Intervention de Frédéric Mitterrand

Réunion du 26 octobre 2010 à 22h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi

Frédéric Mitterrand, ministre de la culture et de la communication :

Monsieur le président, monsieur le président de la commission, madame le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, la constitution d’une offre légale de livres numériques attractive et diversifiée constitue un enjeu majeur de la politique du livre conduite par le Gouvernement. J’ai eu plusieurs fois l’occasion de souligner en quoi le livre numérique représentait la « nouvelle frontière » du monde de l’édition.

Pour atteindre l’objectif d’une offre légale abondante et pluraliste, il est nécessaire de créer les conditions permettant aux éditeurs de s’engager dans un environnement stable, en bénéficiant notamment d’un cadre juridique qui garantisse aux titulaires des droits la maîtrise de la chaîne de valeur.

À ce titre, je tiens à féliciter Catherine Dumas et Jacques Legendre d’avoir pris l’initiative de présenter cette proposition de loi, qui répond effectivement à ce besoin d’encadrement.

Cette initiative s’inscrit pleinement dans la ligne des exigences formulées par plusieurs rapports importants, ainsi que vous l’avez rappelé, monsieur Legendre : le rapport Patino remis à Christine Albanel au mois de juin 2008 ; le rapport de la mission « Création et internet » composée de MM. Zelnik, Toubon et Cerutti, qui m’a été remis au mois de décembre 2009 et, enfin, le rapport de Christine Albanel sur le livre numérique, remis au Premier ministre au mois d’avril 2010.

J’ajoute que le Président de la République, lors de ses vœux au monde de la culture le 7 janvier dernier, a indiqué son souhait qu’une telle loi puisse être adoptée rapidement pour le livre numérique homothétique, c’est-à-dire la version numérique du livre papier, qui peut éventuellement comporter des éléments accessoires propres à l’édition numérique.

La plupart des objectifs de la loi Lang de 1981 relative au prix du livre demeurent pertinents dans l’univers numérique. La préservation d’un réseau diversifié de détaillants en fait partie. Il faut avant tout que le développement du marché du livre numérique ne se produise au détriment des libraires physiques. La plupart des études nous indiquent que, à court et à moyen terme, l’essentiel de la valeur produite par la filière concernera encore la vente de livres papier, pour laquelle le réseau de libraires joue un rôle premier.

À titre de comparaison, je rappelle que les états généraux de la presse avaient préconisé une densification du réseau des kiosques à journaux, afin d’enrayer la baisse des ventes. Les librairies, surtout, jouent le rôle déterminant que nous leur connaissons dans l’animation culturelle des territoires et constituent un lien social entre les citoyens ; votre assemblée, qui représente les collectivités territoriales, ne peut qu’être sensible à cet argument.

Par ailleurs, s’en remettre à la seule voie contractuelle n’est pas une solution satisfaisante, même en procédant à des aménagements.

Le contrat d’agence, qui est largement utilisé aux États-Unis, est certes préférable à la totale liberté des prix, mais il comporte des inconvénients sérieux. En effet, il est conclu au détriment de l’autonomie du détaillant, qui devient ainsi le mandataire de l’éditeur, payé à la commission, en perdant au passage sa valeur ajoutée de libraire professionnel.

Le texte qui est examiné ce soir a pour vocation de prévenir une concurrence par les prix, dont les conséquences ne peuvent être que néfastes pour l’ensemble des détaillants, qu’ils soient physiques ou en ligne. La concentration du secteur autour de quelques acteurs mondiaux disposant de pouvoirs de marché excessifs produirait des effets très négatifs sur la concurrence et finirait par appauvrir inexorablement la création éditoriale.

Ce texte a donc pour objet de favoriser la diversité des circuits de vente dans l’univers numérique. L’offre légale abondante, dont cette diversité est le gage, est aussi le meilleur rempart contre le piratage.

Ce texte permettra également de garantir une assiette stable pour la rémunération des auteurs, condition essentielle pour préserver la diversité de notre création éditoriale et littéraire, à laquelle, vous le savez, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis extrêmement attaché.

L’objectif d’une loi sur le prix unique du livre numérique n’est pas de maintenir en l’état la chaîne du livre. Il ne s’agit pas de figer les positions acquises ni les intérêts établis. Toute innovation technique transforme les conditions dans lesquelles l’économie d’une filière se développe et il est probable que l’arrivée du numérique s’accompagnera de transferts de valeur en faveur de nouveaux acteurs.

Si cette transformation devait n’aboutir qu’à un simple transfert de valeur de certains acteurs vers d’autres, voire à une baisse de la valeur produite, comme cela a été le cas dans le secteur de la musique, alors le libre jeu de la concurrence se révélerait contreproductif d’un point de vue économique, social et culturel.

Le numérique doit être une chance pour le lecteur, mais les évolutions ne doivent pas se réaliser au détriment de la rémunération des créateurs. C’est pourquoi l’accompagnement de la transition numérique, par une régulation simple et souple, est nécessaire, non pas pour maintenir à toute force la place des acteurs traditionnels, mais bien pour permettre à ces derniers d’accéder à ces nouveaux marchés et d’y jouer pleinement leur carte. La loi doit ainsi donner un cadre souple pour permettre au marché de se développer de manière équilibrée.

Je ne souhaite pas que nous connaissions en France ce qui s’est produit dans d’autres pays, où des détaillants en position dominante ont imposé des conditions de vente défavorables à l’ensemble de la chaîne du livre, en faisant ainsi peser de sérieuses menaces sur la vitalité de la création. Ce texte est donc nécessaire pour sécuriser le marché. Il est, par ailleurs, conforme aux préconisations de l’Autorité de la concurrence, comme cela a été rappelé.

Cette institution a préconisé, dans l’avis qui m’a été rendu au mois de décembre 2009, un cadre souple limité au livre homothétique. Tel est précisément l’objet de cette proposition de loi. Il est probable que ce marché concernera, pour l’essentiel, le livre homothétique pour les quatre à cinq années à venir. C’est bien l’horizon temporel du présent texte ; celui-ci n’a pas pour ambition de réguler le marché sur le très long terme. Il reste centré sur les évolutions à court terme, afin de créer des conditions de stabilité pour l’ensemble de la filière. J’ajoute que cette proposition de loi prévoit une clause annuelle de revoyure, qui permettra au Gouvernement d’informer le Parlement sur son application.

Enfin, si l’on peut raisonnablement estimer que le marché restera focalisé, au cours des quatre ou cinq prochaines années, sur les ventes à l’unité, le texte n’exclut pas pour autant les bouquets et les abonnements, dès lors qu’est conclu un accord entre les éditeurs et les vendeurs sur les conditions commerciales.

Je tiens à préciser que cette proposition de loi prend son sens dans une stratégie globale sur le livre numérique que j’ai souhaité mettre en œuvre et dont je tiens à vous rappeler brièvement les lignes de force.

La question du taux de TVA qui s’applique au livre numérique fait partie des sujets que je souhaite faire avancer au plus vite. Nous savons, au travers de plusieurs études, que le niveau du prix de vente sera un élément déterminant du succès du livre numérique. Pour l’heure, ce dernier est considéré par Bruxelles comme un service de téléchargement et non comme la vente d’un bien, avec un taux normal de TVA. Pour ma part, j’estime que la baisse de la TVA s’impose : ce n’est pas le support qui compte, c’est bel et bien le contenu. Un taux réduit permettrait de faire baisser le prix de manière significative.

Par ailleurs, j’ai voulu que la numérisation des livres s’inscrive dans les investissements d’avenir.

J’ai proposé aux éditeurs un projet de numérisation des œuvres indisponibles du xxe siècle, qui n’a pas son équivalent en Europe.

Dans une logique de « longue traîne » totalement adaptée aux usages de l’internet et du numérique, ce projet permettra de donner une nouvelle vie à un corpus de 400 000 ouvrages sous droits couvrant l’ensemble des champs de l’édition : littérature, sciences et sciences humaines, essais et documents. Ce sera une importante contribution à l’émergence de l’offre légale que nous appelons tous de nos vœux.

Ce projet pourra s’appuyer sur une innovation juridique. La gestion collective, en permettant la numérisation en masse d’œuvres sous droits, permettra d’adapter le droit d’auteur à l’univers numérique. Ce chantier exemplaire que nous avons mené de concert avec les auteurs et les éditeurs est d’ailleurs suivi de très près par la Commission européenne.

Pour sa part, le Centre national du livre, le CNL, accompagne les éditeurs dans la numérisation de leurs livres sous droits, c’est-à-dire de leurs catalogues « vivants ». L’enveloppe dédiée sera accrue : elle passera de 2, 5 millions d’euros en 2010 à 4 millions d’euros en 2011 ; elle fera en outre l’objet d’un nouveau dispositif, qui permettra notamment de mieux soutenir les éditeurs de petite ou moyenne taille dans leurs investissements en faveur du numérique.

En France, la numérisation des œuvres du domaine public fait l’objet d’une politique active unique en Europe, avec un système de financement ambitieux porté, là encore, par le Centre national du livre, ce qui permet, depuis 2007, de consacrer 10 millions d’euros par an à la numérisation. Cette politique a donné lieu à la numérisation de plus de 300 000 ouvrages patrimoniaux de la Bibliothèque nationale de France.

Ce schéma mixte d’aides patrimoniales et d’aides au secteur marchand constitue une véritable originalité enviée par les acteurs étrangers.

Enfin, il va de soi que je souhaite aussi soutenir la librairie traditionnelle dans son adaptation au numérique.

Dans un univers en ligne où règne une profusion de l’offre, le conseil du libraire demeure plus que jamais précieux pour l’acheteur.

À cet égard, j’ai souhaité soutenir, par le biais d’un prêt d’un montant de 500 000 euros via le CNL, le projet de portail des libraires indépendants baptisé « 1001libraires.com », qui verra le jour prochainement. J’espère que ce projet pourra être examiné dans le cadre des investissements d’avenir.

Compte tenu de l’ensemble de ces éléments et des principaux axes de ma politique en faveur du numérique, vous aurez compris, mesdames, messieurs les sénateurs, que je suis extrêmement favorable à cette proposition de loi. En effet, celle-ci constituera un accompagnement efficace des acteurs vers le numérique. Elle créera les conditions d’une évolution équilibrée de l’ensemble de la filière, notamment au bénéfice des lecteurs.

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