… montre à quel point l’Union européenne ne dispose pas de l’autorité nécessaire pour imposer les conditions de prêts à un État et, donc, des procédures permettant une réelle coordination, voire une intégration des politiques budgétaires nationales.
Or, dans une Union européenne dominée par des États frileux et conservateurs, toute vision d’une Europe politique intégrée est rejetée. Comment alors garantir l’efficacité du nouveau mécanisme de surveillance européen, si l’on n’assume pas définitivement que, dans une union économique et monétaire, un certain nombre de règles doivent s’imposer aux États ?
D’autre part, ces règles doivent prioritairement viser la reprise de la croissance et l’harmonisation fiscale, notamment de l’impôt sur les sociétés, tout autant que l’assainissement des finances publiques. L’austérité ne doit en effet pas se transformer en récession et le mécanisme européen de stabilité, en outil européen de casse sociale. Ce serait tout simplement catastrophique en soi, mais également pour l’image de l’Union européenne auprès des citoyens.
Enfin, pour être véritablement crédible, il est impératif que ce mécanisme s’accompagne d’une réforme plus globale de la zone euro et de l’Union européenne.
Qu’en est-il, monsieur le ministre, de la création d’euro-obligations ? Je reprendrai à cet égard les observations formulées par Denis Badré. Faut-il préférer que la zone euro continue à mettre en concurrence les taux d’intérêt des dettes souveraines pour le plus grand profit des marchés financiers ?
Qu’en est-il de la création d’un véritable budget européen, doté de ressources nouvelles et permettant d’utiliser les effets de levier dont on se prive aujourd’hui sur le plan économique ?
Qu’en est-il de l’harmonisation fiscale ou de la proposition de taxer les profits financiers, afin de faire payer, en toute transparence, les vrais responsables de la crise actuelle ?
Les socialistes demandent un projet ambitieux et global pour l’Union européenne et non un énième rafistolage, peu à même de rétablir la confiance dans l’euro, et, plus généralement, dans l’Union économique et monétaire.
J’en viens au second paradoxe, et non des moindres, que je veux souligner. L’Union européenne s’est dotée, sur le plan intérieur comme à l’échelon mondial, de nouvelles ambitions, mais elle ne semble pas prête à se doter des moyens nécessaires pour les assumer.
La stratégie Europe 2020, adoptée au printemps dernier, dote l’Union européenne de priorités claires en faveur de politiques d’innovation, au service de la croissance et de l’emploi. Je ne peux que me réjouir de l’adoption d’objectifs chiffrés en matière d’éducation et de réduction de la pauvreté.
Pour autant, les politiques d’austérité mises en œuvre risquent fort de mettre à mal la réalisation de ces objectifs. De ce point de vue, des inquiétudes ont été exprimées lors de la journée syndicale européenne du 29 septembre dernier.
À cet égard, l’exemple de l’Irlande est frappant : alors que la stratégie Europe 2020 met l’accent sur l’éducation et la formation et vise une réduction du taux de pauvreté de 25 %, les mesures annoncées en contrepartie du plan d’aide prévoient, entre autres, une réduction du salaire minimal, une diminution des prestations sociales et une hausse des coûts de scolarité pour les étudiants universitaires ! Le taux d’imposition sur les sociétés reste, en revanche, inchangé ! Dans ce contexte, quel crédit peut-on donner à la stratégie Europe 2020, monsieur le ministre ?
En outre, les financements manquent. Et aujourd’hui, la tentation est grande d’utiliser, pour financer cette nouvelle stratégie économique, l’enveloppe des fonds de cohésion auxquels nos collectivités locales, en général, et nos communes, en particulier, sont très sensibles. En matière économique et sociale, l’ambition de l’Union européenne pour 2020 risque donc de tourner court !
Autre exemple de ce paradoxe, le traité de Lisbonne entérine la vision d’une Union européenne actrice du jeu mondial, capable d’affirmer et de diffuser ses valeurs. La création du service européen pour l’action extérieure, ou SEAE, et du poste de Haut Représentant pour les affaires étrangères et la politique de sécurité en témoignent et sont susceptibles de créer une véritable dynamique.
L’une des cinq priorités de la Commission européenne pour 2011 est également que l’Union européenne « pèse de tout son poids » sur la scène internationale. Nous nous félicitons de cette ambition, concrétisée par la mise en place officielle du SEAE au 1er décembre dernier.
Pour autant, nous savons tous combien l’émergence de l’Union européenne en tant qu’acteur politique mondial dépendra de l’attitude et de la bonne volonté des États membres à agir de concert sur le plan diplomatique comme économique.
Or dans le domaine de l’énergie, force est de constater que chaque État membre poursuit son propre intérêt stratégique. Au lieu de construire une véritable communauté européenne de l’énergie, comme l’a proposé Jacques Delors, que j’approuve, nous nous enfermons dans des relations bilatérales, au risque d’y perdre influence, sécurité d’approvisionnement et argent ! Alors que la Commission européenne vient d’émettre une communication sur ce sujet, quelle sera l’ambition de la France en la matière ?
Au risque de paraître un peu cruel, je citerai comme nouvel exemple, et non des moindres, l’Union pour la Méditerranée. Le Président de la République en avait fait l’un des projets phare de son programme. Mais deux ans et demi après son lancement en fanfare, force est de reconnaître que ce projet tourne au fiasco. Preuve en est l’annulation du sommet de Barcelone qui devait se tenir le mois dernier. En définitive, le processus de Barcelone semble avoir été tué, sans pour autant être remplacé, l’Union européenne étant parallèlement affaiblie. Beau résultat !
L’Union pour la Méditerranée est un projet essentiellement intergouvernemental, qui a dépossédé les institutions européennes des relations avec la rive sud de la Méditerranée. Si le processus de Barcelone était imparfait à de nombreux égards, il n’en demeure pas moins qu’il avait le mérite d’exister et de proposer, dans un cadre intégré, une relation entre les deux rives de la Méditerranée.
Aujourd’hui, face au fiasco de l’Union pour la Méditerranée, Mme Ashton souhaiterait que ce projet revienne dans le giron de l’Union européenne. Monsieur le ministre, la France saura-t-elle satisfaire la demande, toute légitime, de la Haute Représentante et apporter ainsi son soutien aux nouvelles institutions créées par le traité de Lisbonne en matière de politique extérieure ?
En conclusion, au-delà des grandes déclarations, bien françaises, sur l’« Europe-puissance », il est aujourd’hui prioritaire de renouer avec les principes qui ont fait le succès de l’Union européenne : l’intégration, la solidarité, la défense des intérêts communs et la coopération. On ne pourra pas réconcilier les citoyens avec le projet européen si l’Europe se résume à des décisions économiques injustes et à des ambitions sans moyens. La responsabilité des chefs d’État et de gouvernement est, à cet égard, immense. Nous espérons qu’ils en ont conscience et qu’ils sauront, dans quelques jours, en tirer toutes les conséquences.