Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi tout d'abord de saluer dans cet hémicycle, pour la première fois dans le cadre de la discussion d'un texte législatif, M. Thierry Breton. C'est avec grand plaisir, monsieur le ministre, que la commission des finances entame avec vous l'examen de ce projet de loi.
C'est un texte apparemment technique. S'il a le mérite d'être bref - 6 articles -, pour autant, il est loin d'être négligeable.
D'une part, il s'inscrit - et il faut s'en réjouir - dans un processus de résorption de notre retard en matière de transposition de textes communautaires. D'autre part - et surtout -, il met l'accent sur l'industrie financière. C'est volontairement, monsieur le ministre, que j'associe ces deux termes. Il s'agit bien d'un enjeu d'attractivité et de compétitivité : notre pays doit se doter des industries financières indispensables à son rayonnement économique en Europe. A cet égard, le droit des marchés financiers est un élément très important et très observé dans ce combat pour plus de compétitivité.
Mes chers collègues, il faut toujours viser à l'équilibre le plus judicieux entre, d'une part, la sécurité, qui requiert une régulation très précise et très étoffée, et, d'autre part, la souplesse, qui permet de s'adapter aux évolutions de la vie économique et financière.
Ainsi que l'a rappelé M. le ministre, le présent texte pose un jalon par rapport aux étapes passées et futures de la modernisation des législations financières en Europe et, plus précisément, dans notre pays.
A la vérité, nous avons lancé ce mouvement dans la foulée de la directive européenne de 1993 sur les services d'investissement, qui avait donné lieu en France à un véritable texte fondateur, à savoir la loi du 2 juillet 1996 de modernisation des activités financières. A l'époque, Jean Arthuis était à votre place, monsieur le ministre, et j'avais le plaisir d'être le rapporteur de ce texte au nom de la commission des finances du Sénat.
Bien sûr, beaucoup de nouveautés sont apparues depuis lors, qui nous ont conduits à intervenir à de nombreuses reprises sur les mêmes matières, par exemple au moyen de la loi du 15 mai 2001 relative aux nouvelles régulations économiques, mais bien davantage encore au moyen de la loi du 1er août 2003 de sécurité financière. Monsieur le ministre, vous nous avez annoncé de nouvelles avancées législatives, en l'occurrence un texte qui portera votre nom et qui s'intitule actuellement « projet de loi pour la confiance et la modernisation de l'économie ». Nous aurons alors l'occasion de revenir sur différents sujets de droit financier et boursier.
Le présent texte comporte deux volets. Le premier vise classiquement à transposer le dispositif dit « abus de marché ». Le second est une demande d'habilitation du Gouvernement pour procéder par ordonnance à la transposition d'une directive sur les marchés d'instruments financiers.
Concernant le premier volet, il faut évoquer les différents textes européens dont il est question.
Ce dispositif comprend en premier lieu une directive-cadre du 28 janvier 2003 et, en second lieu, quatre textes d'application, adoptés entre la fin de 2003 et avril 2004. Mes chers collègues, je souhaite insister sur ce dispositif, spécifique à certains domaines du droit communautaire. Il s'agit d'un processus en deux temps : directive-cadre puis textes d'application -, appelé « processus Lamfalussy », qui conduit à intégrer les avis des milieux professionnels dans la définition des textes d'application, avec la participation active de la Commission, des régulateurs européens et des experts, réunis au sein de comités. De là vient cette expression un peu étrange de « comitologie », qui, dans le cadre dudit processus, rappelle que les textes d'application doivent être élaborés au plus près des préoccupations des professionnels et du marché.
En ce qui concerne le dispositif « abus de marché », le bloc communautaire est complet et il s'agit simplement d'une transposition.
S'agissant des marchés d'instruments financiers, nous ne disposons encore que de la directive-cadre du 21 avril 2004. Nous nous trouvons donc à une phase différente du processus de normalisation communautaire. Pour autant, la commission des finances vous suit, monsieur le ministre, dans votre demande d'habilitation, mais en souhaitant accompagner le Gouvernement - tant les enjeux sont encore substantiels - pour mettre au point les textes d'application.
Je reviens à la question de l'abus de marché. Chacun est bien conscient qu'il est important, sur le plan tant moral qu'économique, de pouvoir disposer d'un système juridique clair et précis pour réprimer les abus de marché. Il en va bien sûr de la défense de l'ordre public général - c'est ce que recouvre, dans mon esprit, le terme de moralité. Il en va également de l'efficacité des marchés et de celle de l'économie de marché elle-même. Cette dernière requiert des systèmes de régulation qui doivent être suffisamment précis, transparents et indépendants pour que la confiance des différents acteurs du marché soit au rendez-vous.
Le système juridique français a depuis longtemps - il faut en convenir - pris en compte ces impératifs essentiels. Cela nous a par exemple permis de mettre en place un double registre de sanctions des abus de marché : les sanctions administratives et les sanctions pénales. A notre satisfaction, ces textes communautaires s'avèrent très respectueux de l'architecture juridique et judiciaire française en la matière - ce qui n'était sans doute pas si évident au départ -, faisant une juste part aux sanctions administratives et une non moins juste part aux sanctions pénales.
Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, les textes communautaires dont il s'agit s'inscrivent dans le Plan d'action pour les services financiers lancé en 1999.
Cette directive-cadre enrichit et précise la notion centrale d'information privilégiée, dont la détention implique des interdictions de comportements, des abstentions de réalisation d'opérations ou de communication. Par ailleurs, la directive-cadre définit la notion de manipulation de marché, qui recouvre les éléments suivants : donner des indications fausses ou trompeuses, fixer les cours à un niveau anormal ou artificiel, recourir à des procédés fictifs ou à toute forme de tromperie ou d'artifice. Il faut cependant rappeler qu'il peut y avoir exemption lorsque certaines opérations sont conformes aux « pratiques de marché admises », telles que les régulateurs nationaux peuvent les reconnaître.
En outre, la directive-cadre prévoit les conditions de gestion des informations privilégiées par les émetteurs et les intermédiaires ainsi que la mise en place par chaque Etat membre d'une autorité unique de régulation, dotée de pouvoirs suffisants.
Elle prévoit, enfin, les mesures nécessaires de coopération et d'échange d'informations entre autorités nationales.
Cette énumération atteste clairement que notre pays a déjà largement anticipé sur ces impératifs et que l'autorité administrative unique, l'AMF, est en place. D'ailleurs, si l'on avait écouté le Sénat, elle eût été mise en place un certain nombre d'années auparavant.
Par ailleurs, il existe une procédure de déclaration des opérations réalisées par certaines personnes physiques sur les titres d'un émetteur.
De nouvelles garanties organisationnelles et procédurales en matière d'enquête et de sanction des manquements boursiers sont également prévues.
En outre, le règlement général de l'AMF a déjà transposé, en ses Livres II et VI - selon la nomenclature AMF-, certaines mesures d'ordre réglementaire figurant dans le nouveau dispositif communautaire.
On relèvera plus particulièrement les dispositions ayant trait à la définition des pratiques de marché admises, à la définition de l'information privilégiée et aux obligations d'abstention que la détention d'une telle information emporte, et à la définition des manipulations de cours.
Le règlement général de l'AMF contient également certaines précisions ayant trait à la diffusion d'une fausse information et au régime des opérations des émetteurs sur leurs propres titres. Nous reviendrons ultérieurement sur ce dernier élément.
Je ne reprendrai donc pas la description du premier volet du projet de loi, me bornant à vous renvoyer, mes chers collègues, aux discussions sur les quelques amendements que la commission des finances a adoptés et qui sont, pour l'essentiel, des amendements de précision ou visant à des améliorations rédactionnelles.
J'en viens au second volet de ce texte, qui est à la fois le plus intéressant conceptuellement et le plus novateur mais sans doute le plus controversé. Il s'agit de la directive-cadre sur les marchés d'instruments financiers.
Jusqu' à présent, en droit financier classique, notamment dans notre pays, un principe de base a prévalu : le principe de concentration des ordres boursiers sur les marchés réglementés. Ce principe a été commun à toute l'Europe continentale.
Nos collègues anglo-saxons et les professionnels des pays de cette mouvance ont conçu des systèmes d'essence différente : plates-formes multilatérales non réglementées et systèmes internalisés bilatéraux gérés par des prestataires de services d'investissement. Vous avez évoqué ce point, monsieur le ministre : c'est le cas, par exemple, d'une banque internationale d'investissement globale qui se porte contrepartie des ordres du marché ou de certaines catégories d'ordres du marché pour définir des prix de transaction. En quelque sorte, dans ce cas de figure, le marché est dans le bilan du prestataire de service d'investissement, dans le bilan de la banque d'investissement que j'évoquais.
Il faut bien distinguer, à ce stade, deux notions : d'une part, la cotation d'un titre, c'est-à-dire son inscription sur la liste d'un marché réglementé, et, d'autre part, les conditions d'exécution des transactions sur ce titre. Ces transactions pourront continuer à avoir lieu, soit sur le marché réglementé - qui a défini une liste de titres sur laquelle figure celui qui nous préoccupe -, soit ailleurs, c'est-à-dire sur un marché de gré à gré ou à l'intérieur du bilan d'un prestataire de services d'investissement.
Cette directive sur les marchés d'instruments financiers est donc un texte significatif et tout à fait sensible, car il n'y avait pas consensus au départ sur le saut intellectuel qu'il nous est ainsi proposé d'accomplir. Ainsi que l'a rappelé M. le ministre, au cours de la discussion du texte, un compromis a été trouvé : l'acceptation de la dualité « marché réglementé- transactions hors marché réglementé » contre la mise en place d'un dispositif de nature à favoriser une meilleure transparence « pré-négociation ».
Ce compromis est délicat ; dans son principe, il figure dans la directive-cadre mais devra être concrètement élaboré jusqu'aux mesures d'application dans le cadre de la comitologie.
Ce nouveau cadre répond à un objectif de concurrence entre mode d'exécution des ordres et meilleur traitement des ordres. Des aménagements devront encore être prévus de façon que la transparence puisse prévaloir. Cette transparence de l'information sur les prix est évidemment un enjeu essentiel et il conviendra d'être particulièrement vigilant à cet égard.
C'est pourquoi, mes chers collègues, la transposition par ordonnance, pour acceptable qu'elle soit, suppose d'être encadrée. La commission des finances vous proposera donc un amendement de nature à définir les principes auxquels il convient de se référer en cette matière. En effet, on ne doit pas éluder le fait que la nouvelle architecture des marchés peut comporter des risques : risque de fractionnement de la liquidité, risque d'éviction de certains investisseurs, notamment individuels, des canaux hors marchés réglementés, qui seraient appelés à traiter un volume considérable d'opérations, difficulté d'apprécier et de comparer la qualité d'exécution des ordres.
On se réfère au principe de meilleure exécution. Il doit permettre d'apporter les garanties nécessaires. Encore convient-il d'y veiller dans le détail, car la transposition est bien, elle aussi, un art d'exécution et, en ce qui concerne l'amendement que j'aurai l'honneur de défendre tout à l'heure, la formulation explicite des principes a pour objet d'inciter le Gouvernement à la vigilance au niveau des mesures d'application.
Enfin, votre commission vous proposera, mes chers collègues, deux initiatives complémentaires.
Elle vous proposera d'abord de ratifier expressément, par un article additionnel, deux ordonnances récentes, visant, l'une, à transposer la directive européenne sur les conglomérats financiers et, l'autre, à réformer le régime du transfert de propriété des instruments financiers.
Par ailleurs, nous estimons, monsieur le ministre, devoir mettre l'accent sur un enjeu bien spécifique qui est relatif à la pratique par les entreprises du rachat de leurs propres actions.
Il est bien compréhensible - cela a toujours été pratiqué et admis - que les entreprises puissent, dans un cadre bien délimité, régulariser le cours de leurs titres. Il est également compréhensible qu'une assemblée générale, en toute lucidité, puisse décider, si tel lui semble être l'intérêt de l'entreprise, de réduire le montant du capital en annulant des titres. Il est, par ailleurs, indispensable que puisse exister un système de rachat pour alimenter le dénouement d'options données sur le capital.
Il existe une dernière pratique, qualifiée par l'Autorité des marchés financiers, le 22 mars dernier, de « pratique de marché admise », qui consiste pour une société à racheter une certaine quantité de ses propres titres afin d'alimenter ultérieurement des opérations d'échange et de contribuer ainsi à des opérations de croissance externe, les titres rachetés pouvant être remis à l'échange et concourir au financement de telles opérations.
La presse financière s'est notamment fait l'écho de quelques controverses en la matière, en particulier à partir de pratiques de la société Vivendi Universal à la fin de l'année 2001, ce qui a conduit à réexaminer ce sujet. Monsieur le ministre, la commission des finances a souhaité, par le biais d'un amendement qu'elle a adopté en début d'après-midi, vous interroger afin que vous acceptiez de réfléchir avec elle à ce délicat sujet.
La commission considère que les pratiques actuelles sont légitimes dans leur principe mais qu'elles nécessitent d'être encadrées. En d'autres termes, le marché, les actionnaires doivent être correctement informés. Si l'on souhaite racheter des titres pour les annuler, il faut le dire. Si l'on souhaite racheter des titres pour les conserver et les remettre à l'échange, il faut également le dire. Passer d'une logique à une autre est critiquable si l'assemblée générale ne peut plus s'y retrouver dans le suivi des résolutions, comme tel était au demeurant le cas des actionnaires de Vivendi Universal en reprenant la série des décisions d'assemblée générale auxquelles ils avaient été amenés à souscrire.
Monsieur le ministre, tels sont, en substance, les principaux éléments qui se dégagent de l'examen par notre commission des finances de ce texte fort intéressant et assurément novateur. Nous formons le voeu que les avantages qu'il comporte soient nettement plus importants que les risques qui peuvent résulter de son application.
C'est dans cet esprit, résumant donc une approche globalement favorable, mais sollicitant quelques précisions et garanties, que la commission des finances a préconisé l'adoption d'une série d'amendements et, bien entendu, un vote positif sur l'ensemble du texte.