Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, face à l’ampleur des crises financières à répétition que traversent les pays de la zone euro et à leurs multiples conséquences, économiques, sociales mais aussi institutionnelles, le groupe CRC-SPG avait demandé, en urgence, un débat parlementaire extraordinaire. Nous regrettons profondément qu’il nous ait été refusé par la conférence des présidents et par le Gouvernement.
À rebours de l’argumentation qui nous a été opposée, nous pensons que, loin de gêner le Gouvernement et d’inquiéter ou de provoquer les marchés, un tel débat aurait au contraire pu montrer la détermination de la représentation nationale à vouloir trouver des solutions communes avec nos partenaires européens et conformes à l’intérêt général communautaire. En effet, les maux principaux dont souffre l’Union européenne en cette période de crise inédite sont l’action en ordre dispersé, le repli sur les égoïsmes nationaux et, surtout, la défense des intérêts économiques privés, au détriment des populations.
De fait, ce débat, nous l’avons aujourd'hui, à la veille d’un Conseil européen décisif pour l’avenir de l’Union européenne et de sa monnaie.
Monsieur le ministre, vous ne vous étonnerez pas que je ne partage pas le relatif optimisme dont vous avez fait preuve, et ce parce que je suis fondamentalement en désaccord avec vos explications sur les raisons de la crise – ce sont aussi celles du Président de la République – et avec les propositions de solutions que vous défendrez avec lui lors du prochain Conseil européen. Vous examinerez essentiellement la nécessité de prolonger, au-delà de 2013, le mécanisme adopté les 28 et 29 octobre dernier destiné à juguler la crise des dettes souveraines qui a déstabilisé la Grèce et qui s’attaque désormais, sous une autre forme, à l’Irlande.
De profondes divergences existent entre les pays d’Europe, en particulier entre la France et l’Allemagne, sur la raison d’être et l’utilisation du Fonds européen de stabilité financière. À cet égard, je ne suis pas convaincu que le sommet franco-allemand, qui s’est tenu à Fribourg à la fin de la semaine dernière, a réellement levé tous nos désaccords.
Mais, au-delà des divergences apparentes, il existe, sur le fond, un accord de tous nos partenaires pour appliquer des solutions qui, pourtant, ne permettront pas de nous prémunir contre ces crises à répétition.
La recette que vous utilisez est simple : il s’agit ni plus ni moins que de continuer à renflouer ceux qui sont directement responsables de la crise. Car ce qui est présenté comme un bras de fer entre les marchés financiers et les institutions de la zone euro n’est qu’un théâtre d’ombres. En effet, ces derniers en demandent toujours plus.
Les prétendus plans d’aide ou de sauvetage de la Grèce et de l’Irlande, le Fonds européen de stabilité financière, les interventions massives de la Banque centrale européenne sur le marché des obligations des États attaqués, le projet de mécanisme permanent de résolution des crises ont été inefficaces à rassurer les marchés et n’ont pas empêché la crise de faire tache d’huile. Au contraire, tous ces dispositifs, qui ont aussi révélé la faiblesse et le retard des États à réagir, les ont rendus plus exigeants.
Plutôt que d’épouser cette logique aveugle et destructrice, cette logique de soumission, il faut en adopter une autre : cesser cette fuite en avant et faire prévaloir, grâce à des solutions politiques, l’intérêt général sur les intérêts privés.
Jacques Delors, qui n’est pourtant pas tout à fait ma référence en ce domaine, a fort justement analysé la situation voilà quelques jours dans un entretien au Monde, estimant que « ce n’est pas aux banquiers qui ont reçu des États, comme prêts ou garanties, 4 589 milliards d’euros, de dicter aux gouvernements leur comportement. [...] la politique doit être l’ultime référence et je refuse que ces banquiers fassent trembler les gouvernements de la zone euro ! »
Lorsque les règles du marché sont à l’origine de la faillite des banques, ce n’est pas aux peuples d’Europe de renflouer ces établissements. C’est pourtant exactement ce qui a été fait pour l’Irlande. Le plan de l’Union européenne et du Fonds monétaire international a voulu sauver de la faillite un secteur bancaire qui était précisément à l’origine de la fragilisation de l’État irlandais.
C’est en profitant de la dérégulation financière et de bas taux d’intérêt offerts par l’euro que les banques ont consenti des prêts très risqués, qui ont provoqué une bulle immobilière. Lorsque cette dernière a éclaté, le système bancaire n’a pu éviter la faillite qu’au prix d’une garantie de 50 milliards d'euros de recapitalisation sur fonds publics.
Mais le tonneau des Danaïdes financier que représente le renflouement des banques a de lourdes conséquences sur la réalité économique et sociale du pays. Tout cet argent public – il s’agit de sommes colossales ! – est autant de moins consacré aux dépenses sociales. Alors, pour les populations, tout s’enchaîne avec une logique implacable : augmentation du chômage, aggravation de la pauvreté et de la précarité, casse des droits sociaux et des services publics. Tel est le contexte dans lequel l’Union européenne et le Fonds monétaire international, le FMI, sont intervenus pour tenter de mettre l’Irlande à l’abri des attaques spéculatives des marchés.
La logique de ce plan de sauvetage est simple : faire payer les pertes à la collectivité tout en préservant les profits du secteur privé. Cependant, ce type de solution ne rassure même pas les marchés. Déjà, les agences de notation désignent la liste des prochains pays auxquels s’attaquer. Certains experts avancent même l’hypothèse que la France ne soit pas à l’abri.
Il faut avoir le courage politique de tirer les enseignements de cette impasse et ne pas persister à vouloir appliquer les mêmes solutions, même édulcorées, comme le souhaite l’Allemagne, qui voudrait faire contribuer quelque peu les marchés aux pertes de ses investissements.
Ajoutons à tout cela que l’entrée en vigueur de la nouvelle Constitution, qui a coïncidé avec la crise de la dette en Grèce, a révélé que le traité de Lisbonne, en raison de ses dysfonctionnements, était caduc. L’Europe a notamment découvert qu’elle était tout simplement impuissante à protéger sa monnaie.
Si vous aviez prioritairement le souci de l’intérêt général communautaire, tous ces éléments devraient vous inciter à poser de nouveaux principes et à proposer de nouvelles orientations.
Notre pays pourrait préconiser, par exemple, de modifier les objectifs du pacte de stabilité, qui rationne les dépenses publiques.
Il devrait aussi avoir l’audace de proposer de favoriser les investissements utiles à l’emploi, à la formation et au développement des territoires, grâce à un crédit sélectif, et bien sûr de taxer sérieusement les mouvements de capitaux pour dissuader la spéculation.
Pour notre part, nous soutenons le projet récemment soumis par plusieurs partis de gauche représentés au Parlement européen.
Ces derniers préconisent, à l’inverse du Fonds européen de stabilité financière imposant une cure d’austérité aux pays affichant un déficit public trop élevé, la création d’un « fonds européen pour le développement social ».
Celui-ci aurait vocation à financer des investissements publics en matière d’emploi, de formation, de recherche, d’environnement et d’infrastructures publiques. Il serait abondé par une sérieuse taxation des transactions financières et nécessiterait impérativement de modifier les missions de la Banque centrale européenne.
Telles sont, monsieur le ministre, les quelques réflexions dont le groupe CRC-SPG souhaitait vous faire part à la veille du prochain Conseil européen.