Intervention de Jean-Pierre Godefroy

Réunion du 18 novembre 2004 à 15h00
Financement de la sécurité sociale pour 2005 — Articles additionnels avant l'article 19

Photo de Jean-Pierre GodefroyJean-Pierre Godefroy :

Chaque forme d'organisation du travail correspond à une époque et à des modes de production différents et, par voie de conséquence, génère des nuisances, des dangers et des pathologies différentes.

Les risques physiques les plus lourds du passé ont été remplacés par d'autres, au nombre desquels figurent les risques liés à de nouvelles matières dangereuses ou à des mutations techniques ou organisationnelles.

L'augmentation de la charge de travail, le développement de la sous-traitance en cascade, l'usage des nouvelles technologies qui induisent une réactivité en temps réel, tout cela génère un stress qui frappe un nombre de plus en plus grand de salariés, sur tous les types de postes et à tous les niveaux de responsabilités.

De plus, le contexte de précarité et de chômage renforce la mise en concurrence des salariés, ce qui entrave les processus de confiance et de reconnaissance des efforts et du travail fournis.

Le résultat de cette pression de plus en plus forte est connu.

On note ainsi la survenue de plus en plus fréquente de troubles cognitifs, le développement de troubles musculo-squelettiques, des troubles visuels liés au travail sur ordinateur, ou encore l'apparition de pathologies à caractère social, telles les conduites de harcèlement.

Contrairement à une idée reçue, de nouvelles contraintes s'ajoutent à d'anciennes pénibilités. Elyane Bressol l'indique fort bien dans son rapport au Conseil économique et social relatif aux nouveaux risques pour la santé des salariés : «Ces situations de travail, qui concernent toutes les composantes, des ouvriers aux cadres, peuvent générer des formes spécifiques de souffrances et de pathologies : fatigue liée à l'intensité du travail, hiatus entre la responsabilité effective du salarié et les limites de son pouvoir de décision et de ses marges de manoeuvre, ou encore désarroi éthique lorsque les conditions de l'activité placent l'individu en contradiction avec ses valeurs. »

En effet, n'en déplaise aux représentants du patronat, l'individu ne cesse pas d'être une personne et un citoyen lorsqu'il franchit les portes de l'entreprise. Cela est vrai aussi bien en matière de représentation du personnel que sur le plan moral.

Tel est d'ailleurs le sujet de l'excellent ouvrage Souffrance en France, qui décrit fort bien la souffrance psychique des salariés dans un contexte général de productivité accrue, de précarisation et de menaces permanentes sur l'emploi.

II est donc urgent de faire le point sur ces nouvelles pathologies, non plus seulement par le biais de rapports qui analysent cette situation, mais par la mise en oeuvre d'une politique de veille, d'information et de prévention.

Les mutations du travail ne sont pas assez prises en compte, ou alors elles le sont par le mauvais côté, ou encore beaucoup trop tard.

Ainsi, il est trop facile de se contenter de dire que le nombre d'arrêts de travail est trop élevé, sans se donner la peine de se demander pourquoi ces arrêts de travail sont prescrits. M .le ministre lui-même a reconnu qu'il n'y avait qu'un ou deux médecins par département pour être laxistes en la matière.

Ou bien, c'est lorsque la catastrophe est avérée que l'on prend des mesures coûteuses, et surtout impuissantes à juguler le mal. L'exemple de l'amiante est le plus frappant puisqu'on a laissé les entreprises continuer l'exploitation de ce matériau, alors même que son caractère nocif était connu.

Et que dire de cette décision étonnante du 17 octobre dernier, qui interdit la vente de certains éthers de glycol contenus dans des produits cosmétiques, mais qui permet d'en poursuivre l'utilisation dans certaines entreprises comme les imprimeries et toutes celles qui emploient en quantité importante des peintures, colles, vernis ou détergents ?

Cette situation est révélatrice d'une véritable absence de politique sanitaire sérieuse en matière de travail. Cette impéritie a un coût.

Même en excluant toute considération sanitaire, on ne peut ignorer que les pertes totales liées aux traumatismes et maladies professionnelles constituent une charge lourde pour l'économie. Aujourd'hui, le coût global des accidents du travail est estimé à vingt fois les dépenses de prévention des entreprises.

Il est vrai que la charge des soins pèse non pas sur les employeurs, mais sur la collectivité. Ce phénomène est, bien entendu, aggravé par la sous-déclaration endémique des accidents et la non-reconnaissance comme maladie d'origine professionnelle de bien des affections.

II n'en demeure pas moins qu'il est de l'intérêt général que I'Etat exerce sa responsabilité dans le domaine des risques professionnels, comme le préconise d'ailleurs le plan santé-travail que doit nous présenter le Gouvernement.

Nous proposons donc la création d'une agence nationale de la santé au travail dédiée spécifiquement aux risques professionnels non seulement pour recueillir les données, mais pour mener une action de veille et d'alerte, du stade de la prévention et de l'information jusqu'au suivi post-professionnel, à réaliser avec le médecin du travail

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