Intervention de Jean-Jacques Hyest

Réunion du 16 janvier 2007 à 16h10
Article 77 de la constitution — Adoption d'un projet de loi constitutionnelle

Photo de Jean-Jacques HyestJean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la Nouvelle-Calédonie est le deuxième territoire de la République le plus éloigné de la métropole, après Wallis-et-Futuna. Souvent, elle fascine, en raison de ses richesses naturelles exceptionnelles, de ses paysages - forêts, montagnes, lagons -, mais elle n'est pas toujours bien connue.

Au moment de revenir sur une question dont le Parlement a déjà discuté par deux fois depuis 1999, le prix du consensus retrouvé sur les institutions de la Nouvelle-Calédonie ne peut se mesurer sans un rappel de l'histoire récente : vous l'avez déjà fait, monsieur le ministre, mais la répétition est un acte de pédagogie.

La question du corps électoral prend en effet ses racines dans l'équilibre auquel sont parvenus les signataires des accords de Matignon et de Nouméa, mettant fin à des années d'instabilité et de violence.

Je rappelle que la Nouvelle-Calédonie est devenue un territoire d'outre-mer en 1946. C'est d'ailleurs avec la loi du 7 mai 1946 tendant à proclamer citoyens tous les ressortissants des territoires d'outre-mer que les Mélanésiens ont accédé au droit de vote.

Dès les années soixante-dix, le développement de la production de nickel a attiré de nouveaux arrivants.

Dans ce contexte, au cours de la seconde moitié du XXe siècle s'affirme progressivement l'opposition de deux camps regroupant, d'une part, les personnes pour lesquelles l'évolution de l'archipel pourra s'accomplir dans le cadre de la République française et, d'autre part, celles pour lesquelles l'affirmation de la souveraineté et de l'indépendance est indispensable. Il doit également être tenu compte de la situation géopolitique de la région.

Alors que les camps loyaliste et indépendantiste s'opposent, l'instabilité institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie s'accentue dans les années quatre-vingt : entre 1946 et 1988, l'archipel connaît huit statuts différents, dont quatre entre 1984 et 1988.

La Nouvelle-Calédonie se retrouve peu à peu dans une situation voisine de la guerre civile, dont le paroxysme est atteint le 22 avril 1988, lors de la tragédie d'Ouvéa.

Pour mettre fin aux violences, le premier ministre de l'époque, Michel Rocard, engage des négociations. Ainsi, en 1988, pour ramener la paix civile en Nouvelle-Calédonie, des hommes ont fait prévaloir ce qui les rassemblait sur ce qui les séparait. Pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, ils ont surmonté leurs antagonismes. Ils ont imaginé les voies et moyens d'un destin commun à toutes les communautés de l'archipel.

Au premier rang de ces hommes, les négociateurs des accords de Matignon, figurent, bien sûr, Jacques Lafleur et Pierre Frogier, ainsi que Jean-Marie Tjibaou et Yeiwéné Yeiwéné, tous deux assassinés en 1989. Je veux ici leur rendre hommage.

Les négociations ont bénéficié de la garantie d'impartialité de l'État, qui s'est appuyé, à cette fin, sur des fonctionnaires d'exception. Je ne les citerai pas ; nombre d'entre vous, mes chers collègues, les connaissent. Ces négociations ont, en outre, respecté la tradition d'équilibre des échanges, qui est au coeur de la culture kanak.

Les accords de Matignon fixent le principe d'une consultation sur l'autodétermination à échéance de dix ans et définissent une nouvelle organisation institutionnelle. Approuvés à 80 % lors du référendum national du 6 novembre 1988, ils apportent un nouvel équilibre à la Nouvelle-Calédonie.

De ce fait, au début des années quatre-vingt-dix, alors qu'approche l'échéance fixée par les accords, Jacques Lafleur propose que soit à nouveau recherchée une « solution consensuelle ». Le Gouvernement et le Front de libération nationale kanak et socialiste, le FLNKS, se rallient à cette idée et s'accordent sur la nécessité de repousser la consultation sur l'autodétermination, susceptible de raviver les antagonismes.

C'est ainsi qu'est signé, le 5 mai 1998, l'accord de Nouméa, qui détermine, pour une période transitoire de quinze à vingt ans, l'organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, les modalités de son émancipation et les voies de son rééquilibrage économique et social.

Je salue d'ailleurs les signataires de cet accord qui sont présents aujourd'hui, tant dans cet hémicycle que dans les tribunes, et, en premier lieu, notre collègue Simon Loueckhote.

Lors de la mission d'information que Christian Cointat, Simon Sutour et moi-même avons effectuée sur place voilà trois ans, nous avons pu constater que les institutions issues de l'accord de Nouméa fonctionnaient.

Comment cet accord fondamental a-t-il consolidé la stabilité de l'archipel ? Son préambule établit la nécessité de « poser les bases d'une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie, permettant au peuple d'origine de constituer avec les hommes et les femmes qui y vivent une communauté humaine affirmant son destin commun ».

L'accord comporte plusieurs innovations juridiques. Il reconnaît une citoyenneté de la Nouvelle-Calédonie au sein de la nationalité française. Il définit un contrat social entre toutes les communautés, en faisant une large place à l'identité kanak. Il prévoit que le congrès de Nouvelle-Calédonie puisse adopter des lois du pays, intervenant dans le domaine législatif.

Ces innovations ont impliqué une révision de la Constitution, mise en oeuvre par la loi constitutionnelle du 20 juillet 1998.

L'accord de Nouméa est ensuite largement approuvé par la population de l'archipel lors de la consultation du 8 novembre 1998, le « oui » recueillant 72 % des suffrages exprimés.

La reconnaissance d'une citoyenneté propre à la Nouvelle-Calédonie, qui fonde la définition d'un corps électoral restreint, était une revendication ancienne du mouvement indépendantiste.

Dès la signature des accords de Matignon en 1988, l'État, le Rassemblement pour la Calédonie dans la République, ou RPCR, et le FLNKS conviennent que les « populations intéressées » à l'avenir du territoire seront seules autorisées à se prononcer lors des scrutins déterminants pour l'avenir de la Nouvelle-Calédonie, c'est-à-dire lors non seulement du scrutin d'autodétermination, mais aussi des élections aux assemblées des provinces et au congrès. Monsieur le ministre, j'insiste, comme vous, sur cet aspect des accords de Matignon. Les « populations intéressées » sont celles qui justifient d'une implantation ancienne et solide dans l'archipel.

L'accord de Nouméa reprend cet objectif, non mis en oeuvre en 1988 en raison de l'obstacle constitutionnel à la restriction du corps électoral. Il stipule que, conformément au « texte signé de Matignon, le corps électoral aux assemblées des provinces et au congrès sera restreint ». On ne peut pas être plus clair !

La définition du corps électoral pour la consultation sur l'accession à la pleine souveraineté et pour les élections provinciales est donc un point essentiel de l'équilibre défini par le processus de Nouméa et exprime une continuité avec les accords de Matignon.

L'article 77 de la Constitution permet au législateur organique de définir la nouvelle organisation institutionnelle de la Nouvelle-Calédonie, conformément aux orientations de l'accord de Nouméa.

La loi organique du 19 mars 1999 définit, par conséquent, trois listes électorales distinctes qui, dans leur principe, n'ont jamais été remises en cause : la liste électorale pour les scrutins européens, nationaux et municipaux, qui comprend tous les citoyens français inscrits sur les listes électorales de droit commun en Nouvelle-Calédonie ; la liste électorale pour la ou les consultations sur l'accession à la pleine souveraineté qui interviendront entre 2014 et 2018, cette liste comprenant, notamment, les personnes qui ont pu participer à la consultation du 8 novembre 1998, c'est-à-dire celles qui étaient déjà installées à cette date depuis dix ans dans l'archipel, et les personnes justifiant d'une durée de vingt ans de domicile en Nouvelle-Calédonie ; enfin, la liste électorale spéciale pour les élections au congrès et aux assemblées des provinces. Définie à l'article 188 de la loi organique en des termes très proches de l'accord de Nouméa, cette dernière liste comprend les personnes remplissant les conditions pour participer à la consultation du 8 novembre 1998, les personnes inscrites sur le tableau annexe et domiciliées depuis dix ans en Nouvelle-Calédonie à la date de l'élection et les personnes ayant atteint la majorité après le 31 octobre 1998 et qui, soit justifient de dix ans de domicile en Nouvelle-Calédonie en 1998, soit ont un parent qui était électeur à la consultation de 1998, soit ont un parent inscrit au tableau annexe.

Le tableau annexe - cela n'a pas été très bien compris par certaines institutions - est un document qui dresse la liste des personnes satisfaisant aux conditions générales pour être électeurs mais ne remplissant pas les conditions particulières pour participer au scrutin considéré. Si cela paraît clair, cela ne l'est pas forcément pour certains !

Le Conseil constitutionnel a jugé que le tableau annexe visé à l'article 188 de la loi organique du 19 mars 1999 relative à la Nouvelle-Calédonie était celui qui intègre chaque année les nationaux français, au fil de leur arrivée en Nouvelle-Calédonie, que la date de leur établissement dans l'archipel soit antérieure ou postérieure au 8 novembre 1998.

Il définit donc un corps électoral glissant, puisque progressivement, dès qu'elles peuvent justifier de dix ans de résidence dans l'archipel, les personnes quittent le tableau annexe pour entrer dans le corps électoral spécial.

Cette interprétation n'était pas celle qu'a retenue le législateur organique et ne correspond ni aux accords de Matignon ni à l'accord de Nouméa.

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