Intervention de Jean-Pierre Leleux

Réunion du 26 octobre 2010 à 22h45
Prix du livre numérique — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Jean-Pierre LeleuxJean-Pierre Leleux :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c’est désormais un lieu commun : l’évolution technologique que nous connaissons depuis une quinzaine d’années, avec le développement des applications du numérique et du web, constitue une véritable lame de fond qui bouleverse notre société.

Chaque jour amène son lot de nouvelles découvertes, de nouvelles applications, de nouvelles guerres concurrentielles entre les acteurs industriels et, cela n’échappe à aucun de nos concitoyens, une modification, progressive mais profonde, de nos comportements quotidiens.

Ce qui nous frappe, c’est l’accélération et l’ampleur de ces phénomènes. Nous nous interrogeons sur notre capacité à les accompagner, à les épouser dans le respect de notre nature humaine, de notre métabolisme, de notre culture et de nos libertés bien comprises.

Google n’a que douze ans et, déjà, les adolescents d’aujourd’hui ont du mal à imaginer que nous ayons pu nous en passer !

Facebook n’a que six ans, et ce sont plusieurs milliards d’échanges quotidiens qui traversent son réseau, rompant ainsi brutalement avec notre conception verticale et descendante des messages collectifs.

Youtube célèbre cette année son cinquième anniversaire et annonce que 2 milliards de vidéos sont consultés sur son site et que, chaque minute, son stock de vidéos s’enrichit de vingt-quatre heures d’images animées.

Devant cette accélération, l’esprit scientifique s’émerveille de la fuite en avant des innovations technologiques et techniques que nous proposent les acteurs sur les marchés, dans une compétition sans merci.

Le sociologue, quant à lui, s’interroge, à juste titre, devant la mutation des esprits, des comportements, des liens et des équilibres sociaux. Il alerte parfois sur les dérives possibles, mais il souligne aussi les heureuses perspectives potentielles sociales, culturelles et démocratiques qui s’offrent à nous pour la société de demain.

Si la génération que nous représentons ici – en moyenne, bien sûr ! – s’interroge sur les menaces qui pèsent sur nos habitudes ancestrales ou sur les modèles économiques que nous pratiquons depuis toujours, voire s’en inquiète, notre jeunesse semble moins réticente à plonger sans retenue dans cette lame de fond pleine de risques et d’inconnues qui, quant à nous, semble nous submerger.

S’il est clair que notre société connaît de profondes mutations, que le scientifique s’émerveille, que le sociologue s’interroge et commente, le législateur a le devoir de s’emparer du sujet, avec le souci de mettre en place les barrières face aux dérives possibles, en matière tant de morale que d’équité économique et sociale.

Nous devons le faire en suivant la voie du juste milieu, animés, d’une part, du souci de ne pas brider l’innovation porteuse de progrès et, d’autre part, de la volonté d’empêcher que ne s’installent dans nos mœurs, au cœur de la tourmente, des comportements condamnables sur le plan des valeurs fortement ancrées dans notre patrimoine républicain.

C’est ce que nous avons déjà fait récemment en adoptant différents textes, tels que la loi favorisant la diffusion et la protection de la création sur internet ou la loi relative à l’équipement numérique des établissements de spectacles cinématographiques.

C’est ce que nous allons de nouveau faire aujourd’hui en traitant de l’adaptation de l’un des véhicules culturels les plus anciens, les plus traditionnels, les plus familiers, sans doute le plus riche que nous connaissons depuis des générations : le livre.

La réflexion sur ce sujet est engagée depuis des mois. Les nombreux rapports, qui ont déjà été cités par les orateurs précédents, ont jeté les bases du texte d’aujourd’hui.

Certes, le livre numérique ne représente en France que 0, 1 % du marché global du livre en 2008 et de l’ordre de 1 % à 2 % du chiffre d’affaires des éditeurs en 2010. Si 600 000 titres sont proposés en format papier, seuls 70 000 le sont en support numérique.

Au-delà de ces chiffres, caractéristiques d’un marché naissant, la croissance de ce secteur économique pourrait bien se révéler très rapide, peut-être même exponentielle, sans doute explosive, dès lors qu’une offre légale structurée et qu’une tablette numérique adaptée et acceptée seront disponibles sur notre marché national et européen.

C’est en tout cas ce que l’on peut légitimement penser au vu de l’évolution rapide du marché américain. Au mois de juin 2010, Amazon a vendu près de deux fois plus de livres numériques que de livres imprimés. Depuis deux ans, son lecteur numérique, Kindle, est l’article le plus vendu du groupe. Toujours au mois de juin dernier, nous pouvions trouver sur la boutique 630 000 livres numérisés, dont 80 % vendus à moins de dix dollars l’unité.

À mon sens, cette évolution atteindra très vite l’Europe. La proposition de loi présentée par Jacques Legendre et Catherine Dumas nous y prépare. Elle intervient à temps et nous permettra d’éviter ce que nous avons connu par le passé en matière de contenus culturels ; je pense particulièrement à la musique et à la vidéo.

Madame le rapporteur, vous avez excellemment rappelé tous les objectifs visés par le texte et les moyens que celui-ci se donne. Faute de temps, je n’entrerai pas dans le détail.

Une fois la proposition de loi adoptée, il conviendra d’en observer l’application. Tel sera l’objet du rapport annuel prévu à l'article 7.

D’ores et déjà, j’attire l’attention sur deux sujets « suspendus » aux règles communautaires applicables en matière de livre numérique.

Le premier, évoqué à de nombreuses reprises, concerne le taux de TVA applicable : il est de 19, 6 % pour le livre numérique, alors que le livre papier se trouve, lui, assujetti au taux réduit de 5, 5 %. La commission de la culture s’est déclarée favorable à une harmonisation au profit du taux réduit. Si je comprends très bien qu’une telle mesure doive être traitée dans le cadre du projet de la loi de finances, il faudra cependant évaluer au préalable tous ses effets.

Le second sujet, qui est à mon avis encore plus important sur le plan des principes, concerne le champ d’application territorial du texte.

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