Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les conditions d’accès à l’art et à la culture ont profondément évolué ces dernières années, sous les effets conjugués de la dématérialisation des contenus, de la généralisation de l’internet à haut débit et des progrès considérables de l’équipement des ménages en ordinateurs, consoles de jeux, téléphones multimédias et, depuis peu, tablettes de lecture. Ces dernières se diversifient d’ailleurs, le premier libraire national ayant annoncé le lancement, au début du mois de novembre prochain, d’une « liseuse » pouvant stocker de 2 000 à 11 000 ouvrages, auquel les grands éditeurs français se sont associés, permettant ainsi l’accès à 80 000 titres.
L’offre légale se développe donc rapidement et, après la musique, le cinéma et l’audiovisuel, la révolution numérique concerne désormais pleinement le secteur du livre.
Ces dernières années, les travaux sur le sujet, nombreux et constructifs, ont dévoilé un paysage très évolutif et éclairé un avenir incertain. Je pense notamment aux rapports de M. Bruno Patino, de Mme Sophie Barluet ou de notre collègue député Hervé Gaymard. Je pense aussi au rapport de MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, ou encore à ceux de M. Marc Tessier et de Mme Christine Albanel, sans oublier celui de notre collègue Yann Gaillard
La commission de la culture, de l'éducation et de la communication s’est également saisie de ce sujet, en organisant notamment une table ronde le 28 avril 2010, dont l’un des thèmes portait sur la question du prix du livre numérique. Ce temps d’échange a permis de mesurer l’impact de l’essor de la culture numérique sur les différents acteurs de la chaîne du livre, notamment les libraires, et d’appréhender les éventuelles évolutions législatives que cette mutation rend nécessaires.
Parmi ces évolutions législatives figurent, d’une part, l’alignement du taux de TVA du livre numérique sur celui du livre imprimé, disposition que la commission défendra dans le cadre du projet de loi de finances pour 2011, et, d’autre part, un texte sur le prix du livre numérique, afin de traduire dans ce nouvel univers l’esprit de la loi de 1981 relative au prix du livre.
Notre collègue Catherine Dumas et moi-même avons déposé une proposition de loi dans ce but le 8 septembre 2010 et avons demandé son inscription dès que possible à l’ordre du jour des travaux du Sénat. Nous nous réjouissons d’avoir obtenu satisfaction.
Certes, dans son avis du 18 décembre 2009, l’Autorité de la concurrence a estimé qu’une période d’observation d’un an ou de deux ans pourrait être respectée avant l’adoption d’un dispositif spécifique pour le livre numérique. Mais nous savons tous que le législateur est souvent à la traîne des évolutions technologiques et peine à les anticiper. Et lorsqu’il décide de légiférer, les données du marché et les usages sont parfois déjà tellement installés que son souhait de régulation intervient bien tardivement.
Cette fois, nous vous proposons de légiférer à l’occasion de l’émergence d’un nouveau marché. Certes, le terrain est évolutif, mais il est aussi partiellement balisé, dans la mesure où nous disposons du bilan très positif de la loi de 1981 relative au prix du livre.
Avec ce texte, nous souhaitons accompagner les mutations en cours du marché du livre numérique, non pour les freiner, mais pour les réguler.
Je vous rappelle cette citation merveilleuse de Montesquieu : « Je n’ai jamais eu de chagrin qu’une heure de lecture n’ait dissipé. » Je crois qu’elle conserve toute sa vérité, même si, bien entendu, les pratiques culturelles des Français ont évolué.
En 2008, le ministère de la culture et de la communication a réalisé une enquête sur les pratiques culturelles des Français à l’ère numérique, alors que plus de la moitié d’entre eux disposaient d’une connexion à haut débit et que plus d’un tiers utilisaient l’internet quotidiennement à des fins personnelles, chiffres qui ont encore augmenté depuis. Cette étude est venue confirmer un mouvement de long terme : depuis plusieurs décennies, chaque nouvelle génération arrive à l’âge adulte avec un niveau d’engagement à l’égard de la lecture inférieur à la précédente, si bien que nous constatons à la fois une érosion des gros et moyens lecteurs de livres et un vieillissement du lectorat.
Je forme avec force le vœu que le nouvel accès aux livres, que permet l’arrivée sur le marché des tablettes de lecture et des œuvres numériques, suscitera chez les jeunes un appétit renouvelé pour l’écrit. Je pense à l’écrit sous toutes ses formes, d’une part, parce que la presse est également concernée, d’autre part, parce que ces nouvelles technologies vont susciter une création foisonnante. En outre, il ne faut pas exclure que l’accès à ces livres numériques donnera aussi le goût du livre papier, car l’effet de « cannibalisation » de l’un par l’autre ne sera sans doute que partiel.
Nous avons souhaité, au travers de la présente proposition de loi, accompagner l’émergence de ces nouveaux biens culturels et réguler le marché, au moins dans un premier temps, pour ce que l’on appelle les livres homothétiques.
Je laisse à notre rapporteur, Mme Colette Mélot, le soin de vous expliciter les objectifs et les termes de ce texte. Je la remercie de son investissement très important sur cet important dossier. Je précise que la commission l’a suivie dans ses conclusions et ses propositions.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je conclus en ne résistant pas au plaisir de partager avec vous cette citation de Jules Renard, dans laquelle se reconnaît le lecteur avide que je suis : « Quand je pense à tous les livres qu’il me reste à lire, j’ai la certitude d’être encore heureux. »