Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 4 juillet 2011 à 14h30
Conseillers territoriaux — Discussion en procédure accélérée et adoption d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d’administration générale, en remplacement de M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après la censure intervenue, pour des raisons de fond, le 9 décembre 2010, nous sommes, une nouvelle fois, appelés à nous prononcer sur la répartition des conseillers territoriaux par département et par région à la suite de la décision du Conseil constitutionnel du 23 juin 2011.

Dans sa décision du 9 décembre 2010 sur la loi de réforme des collectivités territoriales, le Conseil constitutionnel a confirmé que la création des conseillers territoriaux et le mode de scrutin retenu pour leur élection étaient conformes à la Constitution, et c’est bien l’essentiel ! Toutefois, il a estimé que le tableau de répartition des conseillers territoriaux était contraire au principe d’égalité des électeurs devant le suffrage. En effet, le juge constitutionnel a constaté que l’écart entre le quotient électoral départemental et la moyenne régionale était supérieur à 20 % dans six départements ; il a jugé que cet écart était « manifestement disproportionné », ce qui l’a conduit à censurer la répartition des conseillers territoriaux dans son ensemble.

Le tableau dont nous avons discuté le 7 juin dernier tirait les conséquences de cette censure en modifiant le nombre de conseillers territoriaux dans les six régions qui avaient fait l’objet de la censure du Conseil constitutionnel et en Guadeloupe. Comme la commission l’avait alors souligné – je vous renvoie au rapport de Jean-Patrick Courtois sur le projet de loi n° 500 –, le nouveau tableau ne laissait subsister aucun écart de plus de 20 % entre le quotient départemental et la moyenne régionale, sauf dans les départements auxquels le « plancher » de quinze conseillers territoriaux avait été attribué. Il semblait donc, sur le fond, pleinement conforme à la Constitution.

Ce tableau a cependant été censuré, pour des raisons de procédure, par la décision du Conseil constitutionnel rendue le 23 juin 2011. Dans cette décision, le Conseil a clarifié sa jurisprudence sur l’étendue de la priorité du Sénat dans l’examen des textes intéressant l’organisation des collectivités territoriales.

Lors de la révision constitutionnelle du 28 mars 2003, le Constituant avait donné au Sénat un droit de priorité sur les textes relatifs aux collectivités territoriales. Le deuxième alinéa de l’article 39 de la Constitution dispose ainsi que « les projets de loi ayant pour principal objet l’organisation des collectivités territoriales sont soumis en premier lieu au Sénat ».

Comme le Conseil constitutionnel l’avait souligné à l’occasion de sa décision sur la loi de réforme des collectivités territoriales, cette priorité s’exprime « sans préjudice du premier alinéa de l’article 44 », c’est-à-dire du droit d’amendement. C’est pourquoi il n’avait pas censuré l’intégration, lors des discussions sur le projet de loi de réforme des collectivités territoriales en première lecture à l’Assemblée nationale, du tableau de répartition des conseillers territoriaux.

Cette jurisprudence doit nous inciter à réfléchir. Le projet de loi constitutionnelle relatif à l’équilibre des finances publiques, baptisé « règle d’or », montre que l’on ne peut pas bouleverser la procédure parlementaire sans modifier la Constitution et qu’il est parfois complexe d’articuler la priorité du Sénat et celle de l’Assemblée nationale. Mais à chaque jour suffit sa peine…

En tout état de cause, force est de constater que la jurisprudence du Conseil constitutionnel sur l’étendue de la priorité conférée à la Haute Assemblée par l’article 39 était, jusqu’à la décision du 23 juin 2011, extrêmement lacunaire. Ainsi, le Conseil a jugé que les projets de loi ayant pour objet de préciser les conditions dans lesquelles sont organisées les procédures conduisant à la prise de décision dans le domaine de compétence des collectivités locales faisaient partie de la « priorité sénatoriale » – il s’agit de la décision du 30 juillet 2003 sur la loi organique relative au référendum local. Néanmoins, il a semblé retenir une appréciation restrictive de la notion d’« organisation des collectivités territoriales », notamment en considérant que le texte relatif à l’expérimentation locale ne devait pas être soumis en premier lieu au Sénat... De larges doutes subsistaient donc sur la portée des dispositions de l’article 39, d’autant que, selon une règle ancienne et clairement établie par la jurisprudence constitutionnelle, les dispositions de nature électorale ne sont pas relatives à l’organisation des collectivités territoriales et peuvent donc librement être soumises en premier lieu à l’Assemblée nationale.

Ces doutes ont été, pour la plupart d’entre eux, levés par la décision du 23 juin 2011, qui consacre la doctrine selon laquelle toutes les dispositions regroupées sous l’intitulé « organisation » par le code général des collectivités territoriales doivent être considérées comme relevant de « l’organisation » de ces mêmes collectivités au sens de l’article 39 de la Constitution. Ainsi, il est désormais clair pour chacun d’entre nous que les projets de loi dans lesquels figurent de telles dispositions devront, à l’avenir, être soumis en premier lieu au Sénat, sous peine de provoquer une nouvelle censure constitutionnelle.

La commission des lois s’est réjouie que le Conseil constitutionnel ait précisé son interprétation de l’article 39 et que, ce faisant, il ait réaffirmé la spécificité du Sénat comme représentant des collectivités territoriales. De ce point de vue, la décision du 23 juin est pleinement satisfaisante pour la Haute Assemblée. Je suis sûr, monsieur le ministre, que vous serez d’accord avec moi, comme M. le garde des sceaux, d’ailleurs !

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