Intervention de Thierry Breton

Réunion du 2 mai 2005 à 15h00
Adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers — Discussion d'un projet de loi

Thierry Breton, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie :

Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le projet de loi que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui devant la Haute Assemblée se situe à la charnière de l'action du Gouvernement en matière de protection des investisseurs sur les marchés financiers.

Il complète ainsi l'action entreprise au travers de la loi de sécurité financière à laquelle la Haute Assemblée et M. Marini ont particulièrement contribué, et il prépare le terrain au projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie. Par ce texte ; il vous sera proposé, sur un socle ainsi renforcé de protection de l'investisseur, de faciliter l'accès des entreprises aux marchés financiers en réfléchissant à la cohérence des obligations imposées aux entreprises en fonction du marché sur lequel elles entrent et des investisseurs auxquels elles s'adressent.

Au moment où nous renforçons encore la protection du marché mâture, auquel s'adresse le grand public, nous devons en effet nous soucier de ne pas entraver l'initiative et la croissance en créant des effets de seuils infranchissables, et c'est la raison pour laquelle je vous proposerai de rendre possible une véritable stratégie de croissance sur les marchés financiers.

Quoi qu'il en soit, la logique qui anime ces deux textes est unique : développer l'accès aux marchés dans la transparence, élargir le nombre d'investisseurs en renforçant la confiance.

Aujourd'hui, il s'agit d'y procéder en assurant la transposition de directives européennes.

Le projet de loi qui vous est soumis transpose en effet dans notre droit des dispositions de la directive « Abus de marché » et habilite le Gouvernement à transposer par ordonnance la directive sur les marchés d'instruments financiers.

Ces deux directives ont été adoptées dans le cadre du Plan d'action pour les services financiers, lancé par la Commission européenne en 1999 avec - je tiens à le souligner - un fort soutien de la France.

L'objectif de ce plan d'action convenait parfaitement à l'idée que la France se fait de l'Europe, puisqu'il s'agissait alors d'assurer l'intégration des marchés financiers européens en garantissant un haut degré d'harmonisation du droit boursier.

Les discussions européennes ont été fructueuses et cette harmonisation ne s'est pas faite au rabais, bien au contraire : le processus a abouti à un socle de règles exigeantes, permettant d'assurer non seulement un fonctionnement efficace des marchés mais également la transparence de l'information, la protection des investisseurs et l'efficacité de la coopération entre les autorités de contrôle nationales.

En offrant les mêmes règles à tous les acteurs, on contribue en effet à faciliter l'accès à un marché profond et à des ressources financières abondantes. Le financement des entreprises françaises et européennes sera indéniablement renforcé.

Or le financement des entreprises, c'est le « carburant » de notre croissance. Permettez-moi d'insister particulièrement sur ce point. Dans une compétition mondiale acharnée et élargie, nous devons mobiliser cet atout considérable qu'est la capacité d'épargne de nos concitoyens - je rappelle qu'elle est plus importante que celle de nombreux pays - et veiller à son orientation vers les marchés d'actions européens en toute transparence et avec le maximum de sécurité.

La création de richesses dans les entreprises passe par un financement peu coûteux, abondant et adapté. Ce sont autant d'impératifs auxquels les efforts conjugués des pays de l'Union ont permis de répondre.

Après plus de cinq ans de travaux avec nos partenaires européens, nous pouvons faire un premier bilan de ce plan d'action.

L'essentiel du droit boursier européen a été entièrement refondu. C'est un travail considérable, qui permet d'inscrire dans la réalité l'idée d'un marché financier européen, si nous sommes ponctuels dans la transposition, et c'est l'enjeu de notre rendez-vous d'aujourd'hui.

De fait, comme l'a souligné dans son rapport M. Marini, la France avait déjà un socle important de règles de protection, de telle sorte que le chemin qui nous reste à parcourir n'est pas long. Certes, il ne faut pas tarder. Je suis heureux que la présente discussion nous permette, si vous adoptez ce projet de loi, de résorber le retard de transposition de l'une des directives et nous conduise à éviter le risque d'un scénario identique pour la deuxième.

Ce texte comporte deux volets, que je détaillerai brièvement en vous indiquant l'esprit dans lequel le Gouvernement a négocié, a proposé de transposer et entend appliquer ces dispositions européennes.

Le premier volet est la transposition d'un certain nombre de dispositions de la directive « Abus de marché ».

Cette directive harmonise le régime européen de la prévention, de la détection et de la sanction des infractions boursières. Déjà très largement transposée en droit français à l'occasion de la création de l'Autorité des marchés financiers, l'AMF, pour ce qui relève de l'échelon infra-législatif, cette directive crée de nouveaux outils à la disposition de cette autorité et de ses homologues, que nous devons à notre tour intégrer à l'échelon législatif.

De quoi s'agit-il ? Principalement de garantir la traçabilité des opérations, afin de renforcer la prévention en amont et d'assurer la crédibilité de la sanction en aval.

Les dispositifs que nous mettons en place ont tous pour objet de permettre à l'AMF d'être plus rapidement et mieux informée sur les opérations qu'un intermédiaire pourrait juger suspectes, sur les transactions effectuées sur les titres de leur société par les dirigeants, et sur les personnes qui, au sein d'une société cotée, ont accès à des informations privilégiées.

L'AMF sera ainsi plus facilement en mesure, dans le cours de ses investigations par exemple, de remonter la trace d'une information privilégiée jusqu'à la source de la fuite. Le cas échéant, elle sera également alertée par les intermédiaires financiers des ordres qui leur semblent suspects et pourra ainsi plus rapidement engager ses enquêtes.

En ces matières, il ne s'agit ni d'interdire ni de stigmatiser des pratiques naturelles d'achat ou de vente de titres, il s'agit de responsabiliser et de sécuriser leurs auteurs en créant les instruments de contrôle a posteriori de leurs opérations. C'est pourquoi nos solutions juridiques doivent, je me permets de le rappeler, rester le plus raisonnable possible et limiter les effets pervers qui découleraient d'un excès de formalisme.

L'article 1er et l'article 2 portent sur la création d'une obligation de déclaration des transactions suspectes à l'Autorité des marchés financiers pour les intermédiaires financiers. Cette procédure s'inspire, avec les adaptations nécessaires, de ce qui existe déjà en matière de lutte contre le blanchiment d'argent. Le texte qui vous est proposé garantit, en contrepartie, la confidentialité des déclarations et la limitation de responsabilité, éléments indispensables si l'on ne veut pénaliser ni le déclarant ni le désigné, en cas d'erreur de jugement par exemple.

L'article 3 précise le dispositif créé par la loi de sécurité financière qui prévoit que les émetteurs informent l'AMF lorsque leurs dirigeants, ou des personnes qui leur sont proches, achètent ou vendent leurs titres.

Les ajouts apportés au texte complètent, au vu des textes européens les plus récents, le champ des personnes et des titres concernés. Ils permettent également de renforcer la cohérence juridique en prévoyant que les personnes physiques concernées sont tenues de communiquer lesdites transactions à l'émetteur, afin que celui-ci soit en mesure d'accomplir ses obligations.

Il est apparu au Gouvernement à la fois plus efficace et plus protecteur des personnes physiques concernées, notamment dans la mesure où la directive inclut les « personnes proches », qui ne sont pas forcément des professionnels, de se reposer sur un système de double déclaration des personnes physiques et des personnes morales. Nous aurons l'occasion de revenir sur ce point dans le cours de nos débats.

Je crois, en outre, qu'il est important, si l'on veut encourager l'actionnariat salarié, d'éviter une définition floue qui laisserait s'étendre le système de déclaration au-delà du premier cercle des mandataires sociaux et des cadres dirigeants et de leurs proches au sens strict. Je pourrai donc vous indiquer, dans le cours de la discussion, le champ précis que le Gouvernement compte retenir dans les normes réglementaires d'application.

Enfin, l'article 4 consacre et rend obligatoire la pratique des listes d'initiés qui recensent les personnes ayant accès, au sein d'un émetteur ou des personnes avec lesquelles celui-ci a l'habitude de travailler - banques conseils, avocats, agences de communication financière, etc -, à des informations privilégiées dans le cadre de leurs missions. Cette disposition renforcera la capacité de sanction de ces délits, mais elle aura aussi, et c'est à mes yeux le plus important, une véritable vertu pédagogique, pour prévenir des opérations d'initiés par ignorance, comme on en voit encore trop souvent.

Dans le second volet de ce texte de transposition, le Gouvernement sollicite une habilitation à transposer par ordonnance la directive sur les marchés d'instruments financiers.

Cette directive abroge et remplace la directive du 10 mai 1993 concernant les services d'investissement. Elle refond, en le modernisant, le cadre législatif applicable aux marchés d'instruments financiers et aux entreprises d'investissement. En particulier, elle introduit une concurrence accrue entre les plates-formes de négociation, en ne permettant plus aux Etats membres d'adopter une règle de centralisation des ordres sur les marchés réglementés. La France avait retenu ce système, qui était conforme à une option de la directive de 1993 sous réserve que des exceptions soient prévues, par exemple pour la négociation de blocs.

Même si notre système avait ses avantages, il faut admettre que cette préférence donnée aux marchés réglementés a fini par introduire un certain décalage avec le développement croissant de plates-formes de négociation alternatives, en particulier dans les Etats membres n'ayant pas adopté le principe de centralisation des ordres. Par ailleurs, le système d'exceptions en vigueur permettait déjà largement aux investisseurs importants de procéder à des négociations parallèles, du reste sans toujours garantir toute la transparence à l'égard des tiers.

Dans le cadre de la nouvelle directive, les marchés réglementés français seront désormais en concurrence avec des plates-formes de négociation alternatives gérées par des entreprises d'investissement. Les marchés réglementés pourront au demeurant en gérer eux-mêmes, à l'instar d'Euronext - qui gère le marché libre - ou d'Alternext, à Paris. Enfin, ils devront également laisser la place à des systèmes purement internes, dont l'opérateur - banque ou entreprise d'investissement - se portera contrepartie de ses clients.

En contrepartie de l'abrogation de la règle de centralisation des ordres, la protection des investisseurs a été sensiblement renforcée à travers quatre types de dispositions : un élargissement des règles relatives à la transparence des ordres et des transactions, notamment sur les volumes et les prix ; une plus grande précision des règles de conduite applicables aux entreprises d'investissement ; l'harmonisation des règles applicables aux marchés réglementés ; enfin, un renforcement de la coopération entre les autorités de contrôle européennes.

La France a joué un rôle important dans la négociation de ces dispositions qui sont essentielles pour la protection des petits investisseurs qui n'auront pas accès à l'internalisation des ordres. Il n'a pas été facile de l'imposer aux pays qui pratiquaient jusqu'à présent l'internalisation des ordres sans contrainte, mais la dynamique européenne a joué, grâce à la majorité qualifiée. C'est cette Europe que nous pouvons être fiers de renforcer au travers de la Constitution qui sera bientôt soumise au vote des Français.

La longueur et la complexité de cette directive, qui comporte 73 articles et 2 annexes ainsi qu'une cinquantaine de renvois à des mesures à négocier en « comitologie » européenne, conduit le Gouvernement à demander au Parlement une habilitation à légiférer par ordonnance. Pour les mêmes raisons, et compte tenu des délais de la comitologie - la directive devrait in fine être applicable dans les Etats membres le 30 avril 2007- et des consultations de place indispensables, un délai de dix-huit mois paraît nécessaire pour élaborer ce texte.

Néanmoins, le Gouvernement vous demande dès à présent une habilitation afin d'engager activement la préparation des textes en mobilisant tous les acteurs concernés, et, surtout, afin d'assurer la compétitivité de notre droit. En effet, la transposition de la directive « au bon moment » revêt de forts enjeux pour la compétitivité de notre industrie, qui devra, le jour où l'internalisation des ordres sera admise, entrer en compétition immédiatement à armes égales.

Le Gouvernement a pris soin de mettre en évidence, dans la rédaction du projet d'habilitation, les dispositions tendant à la protection des investisseurs. Dans un souci de cohérence du dispositif, il propose que l'ordonnance entre en vigueur en même temps que ses mesures d'application, dont relève principalement la sécurisation de ces mesures de transparence.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Inscription
ou
Connexion