Intervention de Jean-François Humbert

Réunion du 13 décembre 2010 à 14h30
Débat préalable au conseil européen des 16 et 17 décembre 2010

Photo de Jean-François HumbertJean-François Humbert :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, dans le cadre de ce débat préalable au prochain Conseil européen, je souhaite vous faire part de mes impressions à mon retour d’une mission d’étude que je viens d’effectuer en Irlande à la demande de la commission des affaires européennes du Sénat et de son président, Jean Bizet, que je tiens à remercier.

Considérée voilà encore peu de temps comme un excellent élément de la zone euro, souvent citée en exemple pour sa discipline budgétaire, l’Irlande se distingue aussi par l’affirmation sans cesse renouvelée de sa souveraineté, notamment en matière économique et fiscale. La faillite du système bancaire irlandais est venue bouleverser cette réputation, tant les limites du modèle irlandais sont apparues au grand jour, rendant nécessaire l’intervention financière de l’Union européenne.

Je voudrais vous présenter très succinctement les grandes lignes de mon rapport d’information.

Tout d’abord, il me paraît très important de rappeler que la croissance qu’a connue l’Irlande au cours de la période 1992-2006 est le fruit d’une stratégie menée en solitaire au sein de l’Union européenne.

Bénéficiant jusqu’en 2004 des fonds de cohésion de celle-ci, ce pays a reçu, entre 1973 et 1999, une aide équivalente à cinq fois sa contribution au budget européen et a pu ainsi financer en partie la modernisation de ses structures.

Parallèlement et au moyen d’une politique fiscale à rebours de celle de ses partenaires, il a su dynamiser son économie. Le taux de l’impôt sur les sociétés, qui est le symbole de cette course à la croissance en solitaire, s’élève à 12, 5% depuis 2003, alors que la moyenne européenne s’établit à 27, 5 %.

Cette fiscalité avantageuse a fait de la terre rurale que constituait l’Éire un territoire attractif, ouvert, drainant encore l’an passé 110 milliards d’euros d’investissements directs étrangers.

Les fruits de la croissance ont été investis à partir de 2001 par les banques dans le secteur immobilier, qui faisait alors preuve d’une certaine atonie. Les établissements bancaires ont été les moteurs de la bulle immobilière qui s’est créée à ce moment-là, conduisant artificiellement les prix à grimper. Ce sont 17 % des revenus de l’État qui vont alors provenir de l’immobilier, limitant de facto toute tentative de régulation de la part des autorités. Ce secteur est ainsi devenu le deuxième moteur de la croissance irlandaise.

Cette stratégie, encouragée à l’échelon national, n’a pas suscité non plus de réserves marquées de la part des institutions internationales, comme en témoignent les rapports annuels de l’Organisation de coopération et de développement économiques et du Fonds monétaire international. Je rappelle que les stress tests bancaires européens, ces tests de résistance des établissements bancaires, encadrés par la Commission, avaient, quant à eux, souligné au mois de juillet dernier la capacité des banques irlandaises à demeurer solvables.

Comme nous le savons, la crise financière mondiale a rappelé très durement la fragilité de ce tropisme immobilier.

À ce stade de mon intervention, je me dois d’insister sur un point : la crise bancaire irlandaise est une crise home made, « faite maison », selon les termes du gouverneur de la Banque centrale de ce pays. Elle est bien le fruit des responsabilités locales. Les banques irlandaises ont pensé pouvoir croître au-delà de leur base de départ. Elles ont agi imprudemment. Le gouvernement irlandais a facilité cette dérive, en octroyant nombre d’avantages fiscaux et réglementaires, allant même jusqu’à garantir, à l’automne 2008, l’intégralité des dépôts bancaires et des prêts. Il n’a, par ailleurs, pas suffisamment encadré l’activité bancaire au travers d’une régulation efficace.

Cette crise se traduit, pour les banques irlandaises, par un défaut de solvabilité suivi d’un manque de liquidités. Le gouvernement irlandais se retrouve lui aussi confronté à un problème en la matière. Ses investissements massifs dans le secteur bancaire, conjugués aux diminutions de recettes liées à la crise, ne lui permettent plus de disposer de liquidités suffisantes au-delà du premier semestre 2011.

C’est dans ce contexte délicat qu’intervient la demande d’utilisation du mécanisme européen d’ajustement financier. Si la situation irlandaise n’a rien à voir avec le caractère d’urgence que revêtait le cas grec, le nouveau plan d’austérité annoncé par le gouvernement de ce pays ne paraissait pas suffisant pour juguler la crise de liquidités qui menace à terme l’État irlandais.

Cet appel à l’aide n’est pas sans poser un véritable problème politique pour le gouvernement de Brian Cowen, déjà au plus bas dans les sondages d’opinion et ne disposant plus que d’un soutien relatif au Parlement. L’intervention européenne et celle du Fonds monétaire international sont, en effet, vécues comme une atteinte à l’indépendance nationale.

Il existe au sein de la population une profonde défiance à l’égard de l’Union européenne, le discours de la Commission à l’égard de l’Irlande étant jugé trop sévère. La Banque centrale européenne est, par ailleurs, considérée comme l’avocate des grandes banques européennes.

Pour autant, l’euroscepticisme latent de la population irlandaise ne doit pas occulter le rejet que lui inspire le gouvernement actuel. Le refus de celui-ci de mettre en œuvre une régulation effective, sa proximité avec les banques et les promoteurs immobiliers, l’impunité dont jouissent les banquiers impliqués dans l’effondrement du système génèrent un sentiment aigu de colère au sein de la population. La perspective de nouvelles élections au mois de février prochain devrait, en partie, permettre de dépasser ce dernier.

La dureté du plan proposé par le gouvernement irlandais peut laisser songeur, tant il fait porter sur le citoyen le coût de la faillite du système bancaire. Entièrement consacré à la recherche de nouvelles recettes, il ne prévoit pas d’actionner le levier de l’imposition sur les sociétés, fût-ce de façon modérée.

En Irlande, cet impôt demeure, en effet, un sujet tabou, l’immuabilité de son taux suscitant un large consensus au sein de la société. Il s’agit d’un élément fondamental de l’identité nationale irlandaise à l’heure de l’intégration européenne.

Et les autorités ont toujours affirmé que la révision du taux d’imposition sur les sociétés ne pouvait constituer un préalable à l’octroi de l’aide. Par ailleurs, aucune alternative à l’aide européenne, par exemple, la liquidation complète du fonds de réserve des retraites ou la vente d’actifs de l’État, ne semble crédible.

Je ne reviendrai pas sur le détail de cette aide européenne adoptée par le Conseil Ecofin du 28 novembre dernier, sinon pour relever que l’accord prend soin d’indiquer que l’aide et les conditions de celle-ci respecteront les fondamentaux de l’économie irlandaise.

L’Union européenne n’entend donc pas imposer un débat sur la fiscalité des entreprises en Irlande. Elle souhaite accompagner les réformes ambitieuses et courageuses du gouvernement irlandais qui, je vous le rappelle, a entrepris de réduire de 15 milliards d’euros ses dépenses en quatre ans.

Il convient, à cet égard, de souligner la spécificité de la crise irlandaise, qui reste avant tout une crise bancaire. À la différence d’autres pays de la zone dite « périphérique », notamment l’Espagne et le Portugal, l’Irlande dispose encore de relais de croissance et ne souffre pas d’un déficit de compétitivité.

Demeurent néanmoins quelques interrogations. Le poids de l’endettement privé – 160 milliards d’euros, soit l’équivalent du PIB – risque de peser durablement sur la reprise de la consommation. Le chômage des non-diplômés issus du secteur du bâtiment ou de la distribution demeure important. L’émigration de diplômés, cette nouvelle fuite des cerveaux vers les États-Unis, le Royaume-Uni ou l’Australie, est également source d’inquiétude.

Par ailleurs, je tiens à rappeler que, au-delà du montant de l’aide, les marchés demeurent si sensibles au contexte de celle-ci qu’il est impossible de dire, à l’heure actuelle, si l’intervention de l’Union européenne et du Fonds monétaire international sera suffisante.

La rapidité de la réaction européenne ne saurait éluder les questions que pose une intervention financière européenne dans un pays qui a pris soin de déterminer en solitaire ses orientations économiques, usant largement de la concurrence fiscale au détriment de ses partenaires au sein de l’Union européenne.

Cette crise n’est, en effet, pas sans incidence sur la gouvernance économique de l’Union européenne. La faillite du système bancaire local renfloué par les deniers publics européens laisse songeur et donne du sens au souhait allemand de faire participer les établissements financiers au mécanisme permanent de gestion des crises prévu pour 2013.

Elle invite également la Commission à renforcer les normes en matière de supervision bancaire, notamment pour ce qui concerne les stress tests, ces tests de résistance des banques aux chocs macroéconomiques, afin de prévenir ce type de crise.

Elle incite enfin l’Union à accélérer la mise en place du mécanisme de surveillance macroéconomique tel que mis en place par le Conseil européen des 28 et 29 octobre dernier.

En guise de conclusion, monsieur le ministre, mes chers collègues, j’exprimerai une inquiétude. Les difficultés annoncées du Portugal devraient constituer, dans les semaines à venir, un test d’une tout autre ampleur. Croissance nulle depuis des années, absence de compétitivité, chômage important, cures répétées d’austérité sont autant d’éléments qui montrent que la crise portugaise n’est pas une crise de croissance sur le mode irlandais. Elle pousse à nous interroger, de surcroît, sur les conséquences économiques de l’introduction de l’euro et sur la réponse européenne durable et crédible que les chefs d’État et de gouvernement doivent impérativement trouver lors du prochain Conseil européen.

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