Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, c'est une première dans notre pays : depuis maintenant trois mois, l'État et les représentants de la société civile se sont réunis autour d'une même table pour réfléchir ensemble à une nouvelle approche qui place le développement de notre société dans une perspective durable.
La préparation de ce Grenelle de l'environnement est une occasion unique de fonder un véritable pacte écologique, qui donnera aux générations futures la chance de vivre dans un environnement préservé et un monde plus équilibré.
Nous le constatons, les ressources de notre planète s'épuisent et nous franchissons chaque jour un seuil critique dans leur consommation et leur dégradation. Le temps presse.
Dans ce contexte, la prise en compte de cette fragilité croissante autant qu'inquiétante est cruciale et la reconnaissance des écueils de notre développement économique désormais essentielle.
Cette révolution écologique est aussi culturelle. Elle demande à chacun de changer de comportement dans sa relation personnelle à l'environnement, que ce soit dans son travail, dans ses loisirs, dans ses habitudes de déplacement comme dans ses gestes quotidiens les plus simples.
L'action publique associée à la mobilisation de tous est au coeur de ce débat. Et c'est précisément sur ce point que je souhaite développer mon propos. En effet, la refonte de notre politique de l'environnement nécessite une action collective qui doit s'inscrire dans un cadre tout aussi nouveau, celui d'une démocratie écologique et d'une nouvelle gouvernance.
Cette gouvernance environnementale fut d'ailleurs le maître mot du sommet mondial sur le développement durable qui eut lieu à Johannesburg en 2002, comme il l'avait été du livre blanc présenté par l'Union européenne en 2001. Cette gouvernance environnementale fut aussi l'objet des travaux du groupe de travail remarquablement présidé par Mme Nicole Notat et auquel j'ai eu le plaisir de participer.
Pour assurer une meilleure efficacité des actions et une meilleure cohérence des décisions, les éléments clefs d'une bonne gouvernance écologique doivent être réunis : l'accès à l'information, l'accès à l'expertise, l'évaluation préalable, la participation du public à la décision, la responsabilisation des acteurs. C'est sur ces bases que ce groupe de travail a proposé une série de mesures sur lesquelles je ne reviendrai pas car notre collègue Paul Raoult les a déjà présentées.
Ces propositions m'amènent néanmoins à vous faire part de quelques réflexions relatives aux politiques territoriales, puis aux aspects institutionnels du développement durable.
Les collectivités, par la nature des compétences qu'elles exercent, sont au coeur de cette gouvernance environnementale, notamment les communes ou les établissements publics de coopération intercommunale, qu'il s'agisse de la gestion de l'eau, de la gestion des déchets, de la gestion de l'espace, du droit des sols, de l'urbanisme, pour ne citer que ces exemples... Ces compétences en matière d'environnement s'exercent le plus souvent en partenariat avec les départements, les régions, les agences de l'eau et l'État.
Cependant, force est de constater qu'à l'exception de quelques expérimentations locales la lisibilité de ces pratiques est insuffisante. En effet, les partenariats institutionnels sont organisés plus au coup par coup sur des projets ponctuels que sur des axes stratégiques dont on pourrait évaluer les résultats à long terme. Or c'est bien dans le cadre de programmes concertés et contractualisés que l'on peut mesurer l'efficacité dans le temps des actions engagées.
Cette démarche a déjà été expérimentée avec les chartes départementales d'environnement sur la base de contrats de cinq ans signés entre les départements et l'État. Elles avaient été très appréciées sur le terrain et avaient permis aussi de mobiliser tous les acteurs locaux autour de thèmes fédérateurs adaptés à chaque territoire. J'ai en ma possession la charte départementale du Cantal, qui a permis de réaliser plus de 30 millions d'euros d'actions. Je me ferai un plaisir de vous l'offrir tout à l'heure.
Les agendas 21 locaux, initiés par le sommet de la terre de Rio en 1992, permettent de définir, à partir d'un diagnostic de territoire, un programme stratégique d'actions en faveur du développement durable. Ils ont vocation à répondre aux grands enjeux environnementaux et aux attentes des acteurs du territoire qui participent à leur élaboration.
Ces agendas 21, comme les chartes départementales, sont en phase avec les nouvelles notions de gouvernance. Ils sont bâtis, en garantissant un juste équilibre entre l'action publique et la participation réelle des acteurs du territoire, sur la base d'un engagement contractuel.
Mais, il faut bien le reconnaître, ces démarches sont trop peu nombreuses. Seuls 200 agendas 21 existent dans notre pays aujourd'hui, malgré l'engagement des associations d'élus, notamment de l'Association des maires de France, pour les promouvoir. Aucune charte départementale de l'environnement n'a été cosignée par l'État depuis plusieurs années.
Il manque, en effet, le nerf de la guerre : l'accompagnement de l'État et son engagement financier au côté des collectivités locales pour encourager ces politiques de partenariat. C'est un point très important car les collectivités font preuve de volontarisme en la matière et les effets levier d'une contribution de l'État seraient évidemment déterminants.
Mais pour que ce partenariat avec l'État soit efficace sur le terrain, dans un contexte réglementaire de plus en plus contraignant, il faut aussi que les collectivités disposent d'un interlocuteur identifié, d'un guichet unique de l'administration dans chaque département pour faciliter l'instruction des dossiers.
Or, sur ce point, le constat est aujourd'hui plus que mitigé car les nombreuses consultations de services interviennent à l'échelon départemental pour certaines, régional pour d'autres, voire national. Ce sont autant de démarches qui perturbent les calendriers et qui nuisent à la lisibilité de l'action de l'État.
Une organisation territoriale déconcentrée des services de l'État dans chaque département, instaurée autour du préfet, et la mise en oeuvre d'un budget opérationnel pour toute question touchant au développement durable seraient donc de nature à améliorer considérablement les relations entre l'État et les collectivités. Une telle mesure favoriserait en outre une meilleure évaluation des résultats obtenus.
Enfin, la sensibilité environnementale du public et sa volonté d'être plus associé aux politiques de développement durable menées par les collectivités sont aujourd'hui une réalité.
Dans ce contexte en pleine évolution, l'amélioration de l'information et la transparence des décisions deviennent donc incontournables. C'est en outre un moyen efficace d'éviter des contentieux qui perturbent considérablement la vie locale et qui sont dus à des malentendus qu'il serait pourtant possible de dissiper.
Pour cela, une réforme des enquêtes publiques - tout comme l'indispensable formation des commissaires enquêteurs évoquée précédemment - favorisant la concertation et l'information en amont des projets est sans doute nécessaire. Cette méthode existe déjà dans les procédures d'élaboration des documents d'urbanisme. Elle a fait ses preuves et pourrait donc être facilement mise en place dans certaines enquêtes publiques qui touchent particulièrement la population.
J'en viens aux aspects institutionnels des politiques de développement durable.
L'adoption de la Charte de l'environnement a permis de poser les principes constitutionnels qui doivent guider une gouvernance écologique. C'est donc une nouvelle stratégie nationale de développement durable qui, comme dans nombre de pays d'Europe, constitue la clef de voûte de la mise en cohérence de nos politiques publiques.
Dans cette perspective, le groupe de travail sur la gouvernance écologique a proposé d'associer les acteurs représentatifs de la protection de l'environnement aux travaux du Conseil économique et social pour favoriser leur contribution à l'élaboration des politiques publiques.
Mais il faut rappeler que l'implication des différents niveaux de collectivités locales est tout aussi essentielle dans la mise en oeuvre des politiques de développement durable sur le terrain. Cette contribution s'exerce aujourd'hui au sein du Conseil national du développement durable, le CNDD, au côté des partenaires environnementaux et de l'État.
Aussi, dans cette hypothèse, une représentation des collectivités ou de leurs associations d'élus au sein d'un organisme consultatif - à l'image du comité des régions à l'échelon européen - s'avérerait indispensable. Ce comité d'élus, qui pourrait aussi prendre la forme d'un CNDD réformé, garantirait la consultation des élus au même titre que celle des acteurs environnementaux au sein du Conseil économique et social.
La Charte de l'environnement précise aussi : « Les politiques publiques doivent promouvoir le développement durable. »
Cette affirmation nous conduit aujourd'hui à envisager au sein des deux assemblées parlementaires la création d'une commission ou d'une délégation de l'environnement pour veiller à la mise en oeuvre des politiques publiques de développement durable.
Enfin, pour assurer une mise en oeuvre réelle du développement durable à une échelle appropriée, les régions, les départements, les EPCI et les communes doivent pouvoir s'engager ensemble aux côtés de l'État.
Ce partenariat nécessite l'exercice de compétences partagées qui devront faire l'objet de nouvelles dispositions législatives. C'est bien leur mise en réseau qui conditionnera l'efficacité de l'action publique territoriale.
Je ne peux terminer ce propos sans rappeler que la construction d'une démocratie écologique ne peut se concevoir en dehors de l'Europe. En effet, n'oublions pas que 80 % du droit français de l'environnement dépend directement du droit européen. Sur ce point, force est de reconnaître que nous avons beaucoup de travail.
Monsieur le ministre d'État, madame, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, au-delà des aspects que j'ai évoqués succinctement, le chantier qui s'ouvre nous concerne tous parce qu'il conditionne l'avenir de nos enfants et les grands équilibres naturels de notre planète. Chacun d'entre nous en est bien conscient et la qualité des débats qui ont eu lieu dans les groupes de travail l'a prouvé.
Maintenant, à partir d'un constat qui est partagé, nous devons converger tous ensemble vers un consensus ambitieux, dépassant les corporatismes, les préjugés, les opinions politiques. Ce consensus peut être exemplaire et faire école en Europe et dans le monde. Ce ne sera pas une utopie si chacun, dans son domaine, y contribue en faisant preuve de responsabilité solidaire face à cet enjeu universel.