Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la situation de la zone euro est présentée de façon de plus en plus alarmante.
Il faut, bien sûr, faire la part de l’appétit, bien connu, des médias pour les mauvaises nouvelles. Il faut également tenir compte de la manière dont fonctionnent les marchés financiers, avec ces rumeurs et ces analyses, parfois fantaisistes, qui suscitent des mouvements de cours incessants et alimentent la spéculation.
Si nous voulons avoir une vue plus exacte de la situation de la zone euro, il faut prendre un peu de recul.
Voilà moins d’un mois, Eurostat a publié les statistiques relatives aux finances publiques au sein de la zone euro. En 2009, la dette publique et le déficit public ont atteint en moyenne respectivement 79, 2 % et 6, 3 % du PIB.
Confrontons ces chiffres à ceux des deux grandes zones comparables : les États-Unis et le Japon.
Dans la même période, aux États-Unis, la dette publique et le déficit se sont élevés à 84 % et à 7, 3 % du PIB, pourcentages supérieurs à ceux de la zone euro. Au Japon, ils ont atteint 190 % et 9 % du PIB.
Ainsi la situation des finances publiques dans la zone euro est assurément très difficile, mais elle est similaire à celle des zones monétaires auxquelles elle peut être comparée, et même plutôt meilleure.
Il faut également rappeler que, même aujourd’hui, l’euro se situe par rapport au dollar 13 % au-dessus de son cours d’introduction. Ce n’est donc pas une monnaie faible ! Pourtant, cela n’empêche pas des commentaires inquiets chaque fois que l’euro se rapproche d’une parité raisonnable.
Alors, pourquoi ces pronostics aussi sombres sur la zone euro, dont on annonce régulièrement l’éclatement ? La réponse me paraît assez évidente. En raison d’une intégration beaucoup moins forte, la zone euro a laissé se développer en son sein des stratégies économiques divergentes, parfois même dangereuses, et nous payons le prix de ce manque de cohérence. Sa situation n’est pas pire que celle des zones comparables, mais elle prête davantage le flanc à la spéculation. Elle permet une spéculation pays par pays, avec le risque d’un effet domino qui verrait les plans de sauvetage se succéder, car nous savons bien que, après la crise qu’ont connue la Grèce et l’Irlande, la liste n’est pas obligatoirement close.
Nous subissons les conséquences de la manière dont la zone euro a été conçue ou, plus exactement, de la façon dont elle n’a pas été conçue : elle n’a pas été prévue pour prévenir les crises, et moins encore pour y faire face.
Le problème est né, au moins en partie, de la manière dont l’Europe se construit. Les caractéristiques de la zone euro sont le résultat d’une négociation diplomatique, et non la traduction d’une conception d’ensemble cohérente. De là découlent des faiblesses qui sont apparues au grand jour : l’absence d’un mécanisme efficace de coordination économique et budgétaire, l’interdiction de renflouer un État, la fameuse clause de no bail out, qu’il a bien fallu contourner, enfin, une définition des missions de la Banque centrale européenne orientée uniquement vers la lutte contre l’inflation, ce qui n’encourage pas les anticipations de croissance.
Il est aisé, en s’appuyant sur ces constats, de se livrer aux pronostics les plus sombres. Pourtant, fait majeur, après chaque pic de crise, l’Europe a su se ressaisir. Ainsi, lors de la crise bancaire de 2008, c’est elle qui a montré la voie. Ensuite, elle a su faire face aux crises grecque puis irlandaise. Enfin, elle a entrepris de réformer en profondeur sa gouvernance économique et de se doter d’un fonds pérenne de gestion des crises.
Quoi que l’on en dise, la direction retenue est la bonne. Encore faut-il aller suffisamment vite. Avec la mondialisation, les évolutions économiques, et plus encore les mouvements sur les marchés, sont extraordinairement rapides. L’Europe donne parfois le sentiment de prendre son temps, alors qu’elle ne l’a pas. C’est pourquoi le Conseil européen devra avant tout montrer que la réforme de la gouvernance et la création du mécanisme de stabilité sont désormais sur des rails. Les hésitations, les petites phrases des uns et des autres sont un luxe, qui n’est plus dans les moyens de l’Europe. Aucun État membre ne s’en tirera au détriment des autres : chaque fois que la cohésion européenne s’affaiblit, il n’y a que des perdants.
Cela suppose, notamment, de mettre fin aux mauvais procès qui sont faits ici et là à l’Allemagne. Est-ce un défaut que d’être compétitif ? Ne faudrait-il plutôt s’inspirer de ce modèle ? Est-il scandaleux que l’Allemagne, qui a le rôle le plus important dans les mécanismes de garantie mutuelle, demande que l’on ne laisse pas se reproduire les phénomènes qui nous ont menés à la situation actuelle, et qui conduisent à l’appeler à l’aide aujourd’hui ? Il est commode, quand on est surendetté, de désirer la mutualisation des dettes et de dénoncer un manque d’« esprit européen », alors que cette idée ne suscite pas l’enthousiasme !
En réalité, nous ne progresserons dans la solidarité européenne que si chacun balaie devant sa porte, au lieu de donner le sentiment qu’il compte sur les autres pour le faire.
L’Europe est un groupement d’États qui repose sur la confiance mutuelle, mais la confiance se mérite. Aucun mécanisme européen ne dispensera les pays membres, à commencer par la France, de procéder aux réformes qui remettront leurs finances en ordre et leur rendront leur compétitivité. Lorsque tout le monde aura le sentiment que chacun prend sa part de l’effort, alors la mutualisation sera bien plus facile.
La construction européenne est aujourd’hui à l’épreuve. C’est le moment de lui appliquer la formule de Nietzsche : « Tout ce qui ne me tue pas me rend plus fort ». Je suis persuadé, pour ma part, que l’Europe sortira finalement renforcée de cette crise, qui aura fait prendre conscience aux Européens qu’ils ont définitivement partie liée.