Intervention de David Assouline

Réunion du 26 octobre 2010 à 22h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi

Photo de David AssoulineDavid Assouline :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous abordons un sujet sur lequel il est agréable de discuter et de réfléchir, parce qu’il constitue un défi pour notre avenir et est a priori moins conflictuel que le débat que nous avons achevé voilà quelques heures.

Je commencerai par féliciter M. le président de la commission de la culture, les auteurs de la proposition de loi et Mme le rapporteur d’avoir pris une telle initiative : il était temps d’offrir un cadre légal au livre numérique. Toutefois, je le dis très franchement, nous devrons nous revoir souvent si nous voulons être à la hauteur du big bang qui, selon moi, ne manquera pas de s’opérer dès l’année prochaine dans ce secteur.

Nous avons la chance de légiférer à un moment où ce secteur ne concerne qu’un très faible pourcentage du marché du livre. Néanmoins, l’essor du numérique dans ce domaine ne sera pas lent et progressif. Nous assisterons à son explosion brutale, comme en ont connu d’autres pays, et nous devons d’ores et déjà nous y préparer.

C’est d'ailleurs ce que nous nous efforçons de faire : il nous faut maîtriser les conséquences de l’apparition de ces nouvelles technologies, contrairement à ce qui s’est passé pour la musique ou pour le cinéma où nous avions toujours un coup de retard. En effet, nous avions beau nous insurger contre le piratage, les industriels n’avaient encore fourni aucune offre commerciale attractive digne de la démocratisation que la numérisation permettait. Ils ont préféré écouler leurs stocks et privilégier leurs intérêts à court terme au lieu de se projeter dans l’avenir et d’être à la hauteur des défis auxquels ils étaient confrontés.

Pour le secteur du livre, les éditeurs semblent avoir adopté le bon tempo. Pour ce qui concerne le livre électronique, notre chance est que le rythme des changements ne se soit pas accéléré plus tôt, comme ce fut le cas dans le domaine de la musique. Toutefois, nous assisterons inévitablement à un bond en avant quand les supports seront facilement accessibles au plus grand nombre, ce qui, pour l’instant, n’est pas le cas sur le marché français.

Le secteur de la presse en a conscience également. Il propose déjà une offre importante, mais ses responsables soulignent que c’est le jour où tout le monde pourra s’acheter facilement une tablette et où la démocratisation de ce produit aura eu lieu que les potentialités du livre numérique apparaîtront véritablement.

Comme tout le monde l’a souligné – mais il était important de le faire dans cette enceinte –, la révolution numérique est un défi. Elle est en marche, elle est inévitable. Il ne sert à rien, aujourd’hui, de pleurer le temps où cette technologie n’existait pas, où le livre papier que l’on manipulait était l’unique moyen de lecture. Dans cet hémicycle en particulier, il n’était pas évident de faire partager ce point de vue, de convaincre que ce phénomène devait être abordé avec optimisme, volontarisme et esprit d’ouverture.

En effet, la révolution numérique permet, dans tous les domaines, une réelle démocratisation de la culture par l’accès au plus grand nombre, par la diversité de l’offre proposée et par l’interactivité qui est son fondement même. Tout cela, il faut l’apprécier !

Je vous relaterai une anecdote qui permet de prendre pleinement la mesure des enjeux qui nous attendent. C’est dans un avion des lignes intérieures américaines, dans le cadre d’une mission en Amérique du Nord organisée par la commission de la culture sur le sujet qui nous occupe, que j’ai pris encore plus fortement conscience de la réalité du phénomène auquel nous sommes confrontés et dont je tiens à vous faire part. Observant les personnes qui m’entouraient, j’ai constaté que, si le président Jacques Legendre lisait un livre papier – « un livre », faudrait-il dire ! – consacré à Napoléon, sur les dix autres passagers, tous Américains, huit avaient choisi le support tablette.

J’ai alors compris que cette évolution était inéluctable. Pourtant, nombreux étaient ceux qui ne croyaient pas au succès de la numérisation dans le domaine du livre : jamais le grand public n’irait vers le téléchargement tant le livre papier paraissait l’outil auquel il était attaché et ne manquerait pas de le rester !

Accompagner cette révolution ne remet nullement en cause la nécessité de continuer à faire vivre le livre papier et de faire en sorte de le protéger par la législation.

Cette révolution, je le répète, il faut donc l’apprécier, la prendre à bras-le-corps et permettre le développement de toutes ses potentialités pour la faire avancer dans le sens du progrès. Ce n’est pas automatique ! En effet, on le sait bien, un progrès ne peut vraiment en être un que s’il est à la portée de tous et partagé. Il doit amplifier la diversité culturelle et non se réduire à une offre uniforme, ainsi que l’envisagent certaines grandes plateformes dont je ne citerai pas les noms.

Ce progrès ne doit pas non plus oublier tous les acteurs de la chaîne du livre : l’auteur, l’éditeur, l’imprimeur et le distributeur chargé de la distribution logistique du livre et, en bout de chaîne, avant même le lecteur, le libraire qui fait découvrir les œuvres nouvelles, maintient un fonds varié et conseille les passionnés. Il faut préserver cette chaîne sur laquelle repose tout le marché du livre. Il faut éviter qu’elle ne se rompe par cette révolution numérique dont chacun mesure l’ampleur. Il ne faut pas que les premiers maillons de cette chaîne préfèrent laisser Amazon, Google, Apple – ils ont leur place, mais il ne doit pas y avoir de place que pour eux ! – affirmer que ce progrès n’appartient qu’à eux seuls. Et c’est tout l’enjeu.

Pour l’instant, cela a été rappelé, cette révolution ne concerne qu’à peine 0, 1 % du marché français, soit 18 000 livres numérisés. Le dernier prix Goncourt, Trois Femmes puissantes de Marie Ndiaye, s’est vendu à 200 exemplaires en version numérique, contre près de 500 000 en version papier.

Il ne faut pas s’en tenir à ce chiffre pour considérer que nous avons le temps. Au contraire, cela nous montre où nous en sommes ! L’accélération va se produire et je pense qu’elle surviendra cette année. C’est la raison pour laquelle j’apprécie que la proposition de loi instaure une clause de rendez-vous via un rapport qui sera présenté un an après l’entrée en vigueur du texte. En effet, il faudra, à mon avis procéder à des ajustements, à des adaptations et apporter des réponses sur des points que nous ne sommes encore à même d’imaginer aujourd’hui.

Le basculement dans le numérique se perçoit sans cesse davantage. Le répit dont bénéficie le marché du livre sera de courte durée. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard, avant que quelques acteurs ne gèlent l’évolution des techniques, ne s’approprient la valeur ou n’interdisent l’avancée du progrès au point que le livre ne puisse demeurer ce qu’il est depuis des siècles : d’abord, l’outil d’un échange ouvert, sans exclusive, où se côtoient création et patrimoine, groupes industrialisés et maisons artisanales, création et commerce, dans un monde où la pluralité va de soi. C’est cela, le monde du livre et c’est ainsi qu’il doit rester.

Dès lors, l’objectif doit être le même qu’il y a trente ans quand les socialistes, avec la loi Lang, ont voulu préserver la création et protéger les marges des éditeurs afin de rémunérer les auteurs et d’assurer la diversité de l’offre éditoriale.

C’est pourquoi, globalement, cette proposition de loi est tout à fait louable. Nous avons collectivement conscience que son champ d’application reste limité, notamment à la version homothétique. Je pense que c’est l’une de ses faiblesses. Je me demande si un tel périmètre ne pourra pas être le cheval de Troie par lequel l’ensemble du dispositif que nous mettons en place pourra être détourné. L’offre numérique étant appelée à se diversifier rapidement, comme c’est déjà le cas à l’étranger, une définition trop restreinte ne risque-t-elle pas d’exclure les produits multimédias, par exemple ? Et si le texte ne prévoit pas de faire entrer ces derniers dans sa définition du livre numérique, nous risquons d’ouvrir une brèche menaçant la pérennité de notre action, sans que nous ayons la capacité de réagir. Il nous faudra donc très vite apporter les précisions qui s’imposent.

Je constate que j’ai dépassé mon temps de parole. Comme il s’écoule vite ! Avant de conclure, je souhaite insister sur un point. Une fois cette loi adoptée, ce à quoi nous sommes favorables, il faudra absolument se préoccuper des bénéfices résultant de la baisse des coûts à terme. Tel est l’objet de certains de nos amendements. Et que l’on ne vienne pas me dire que les gains doivent être réinvestis et qu’il n’y a donc pas réellement de profit ! Je suis allé voir ce qu’il en était au Japon : aujourd’hui, la baisse du prix de revient atteint, en gros, 40 %. Et ce sont les éditeurs qui l’empochent !

Il faudrait que cette manne puisse bénéficier à l’ensemble de la chaîne, notamment aux petites librairies qui maillent le territoire. Il faut les aider à jouer un rôle d’animateur dans les villes ou villages privés de leurs services publics où elles sont implantées et à s’équiper pour le numérique.

Les auteurs aussi doivent bénéficier du surplus qui sera généré.

Je conclurai en évoquant un point sans rapport direct avec ce qui précède. Quand une révolution industrielle a lieu, on ne peut pas accepter qu’il y ait des laissés-pour-compte. Je pense, en l’occurrence, aux imprimeurs dont les affaires vont couler un peu partout. Il faut aider cette profession à se reconvertir au cours de la phase de transition qu’elle va traverser. Il faut faire en sorte de redistribuer la valeur dégagée sur un mode assez équitable.

Vous retrouverez ces idées lorsque nos amendements viendront en discussion.

Il faut absolument que les engagements soient tenus et que nous puissions plaider auprès de l’Europe l’alignement du taux de la TVA du livre numérique sur celui du livre papier. Dans le cas contraire, l’offre ne sera pas attractive et, à terme, nous assisterons aux mêmes dérives que pour la musique ou le cinéma !

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