Intervention de Laurent Wauquiez

Réunion du 13 décembre 2010 à 14h30
Débat préalable au conseil européen des 16 et 17 décembre 2010

Laurent Wauquiez, ministre :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je tiens à saluer la qualité des différentes interventions, auxquelles je m’efforcerai de répondre brièvement, mais de la façon la plus précise possible.

Monsieur le président de la commission des affaires européennes, je voudrais souligner plusieurs points de votre exposé qui, dans votre approche du sujet, m’ont paru originaux.

Tout d’abord, vous avez rappelé des éléments de comparaison, qui sont d’une grande justesse. En réalité, en termes de déficit et de capacité à rembourser la dette, la zone euro est dans une situation bien meilleure que celle d’autres zones géopolitiques.

Ensuite, vous avez évoqué les lacunes que nous avions à combler tout en montrant à quel point, au fur et à mesure, l'Europe avance dans cette crise. J’ai bien aimé votre citation de Nietzsche ; je la trouve très juste. L’enjeu, effectivement, c’est d’être capables de sortir de la crise actuelle en ayant corrigé des faiblesses qui, finalement, préexistaient à la naissance de l’euro. Si tel est le cas, alors cette crise aura été assez salutaire pour la monnaie unique, en ce sens qu’elle aura permis de la renforcer.

Enfin, vous avez eu tout à fait raison d’insister sur l’effort conjoint à mener. Non, nous ne pouvons nous contenter de tout renvoyer à la solidarité et à la mutualisation communautaires. Cette idée d’effort partagé a été exposée dans plusieurs interventions : chaque pays doit prendre les mesures qui se révèlent indispensables, notamment du point de vue de l’assainissement des finances nationales.

La crise à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui sert aussi de révélateur et montre qu’un certain nombre d’États n’ont sans doute pas pris, au moment opportun, les bonnes décisions. Et l’euro n’est pas le paratonnerre miracle qui permettrait à chacun de s’exonérer de décisions macroéconomiques courageuses.

Je me tourne maintenant vers le président de la commission des affaires étrangères, qui a concentré son intervention sur un certain nombre de questions très précises.

L’Union européenne a d’autant plus besoin de trouver un accord sur le budget pour 2011 qu’il existe maintenant le service européen pour l’action extérieure. C’est précisément lui qui serait l’une des premières victimes collatérales de la non-adoption du budget pour l’année prochaine.

De ce point de vue, il faut tout de même noter que, au moment où tout le monde feint de s’interroger sur l’influence de la France, c’est l’un de nos meilleurs diplomates, Pierre Vimont, qui a été choisi pour occuper le poste de secrétaire général exécutif du SEAE. Cette nomination montre notre influence sur la mise en place de cette institution, que nous avons défendue.

À propos du renforcement de la position européenne au sein de l’ONU, j’ai envie de dire ceci : soyons vigilants, mais gardons-nous de tirer des conclusions trop hâtives.

Il s’agit en quelque sorte d’une « crise de début ». Les raisons de l’échec du dépôt de la première résolution tiennent sans doute avant tout à l’absence de préparation de la négociation, qui aurait permis d’associer les capitales en amont. Cela doit nous servir de leçon : s’il est effectivement très important que la Haute Représentante pour les affaires étrangères et la politique de sécurité porte un certain nombre d’initiatives – nous soutenons sa volonté de soumettre un nouveau projet de résolution dès que possible –, l'ensemble des États membres doivent pouvoir venir en support, avec leurs réseaux diplomatiques, pour assurer la réussite d’une telle résolution.

Par ailleurs, vous connaissez la position du gouvernement français sur le Monténégro. Les États des Balkans occidentaux ont vocation à rejoindre l'Union européenne. Notre responsabilité face à l’Histoire, c’est d’achever l’harmonisation complète du continent européen, surtout sur ce territoire d’où sont nées nombre des crises qui ont agité et traversé l'Europe depuis le XVIe siècle.

Il est très important que nous apportions notre pierre pour sceller définitivement l’œuvre de paix et de stabilité que l’on doit à la construction européenne. Pour autant, les processus de négociations doivent être décidés sur des bases exigeantes. Nous le devons non seulement aux États membres, mais aussi aux pays qui se portent candidats, car, autrement, c’est leur image même qui serait affaiblie par la suite. Soyons donc exigeants tout en gardant le cap qui a été clairement fixé et sur lequel nous sommes d’accord.

Quant au suivi parlementaire de la politique européenne de sécurité et de défense commune, les parlements nationaux sont évidemment pleinement amenés à jouer leur rôle et même à être force de proposition, notamment par rapport au Parlement européen. Monsieur le président de Rohan, vous avez envisagé l’opportunité d’organiser une coopération pour débattre des questions de politique étrangère et de sécurité commune et de politique de sécurité et de défense commune. Cette suggestion, que je trouve fort intéressante, est de nature à nous permettre d’avancer.

Vous avez évoqué, enfin, le « non-papier » germano-suédois sur les capacités européennes porté par le ministre zu Guttenberg, l’une des figures importantes du gouvernement d’Angela Merkel. Je ne peux que saluer cet effort riche et utile, mais je tiens toutefois à souligner le rôle qu’a joué Mme Ashton dans cette initiative, notamment sur le plan des différentes capacités. §Je rappelle que ce document distingue trois catégories de domaines de coopération, en fonction des niveaux de capacités constatés : ceux où la souveraineté nationale s’impose ; ceux où une coopération est possible ; ceux pour lesquels une dépendance mutuelle est acceptable.

J’en viens maintenant à votre intervention, monsieur Mézard. Vous qui êtes aussi l’un des représentants des élus de la montagne, je vous sais particulièrement sensible à la mise en œuvre d’une politique européenne de la montagne, qui est effectivement à construire.

Dans notre approche de la gouvernance économique, nous avons en effet intérêt à resserrer les mailles du filet pour être en mesure de prévoir, en amont, les crises susceptibles de survenir. J’y reviendrai en évoquant le propos de M. Humbert.

Comme vous l’avez parfaitement souligné, à l’évidence, le ratio entre la dette publique et le PIB n’offre qu’un spectre d’information trop étroit.

Il nous faut donc assurer la crédibilité du pacte sans dessaisir pour autant le pouvoir politique. Vous avez d’ailleurs très bien rappelé l'équilibre à respecter entre ces deux dimensions.

Il y a d’autres aspects sur lesquels nous devons travailler. Je pense notamment à la convergence fiscale, qui a été l’un des thèmes du sommet de Fribourg. Dépenser mieux, c’est l’un enjeux majeurs du budget communautaire.

Je vous rejoins sur la nécessité de responsabiliser les banques. Vous avez d’ailleurs relevé que le mécanisme pérenne de gestion des crises prévoit ce dispositif pour la première fois s’agissant de l’euro.

Oui, monsieur Billout, nous avons incontestablement des divergences d’approche, et heureusement ! C’est l'intérêt du débat démocratique et il y va du respect qu’on lui doit. Je vous remercie d’avoir exposé votre position, car il est important de pouvoir mesurer nos approches et nos perceptions respectives des leçons à tirer de la crise.

Toutefois, nous pouvons nous retrouver sur deux points.

D'une part, les banques et les créanciers privés doivent assumer leurs responsabilités. Les premières l’ont fait. Prenons l’exemple de l’Irlande : toutes les banques irlandaises ont été nationalisées et tous les actionnaires ont été amenés à payer les conséquences de ce qui relève sans doute d’une surexposition et d’une irresponsabilité dans la gestion du secteur bancaire irlandais. C’est la sanction la plus impitoyable pour tout actionnaire.

D'autre part, pour rebondir sur votre appel en faveur d’une relance de l'investissement, oui, je suis d’accord, beaucoup reste à construire, notamment dans le cadre d’un financement innovant permettant de travailler sur ce qui est malgré tout la plus grande force de l'Europe, c'est-à-dire sa capacité de recherche et d’innovation. Avec un investissement public « stratégisé », avec des débouchés opérationnels en termes d’emploi, nous pouvons réussir et avancer. La politique européenne en la matière est encore trop lacunaire.

Monsieur Badré, je salue votre vision de stratège. Je me retrouve bien dans les métaphores que vous avez employées, notamment dans l’idée que, en période de crise, une marche arrière en ordre dispersé serait la pire des actions. Vous avez également insisté sur la nécessité de redonner de la perspective, de repartir avec une vision de plus long terme, pour ne pas nous cantonner à gérer les crises les unes après les autres. De ce point de vue, les avancées obtenues en termes de gouvernance économique sont un vrai signe de maturité, voire de maturation progressive de ce débat sur la scène européenne.

En revanche, nous sommes plus réservés sur l’éventuelle émission d’Eurobonds, et ce pour deux raisons.

Premièrement, ce n’est pas le moment, alors que nous sommes encore au milieu du gué, de nous disperser. Il faut montrer aux observateurs que l'Europe tient le cap qu’elle s’est fixé et qu’il n’y a pas trop de dissension dans nos rangs.

Le temps n’est donc pas venu de formuler des propositions allant dans tous les sens. Nous avons un mécanisme de gestion. Je précise, pour répondre à l’une de vos interrogations, que la dotation qui lui est consacrée est correcte. Dans le contexte de crise actuel, une foire aux bonnes idées n’est vraiment pas utile. C’est plutôt d’application et de détermination que nous avons besoin.

Deuxièmement, il faut faire attention, car emprunter la voie de la mutualisation ne doit pas nous conduire à l’irresponsabilité. Le débat est ouvert. Chaque pays doit assumer les conséquences de ses actes, même pris dans le cadre de l'intérêt communautaire.

C’est un élément que vous-même avez d’ailleurs relevé dans votre intervention, puisque vous avez insisté dans la foulée sur la nécessité, pour la zone européenne, d’assurer une bonne gestion de ses crédits. Voilà une métaphore qui est en réalité très gaulliste. On a tendance à l’oublier, mais, en 1958, le général de Gaulle avait rappelé qu’un pays, avant de dépenser des crédits, devait s’assurer de les avoir dans son budget ; son premier travail avait été de remettre de l’ordre dans les finances publiques. Je me permets de citer cet exemple, même si je sais que ce n’est pas forcément celui auquel vous serez le plus sensible !

Monsieur Sutour, il importe, au regard des propositions avancées par le FMI, de veiller à ne pas créer de nouvelles attentes. Seuls 10 % des crédits du fonds dont nous disposons aujourd'hui ont été utilisés : les moyens sont suffisants, les méthodes adaptées. En cette période, il nous faut faire preuve de constance et de sang-froid.

Pour le reste, je me retrouve totalement dans vos propos. Sur le service européen pour l’action extérieure, le président de Rohan sait très bien qu’il est une région du monde où nous pouvons montrer la capacité du SEAE à avancer. Il s’agit du Sahel, pour lequel nous devons associer une politique de développement et des mesures de sécurité, afin d’éviter que ne se constitue, à nos portes, un hinterland abritant, notamment, des réseaux terroristes. Voilà deux logiques qui peuvent parfaitement se coupler : une logique d’aide, de développement d’un territoire, et une logique de sécurité pour l'Europe.

S’agissant de l’Union pour la Méditerranée, elle avance de façon intéressante dans un certain nombre de domaines, notamment en termes de formation professionnelle où s’ouvrent des perspectives très intéressantes. Pourraient en effet être constitués des centres européens de formation, en partenariat avec les pays de la rive sud de la Méditerranée. Les diplômes qui y seraient délivrés vaudraient pour l'ensemble du territoire de la Méditerranée. C’est souvent par la formation et l’éducation que l’on peut faire avancer les choses. J’attends donc beaucoup de ce volet, sur lequel nous avons travaillé.

Je terminerai en saluant l’intervention extrêmement précise de M. Humbert, auquel j’avais d’ailleurs rendu hommage dans mon intervention liminaire en soulignant la qualité de son rapport sur la crise irlandaise.

Vous avez, monsieur le sénateur, très bien relevé les deux leçons majeures qu’il convient de tirer de cette crise.

La première, c’est que le secteur bancaire irlandais souffrait de surexposition, avec un taux de risque excessif par rapport au PIB.

La deuxième, c’est que notre système de surveillance macroéconomique, focalisé sur les critères de Maastricht, est insuffisant. L’Irlande remplissait parfaitement les conditions fixées dans ce cadre : le niveau de son déficit et la part de sa dette dans le PIB n’étaient pas le problème principal.

Il nous faut avoir une vision plus globale et privilégier une approche qui, finalement, n’est que de bon sens. Nous devons vérifier que le cap de politique économique suivi par un pays lui permet d’être crédible eu égard à sa capacité à rembourser ses dettes ; ni plus ni moins.

Il ne suffit pas de faire l’analyse de ce qui s’est passé en Irlande. Il importe de savoir si l'Europe est capable de se poser les bonnes questions. Cela renvoie d’ailleurs à votre intervention, monsieur le président Bizet : les crises nous permettent-elles de nous renforcer ?

De ce point de vue, deux questions se posent.

Première question : faut-il une régulation bancaire ? Oui, et les propositions contenues dans le « paquet Barnier » sont destinées à nous protéger contre les défaillances de régulation du secteur bancaire dans les différents pays européens.

Seconde question : l'Europe saura-t-elle tirer les conséquences en termes de surveillance macroéconomique ? Là encore, je réponds par l’affirmative, car la gouvernance économique européenne nous permettra de mieux surveiller ces risques et de les anticiper.

Monsieur Humbert, vous avez conclu votre intervention en évoquant le Portugal. Après le président de Rohan, j’insisterai à mon tour sur l’importance de ne pas jouer les Cassandre dans la période actuelle. Le Portugal ne répond pas du tout aux mêmes critères que l’Irlande, et vous le savez parfaitement : son secteur bancaire, dont le poids est très faible par rapport au PIB, est très peu exposé ; sa dette reste extrêmement modérée au regard de ses capacités.

Le problème du Portugal n’est pas là. Ce pays doit prendre les mesures structurelles qui lui permettront d’avoir plus de croissance. À cet égard, une stratégie de soutien européen trouve tout son sens.

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