Notre amendement vise à augmenter de manière significative le reversement de la branche accidents du travail et maladies professionnelles au profit de la branche maladie de 410 millions à 750 millions d'euros.
Il est d'usage que les rapports parlementaires mentionnent, en termes mesurés et elliptiques, le motif de ce reversement. En général, on parle de dépenses non prises en charge par la branche AT-MP. On évite ainsi de dire pourquoi ces dépenses ne sont pas prises en charge, ce qui est une regrettable imprécision.
Si les accidents du travail ne sont pas pris en charge, c'est parce qu'ils ne sont pas déclarés comme tels en raison de la pression des employeurs sur les salariés.
Et si les maladies professionnelles ne sont pas déclarées en tant que telles, c'est parce que leur reconnaissance est particulièrement difficile à obtenir, non seulement à cause du délai de latence avant leur survenue, mais surtout du fait que les études sur les expositions aux risques chimiques, les CMR, ne sont pas correctement prises en compte.
En 2006, 2 000 cancers professionnels ont été reconnus. Les chercheurs estiment au mieux à 11 000 et au pire à 23 000 les nouveaux cancers attribuables chaque année à des expositions professionnelles.
Quant aux troubles musculo-squelettiques, la tentation est grande de les attribuer à des activités extraprofessionnelles. C'est tellement plus simple !
Ces deux points sont régulièrement évoqués sans que la situation s'améliore de façon significative.
Je ne reviendrai pas sur les déclarations que nous avons déjà faites à maintes reprises sur le sujet à l'occasion de précédents PLFSS. Mais nous ne pouvons qu'être frappés par la sophistication atteinte dans certaines entreprises, et non des moindres, en matière de sous-déclarations.
Je fais allusion au dispositif mis au point par l'établissement de Renault-Cléon et baptisé RATI : refus d'arrêt de travail par l'intéressé. L'inspection du travail a pu examiner un document émanant de la direction et notant « qu'éviter la déclaration d'accidents bénins permet d'éviter que les trois premiers jours ouvrés de l'arrêt soient décomptés dans les jours d'arrêt comptant pour les statistiques d'accidents du travail ». Et le tour est joué ! Évidemment, ces statistiques étant déterminantes pour fixer le montant des cotisations, l'économie réalisée par l'entreprise sur le dos des salariés est considérable.
Il est clair aussi que des accidents non déclarés ou déclarés comme d'origine extraprofessionnelle ainsi que des maladies non reconnues professionnelles, s'ils contribuent à la dégradation de la santé des salariés, déterminent la relative bonne santé de la branche AT-MP, qui est financée par les cotisations des employeurs.
Nous sommes en pleine hypocrisie et, parfois, en présence de comportements ouvertement douteux.
Depuis le rapport Diricq de 2005 et depuis l'étude de l'Institut national d'études démographiques, on sait que le reversement à la branche maladie devrait être de 750 millions d'euros afin d'approcher la valeur de la sous-estimation.
On sait aussi que la situation n'évoluera pas favorablement.
À moins d'adopter des mesures et des comportements coercitifs et préjudiciables, voire malhonnêtes, à l'encontre des travailleurs victimes, les progrès du savoir conduisent inéluctablement à une meilleure connaissance des causes des accidents et des maladies professionnels. Ce gouvernement, comme le précédent, s'efforce de nier l'évidence et de retarder l'échéance. Ce n'est pas un hasard si la négociation sur la pénibilité s'enlise, si les conférences sur le sujet vont de colloques en missions de réflexion et si la médecine du travail est réduite à la portion congrue.
Sans parler du scandale que nous connaissons tous, qui illustre tragiquement le respect que certaines franges du patronat portent à la santé des salariés ! Je n'en dirai pas plus...
Il est urgent de sortir de cette situation et de reconnaître enfin la dangerosité et la pénibilité du travail, particulièrement dans certains secteurs.
Le rôle des CHSCT est déterminant. Les statistiques montrent que, là où ils existent, le nombre d'AT-MP est moindre qu'ailleurs. La médecine du travail doit retrouver, outre ses finances, son rôle primordial, notamment en matière de prévention, et bien au-delà, du reste, des aspects strictement professionnels. II est évident que dans un pays où tant de nos concitoyens sont obligés de renoncer aux soins, une visite médicale annuelle - je veux parler d'une vraie visite médicale ! - est déterminante. Elle peut éviter de nombreuses souffrances et de lourds frais par la suite.
Pour cela, le Gouvernement doit répondre à une exigence d'intérêt général, qui dépasse les intérêts des seuls employeurs. La compétitivité des entreprises, alibi souvent commode pour augmenter les profits des actionnaires, doit passer après les impératifs de santé publique, ce qui implique que la branche AT-MP assume pleinement ses responsabilités en ce domaine.