Intervention de Monique Cerisier-ben Guiga

Réunion du 4 octobre 2007 à 9h45
Immigration intégration et asile — Article 3

Photo de Monique Cerisier-ben GuigaMonique Cerisier-ben Guiga :

Ce qui frappe dans le contrat d'accueil et d'intégration pour la famille, c'est son aspect à la fois idéologique et coercitif. Aucune des centaines d'études réalisées depuis des décennies sur les conditions d'adaptation, puis d'intégration des millions de familles migrantes - et les bibliothèques du monde entier en sont remplies - n'est prise en compte !

Avec ce type de disposition, nous sommes en train de rendre plus difficile l'intégration des familles au lieu de l'accompagner et de la faciliter.

La Cour des comptes avait indiqué dans son rapport intitulé, publié en 2004, que la politique d'intégration bénéficiait d'un bien moindre effort financier que la politique de contrôle des flux.

Non seulement nous n'accordons pas des moyens suffisants à l'accueil des immigrants, mais encore le côté coercitif de notre politique est particulièrement nuisible à l'éducation des enfants dans les familles migrantes.

Je vous demande simplement, mes chers collègues, de vous référer à votre propre expérience de parents français en France, qui n'est pas différente de celle des familles de migrants. Tout ce que nous savons sur l'éducation des enfants en général, et sur les enfants de migrants en particulier, milite contre toutes les mesures qui dévalorisent les parents et ruinent leur autorité.

Si la confiance des parents dans leur propre capacité à éduquer est sapée par des mesures coercitives au lieu d'être renforcée par des mesures d'accompagnement, ils cessent de jouer leur rôle, qui est de transmettre des normes de comportements - humains, moraux, sociaux - dans un climat où l'affection et la sanction savent aller de pair.

Si les parents renoncent à ce rôle parce qu'on leur a fait perdre, par des mesures comme celles que vous proposez, toute confiance en leurs capacités, il n'y aura pas d'éducation, en tout cas pas d'éducation réussie. Je me réfère ici, notamment, aux travaux de Mme Claude Halmos, une psychanalyste spécialiste de l'éducation qui traite de manière très sensée de ces problèmes.

J'en appellerai également à notre propre expérience, celle de représentants des Français établis hors de France, celle d'expatriés qui ont dû accomplir un important travail sur eux-mêmes et sur leur famille pour s'adapter à leur pays d'accueil - et je préfère de beaucoup le terme d'adaptation à celui d'intégration.

Nos collègues sénateurs français de l'étranger présents aujourd'hui en séance le savent : nous avons pu vivre à l'étranger pendant des décennies sans jamais nous intégrer réellement mais en nous adaptant et en étant parfaitement à l'aise !

Demandons donc aux migrants qui se trouvent en France de s'adapter, et non de s'intégrer dès leur arrivée, car ce serait absurde : nous, les expatriés, devons accomplir un travail formidable, dont vous semblez d'ailleurs n'avoir aucunement conscience, monsieur le ministre, qui consiste à garder notre fierté et notre dignité, enracinées dans notre vécu, et, simultanément, à accepter d'autres normes, pour nous et, plus encore, pour nos enfants. C'est difficile, parfois même déchirant, mais les millions de migrants qui vivent à travers le monde prouvent tous les jours que c'est possible !

Monsieur le ministre, votre coercition travestie de paternalisme n'aide pas les familles migrantes à réussir l'éducation et l'adaptation de leurs enfants, pas plus qu'elle ne facilite leur propre adaptation à la société française.

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