proposez de graver dans le marbre ces principes de soumission de toutes les activités humaines à la loi du marché par le traité établissant une Constitution pour l'Europe, il faudrait débattre avec le sérieux que cela mérite de la question fondamentale de la gestion des déchets radioactifs, alors même que certains commissaires européens souhaiteraient que les déchets soient considérés comme de simples marchandises.
Cette question tient particulièrement au coeur des membres du groupe communiste républicain et citoyen, mais rien ne sert d'en débattre si nous ne remettons pas en cause les comportements des multinationales et les orientations des politiques publiques qui exploitent sans limite les ressources de notre planète au lieu de les préserver.
La question du devenir énergétique de la planète est pourtant au coeur des grands défis sociaux, scientifiques et politiques. Celle du devenir même de l'humanité est posée à l'horizon du siècle qui s'ouvre. En effet, l'augmentation de la production d'énergie dans les prochaines décennies est une nécessité politique, mais aussi une réalité démographique. La population mondiale atteindra très vraisemblablement plus de 9 milliards de personnes en 2050, et la maintenir à ce seul niveau suppose des avancées politiques considérables sur tous les continents.
Par ailleurs, la consommation actuelle d'énergie est très inégale dans le monde : elle s'élève à huit tonnes d'équivalent pétrole par habitant et par an aux Etats-Unis, à quatre tonnes d'équivalent pétrole en Europe et au Japon, et à moins d'une tonne d'équivalent pétrole dans le reste du monde, en Chine, en Inde, en Afrique. De plus, 40 % de l'humanité n'a pas accès à l'électricité et, bien entendu, les inégalités concernent l'accès non seulement à l'énergie, mais également à l'eau potable, à la santé.
Sans que ces inégalités se réduisent à des questions énergétiques, le développement des peuples exige le recours à des ressources en énergie. Si nous nous fixons pour objectif que chacun sur la planète ait accès, d'ici à cinquante ans, à la moitié de ce dont nous disposons aujourd'hui en Europe, il faudrait pouvoir au moins doubler la production énergétique globale.
D'autre part, l'essentiel de la production énergétique actuelle, soit plus de 80 %, est basé sur des ressources dites « fossiles », qui s'amenuisent tellement que la question de l'existence de réserves accessibles à des échelles de temps très inférieures au siècle est posée. De plus, les énergies fossiles engendrent des déchets considérables sous la forme principalement de gaz carbonique, responsable, en grande partie, de l'effet de serre.
Pour répondre à ces défis, il nous faut oeuvrer pour une politique énergétique s'intégrant dans un développement durable, pour une politique diversifiée, économe en ressources fossiles, respectueuse des équilibres écologiques et climatiques, produisant un minimum de déchets. Cependant, la mise en oeuvre d'une telle politique ferait inévitablement naître des conflits avec les sociétés pétrolières monopolistiques et supposerait des efforts de financement de la recherche très importants. Peut-être ne le souhaitez-vous pas ?
Nos choix énergétiques doivent prendre en compte la situation particulière de notre pays. Malgré l'apport des énergies renouvelables et des économies d'énergie, insuffisamment aidées sur le plan fiscal, l'énergie nucléaire reste une composante indispensable qui permet de lutter efficacement contre l'accroissement de l'effet de serre et d'assurer notre indépendance énergétique vis-à-vis des multinationales du gaz et du pétrole.
Enfin, la filière publique dont disposait notre pays permettait d'en maîtriser la cohérence, la sécurité et les tarifs, grâce à la péréquation nationale.
Parallèlement, la question de la technique est aussi importante. Ainsi, dans l'attente des réacteurs de la quatrième génération, la transition par le passage à des réacteurs nucléaires de troisième génération, dits « EPR », permettant de diminuer de 15 % la production de déchets, constitue un élément incontournable du débat sur les déchets nucléaires. Pourtant, faire le choix du nucléaire implique nécessairement de se poser la question de la sécurité publique et de trouver des solutions adaptées pour la gestion des déchets radioactifs.
Ainsi, en 1991, le Parlement a voté la loi relative aux recherches sur la gestion des déchets radioactifs, dite loi « Bataille ». Celle-ci prévoyait un important programme de recherche afin d'assurer une gestion des déchets respectant l'environnement, les équilibres écologiques, la santé et les droits des générations futures. Elle a engagé la puissance publique dans la recherche de trois types de solutions par le biais d'études non seulement sur la séparation et la transmutation pour réduire la durée de vie et la nocivité des déchets, mais aussi sur le stockage en surface et sur le stockage profond, à partir de laboratoires souterrains.
Elle devait permettre, à un horizon de quinze ans, soit en 2006, qu'une loi puisse définir les solutions devant être mises en oeuvre.
L'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, mandaté pour remettre un rapport très attendu sur ces questions, a fait part de ses conclusions le 16 mars dernier. Or ce rapport laisse toutes les voies ouvertes pour la gestion des déchets, en fixant la séparation-transmutation comme objectif ultime, mais en considérant que l'enfouissement reste incontournable. Ce rapport ne nous apprend rien de nouveau et incite à poursuivre sur les trois voies de la loi Bataille, priorité étant donnée à l'enfouissement, solution la plus économique.
La seule avancée réside dans le fait que ce rapport préconise des recommandations au Parlement, qui « pourrait fixer comme objectifs [...] les dates de 2016 pour la mise en service d'un entreposage de longue durée et l'autorisation de construction d'un stockage réversible en formation géologique, 2020-2025 pour la mise en service d'un réacteur démonstrateur de transmutation et la mise en service du stockage géologique, et 2040 pour la transmutation industrielle ».
Ce calendrier nous autorise à consommer l'ensemble des réserves de pétrole avant de réfléchir aux sources d'énergies alternatives. Ainsi, on constate que ce sont les monopoles énergétiques qui dictent le calendrier de la recherche.
Nous aurons l'occasion de débattre de ces questions à nouveau lors de la discussion du projet de loi qui sera présenté en 2006 sur la base de ce rapport. Cependant, je tiens dès aujourd'hui à vous rappeler, comme je l'ai déjà fait il y a quelques années, que l'enfouissement ne peut constituer une solution satisfaisante à long terme et qu'il pose toute une série de questions importantes.
L'enfouissement apparaît bien, aux yeux des populations, comme une solution à risque pour l'avenir, qui a un caractère particulièrement irréversible quelles que soient les précautions prises. Cette notion de risque a d'ailleurs prévalu dans le refus de la population de la région de Bretagne à recevoir des laboratoires d'enfouissement géologique en terre granitique.
La politique de l'enfouissement est bien la politique de l'autruche : elle permet de cacher ces déchets si encombrants, laissant le soin aux générations futures de trouver d'autres solutions.
De plus, dans le cadre d'une volonté de réduction des déchets, il apparaît nécessaire d'acter une réduction concertée de la puissance nucléaire militaire, laquelle n'est pas sans incidence sur ces problèmes de déchets. Je pense par exemple, dans ma région, au site de l'Ile-Longue, à Brest.
Par ailleurs, si l'enfouissement se camoufle tout au long des pages du rapport sous le terme « stockage géologique », l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques en fait une réalité incontournable. L'Office se réfugie derrière le fait que c'est « la solution privilégiée par la plupart des pays nucléarisés » et que cette voie est préconisée par l'Agence internationale pour l'énergie atomique, l'AIEA.
Pourtant l'Office insiste sur « les questions techniques difficiles » et déclare que « les paramètres à prendre en compte sont évidemment nombreux ». L'Office reconnaît même « qu'il n'est pas possible de garantir un total confinement des déchets radioactifs sur des échelles de temps très étendues ».
Est-ce ainsi que notre collectivité se prépare à « prendre ses responsabilités face aux générations futures » ?
De plus, préalablement à l'enfouissement des déchets, la loi du 30 décembre 1991 imposait la mise en oeuvre de laboratoires. Or un seul laboratoire existe actuellement, localisé à Bure. Comment expliquer que la loi ne soit pas respectée, sinon parce qu'un tel projet doit faire face à l'opposition populaire et au manque de crédits consacrés à la recherche ? Ainsi, alors que quinze sites étaient pressentis en 2000 pour l'accueillir, le fameux deuxième laboratoire n'a jamais pu voir le jour, sous la pression populaire.
En revanche, la perspective de la transmutation apparaît toujours plus lointaine et plus incertaine, alors qu'il s'agit de la réponse la plus adaptée dans l'état actuel des connaissances.
Alors que l'article 6 de la loi Bataille les y obligeait, les pouvoirs publics n'ont, au cours de ce processus, jamais écouté ni fait participer les citoyens ou les élus intéressés à ces recherches. En ce domaine, à l'issue des quinze années accordées par la loi Bataille, les modalités de concertation peuvent se résumer à la mise en place d'un comité local d'information et de suivi, le CLIS, sur le site de Bure, en Meuse et en Haute-Marne, pressenti pour l'enfouissement. Et le rôle de ce comité est si édulcoré et son fonctionnement si épique que nombre d'associations et de syndicats viennent d'en claquer la porte voici quelques semaines !
L'Office parlementaire, tout au long de ses auditions, a purement et simplement omis d'écouter et de prendre en compte les informations et arguments rassemblés par les collectifs de citoyens et d'élus, que ce soit contre la méthode de l'enfouissement ou contre les projets d'entreposage en surface.
Alors que, partout dans le monde, les pays nucléarisés se demandent que faire de ces déchets, la France s'était dotée fin 1991 de la loi Bataille pour trouver des réponses. Quinze ans plus tard, pas une seule solution innovante n'a émergé ; c'est fort décevant ! On en revient aux solutions prônées dans les années 1980 : se débarrasser de ces déchets bien encombrants en les enfouissant, un projet irresponsable au regard des générations futures, dénoncé par de nombreux experts, élus ou citoyens.
Il faut aller plus loin, trouver des solutions pérennes et soutenables du point de vue environnemental pour les générations futures.
Cela mérite des efforts financiers de recherche, comme le souligne le rapport, et une véritable volonté politique de maîtrise publique de la production énergétique et de ses risques. Or, depuis 1992, seuls 2, 2 milliards d'euros ont été consacrés à la recherche en matière énergétique.
De plus, dans le cadre de ce débat, il nous faut amorcer le débat du devenir des centrales nucléaires qui seront obsolètes dans dix ans. Et ce démantèlement produira également des déchets nucléaires, estimés à quinze millions de tonnes.
Pour les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, seul l'engagement du Gouvernement en faveur du financement de la recherche, afin de diversifier le bouquet énergétique - en promouvant concrètement les énergies renouvelables comme les biocarburants, les éoliennes, l'hydrogène, la biomasse, le photovoltaïque, la géothermie - et de permettre le développement des technologies nucléaires pourrait contribuer à résoudre la question préoccupante des déchets nucléaires.