Intervention de François Marc

Réunion du 2 mai 2005 à 15h00
Adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers — Discussion d'un projet de loi

Photo de François MarcFrançois Marc :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi portant diverses dispositions d'adaptation au droit communautaire dans le domaine des marchés financiers qui est soumis à notre examen aujourd'hui a pour objet la transposition de deux directives européennes : la directive « Abus de marché » et la directive « Marchés d'instruments financiers ».

Après la vague de scandales boursiers de l'année 2002, il fallait redonner confiance aux investisseurs afin de stabiliser les marchés financiers. C'est dans cette perspective que s'inscrit l'adoption de la directive « Abus de marché » et c'est également dans cette perspective que doit s'inscrire la loi de transposition.

Or, à l'analyse de ce projet de loi, force est de constater que les modalités de transposition de cette directive ne permettent pas d'atteindre pleinement les objectifs visés, à savoir renforcer l'intégrité des marchés financiers européens.

L'intégrité des marchés financiers, qui suppose le respect de la transparence, est l'une des conditions indispensables à la restauration de la confiance sur les marchés financiers, ce qui suppose que soient évitées les opérations boursières susceptibles de tromper le marché.

Nous avons, à cet égard, le sentiment que le Gouvernement a transposé ce texte a minima.

Afin d'illustrer mon propos, j'évoquerai ici deux des modalités de transposition de la directive « Abus de marché », telles qu'elles sont prévues par ce projet de loi, chacune des deux étant d'ailleurs hautement significative du faible degré d'exigence de ce texte.

En premier lieu, le texte prévoit de soumettre les établissements de crédit et les entreprises d'investissement à une « obligation de déclaration de soupçon à l'AMF, dès lors qu'ils ont des raisons de suspecter une opération délictueuse. En second lieu, le projet de loi prévoit de soumettre les émetteurs d'instruments financiers admis aux négociations sur les marchés réglementés à une obligation d'information plus générale.

On aura remarqué le point commun entre ces deux obligations d'information de l'AMF : elles ne s'appliquent qu'aux « opérations sur des instruments financiers admis à la négociation sur un marché réglementé ». Or le fait de restreindre la portée de l'obligation générale d'information de l'AMF aux émetteurs de titres inscrits à la cote sur les marchés réglementés constitue une double erreur.

Premièrement, la directive « Abus de marché » porte sur tous les titres, qu'ils soient admis aux négociations sur les marchés réglementés ou non. A cet égard, je citerai le texte de la directive du 29 avril 2004 portant modalités d'application de la directive « Abus de marché ». Son deuxième considérant prévoit que les pratiques observées sur les marchés non réglementés doivent faire l'objet d'une surveillance accrue, car « il se peut, pour des raisons structurelles, que des pratiques observées sur des marchés non réglementés soient moins transparentes que des pratiques similaires sur des marchés réglementés ».

Le troisième considérant de la directive dispose que « les pratiques de marché propres à un marché donné ne doivent pas compromettre l'intégrité d'autres marchés de l'Union européenne qui lui seraient liés, directement ou indirectement, que ces marchés soient ou non réglementés. En conséquence, plus fort sera le risque d'atteinte à l'intégrité d'un tel marché lié de l'Union, plus faible sera la probabilité que ces pratiques soient acceptées par les autorités compétentes. »

Ce projet de loi doit donc prendre acte de l'extension du champ d'application de la directive « Abus de marché » aux marchés non réglementés.

De surcroît, la transposition de la directive relative aux marchés d'instruments financiers, dite directive MIF, supprime le monopole de la centralisation des ordres et des marchés réglementés. Par conséquent, une grande quantité d'opérations financières se déroulera en dehors des marchés réglementés, dans la zone dite « hors marché ».

Pour garantir l'intégrité des transactions financières, on ne peut pas limiter le champ d'application de cette directive aux seules transactions - et celles-ci seront de moins en moins nombreuses - portant sur des titres admis aux négociations sur les marchés réglementés.

A cet égard, la notion d' « admission à la négociation sur un marché réglementé », qui irrigue tout le droit boursier, demeure en effet, comme l'a indiqué M. le rapporteur, « un pivot de la nouvelle législation, quel que soit le mode d'exécution des ordres, et contribue à conférer aux marchés réglementés un rôle de référence juridique, notamment dans le cadre de la prévention et de la répression de l'abus de marché. »

Cela signifie-t-il que la répression de l'abus de marché devrait s'arrêter aux portes des marchés réglementés ? Non, justement pas !

M. le rapporteur n'a pas su - ou n'a pas voulu - tirer les conclusions de ses propres constatations. La sanction de l'abus de marché doit pouvoir être mise en oeuvre sur toutes les sortes de titres, qu'ils soient admis aux négociations sur les marchés réglementés ou non.

Aussi importe-t-il, pour que soit garantie l'intégrité des marchés financiers, de prévoir l'encadrement juridique des abus de marché sur tous les types de marchés, qu'ils soient réglementés ou non.

Il n'y a donc aucune raison de limiter le champ d'application de cet article. Je ne peux pas croire que l'objectif du Gouvernement soit de restreindre l'efficacité d'une loi qui devrait favoriser l'intégrité des marchés financiers, renforcer la transparence et donc la confiance. Je préfère penser qu'il s'agit d'un oubli et que nous aurons la possibilité, en tant que parlementaires soucieux de garantir la transparence, de réparer cette erreur.

Je ne saurais trop faire appel à la vigilance en cette matière : les récents scandales boursiers et les affaires trop fréquentes qui occupent la scène médiatique nous y obligent. Nous devons tout mettre en oeuvre pour que soit garantie la transparence des marchés financiers.

On sait à quel point la présentation de comptes fictifs - je pense aux cas de Vivendi ou de Rhodia - nuit à l'entreprise, qui en est la victime, et à ses salariés, qui en subissent les conséquences. La présentation de comptes fictifs pourrait être qualifiée d'abus de marché, car c'est un moyen de mentir aux salariés, de tromper le marché, de duper les investisseurs et d'abuser les autorités boursières.

Mes chers collègues, il nous appartient d'encadrer ce type de pratiques et de tout mettre en oeuvre afin qu'aucune transaction ne puisse avoir lieu sur un marché échappant à la sanction de l'abus de marché. Vous l'aurez compris, les socialistes se battent pour étendre au maximum l'applicabilité de cette sanction. J'espère que nous serons entendus.

Néanmoins, j'ai de sérieuses raisons de penser qu'il nous faudra redoubler d'efforts, tant il est vrai que ce projet de loi n'atteint pas les objectifs fixés par la directive dont il prétend assurer la transposition. En effet, la portée de ce texte est très faible dans la mesure où celui-ci n'envisage pas de réel mode de sanction en cas de violation de ses dispositions.

Le projet de loi prévoit un régime de sanction faiblement efficace au regard de ses objectifs puisque, aux termes de celui-ci, aucune procédure de sanction civile ni pénale ne pourra être intentée contre les débiteurs de l'obligation de déclaration de soupçon, dès lors qu'ils auront réalisé cette déclaration de « bonne foi ». Or nous savons à quel point la notion de bonne foi est variable. Pour les juristes, elle fait partie des grandes notions aux contours flous.

L'effectivité de la législation boursière en matière de transparence requiert de la précision. Comment garantir le respect de l'obligation de déclaration de soupçon en l'absence de sanction ? La sanction pénale n'est sans doute pas la plus adéquate, mais la sanction civile s'impose.

Depuis la loi de sécurité financière, on s'interroge sur les moyens d'élargir le champ d'application de l'action en responsabilité civile contre les dirigeants. Cette exonération de responsabilité n'est donc pas la bienvenue. Elle affaiblit encore l'efficacité du régime de la responsabilité des dirigeants, allant ainsi à l'encontre de la tendance américaine au renforcement de la transparence dans la gestion de l'entreprise.

Il s'agit là d'un choix politique majeur : comment rétablir la confiance dans le marché si l'on ne prévoit pas les moyens de restaurer la confiance dans l'entreprise ?

Il en va ici de l'efficacité de ce projet de loi : comment garantir l'effectivité du nouvel article L. 621-18-2 du code monétaire et financier si les dirigeants ne risquent aucune sanction ou seulement une sanction faible en cas de violation de l'obligation de communication qui leur est faite ?

A ce jour, et malgré la loi dite de sécurité financière, le vrai levier de la corporate governance, la responsabilité des dirigeants, n'a pas fait l'objet d'une vraie réforme, indispensable à son efficacité.

Ne manquons pas à nouveau l'occasion qui nous est offerte d'améliorer l'efficacité de la gouvernance d'entreprise. Saisissons-nous de ce projet de loi pour rendre plus effectif le régime de mise en cause de la responsabilité des dirigeants.

Je conclurai mon propos par une critique du très contestable article 5 de ce projet de loi. Cet article ne porte pas sur les modalités de transposition de la directive « Abus de marché » mais prévoit les modalités de transposition de la directive « Marchés d'instruments financiers ». Celle-ci bouleverse le paysage boursier et affecte la transparence et le mode de formation des prix.

Depuis le XVè siècle, la bourse est organisée en France selon le système de la centralisation des ordres : tous les ordres d'achat et tous les ordres de vente parviennent au même endroit, participant ainsi à la détermination d'un prix qui résulte de la libre confrontation de l'offre et de la demande.

Tous les acteurs du marché, qu'il s'agisse de la veuve de Carpentras ou du gros investisseur institutionnel, ont donc accès à la même information. Le mode de formation du prix sur un marché réglementé français protège ainsi les droits de l'investisseur individuel, consommateur de produits financiers et souvent profane, car ce système garantit un juste prix pour tous les investisseurs, quels que soient leur taille ou le volume des titres qu'ils achètent.

Mais, avec la directive MIF, cette organisation est en voie de disparition, au profit des gros investisseurs et au détriment des petits porteurs. L'approche anglo-saxonne a triomphé. En mettant fin au monopole des marchés réglementés, cette directive augmente en effet l'opacité des marchés financiers et introduit incontestablement une rupture, comme les députés français l'avaient indiqué lors des débats au Parlement européen.

La France a défendu sa conception centralisée de l'organisation des marchés financiers et a insisté pour que la nouvelle architecture des marchés n'altère pas la transparence et la qualité du processus de formation des prix, dont le respect est indispensable au bon fonctionnement du marché.

Aussi la transposition de la directive MIF, qui incarne une rupture dans la tradition boursière française, doit-elle être accompagnée de mesures garantissant la transparence pour tous et le respect de l'égalité de traitement des actionnaires.

L'adoption et la teneur de ces mesures doivent faire l'objet d'un débat au Parlement. Or le présent projet de loi autorise le Gouvernement à prendre par ordonnance les mesures nécessaires pour transposer la directive MIF. Rien ne justifie cette transposition par la voie réglementaire.

Sur un sujet aussi fondamental pour l'organisation générale de la bourse, et notamment pour les petits porteurs, il importe de faire délibérer le Parlement. Et ce n'est pas la technicité de ce texte qui devrait empêcher l'adoption de celui-ci par la voie législative.

La directive MIF fait courir aux investisseurs, et plus particulièrement aux petits porteurs, des risques : la fragmentation de la liquidité, la difficulté d'appréciation de la qualité d'exécution des ordres, l'accroissement des risques de conflit d'intérêts chez les intermédiaires financiers, ou encore la difficulté croissante pour les autorités boursières de surveiller le marché.

Face à ces risques, il importe de trouver des garde-fous non pas réglementaires mais législatifs, comme le renforcement des règles de transparence ou de meilleure exécution des ordres. Il convient donc de mettre en place un système juridique plus protecteur de l'information fournie. On ne peut pas en effet laisser le Gouvernement assurer à lui seul l'encadrement de la transparence et le contrôle de l'intégrité de l'information fournie sur les marchés financiers.

Je citerai quelques-unes des questions qui inquiètent les acteurs du marché.

Qui assurera la communication de l'information sur un marché décentralisé ?

Quelles seront les conditions d'accès de tous à cette information ? Il se peut en effet que celle-ci ne soit plus gratuite, ce qui va à l'encontre du principe d'égalité de traitement des investisseurs.

Comment donner à nouveau confiance dans le marché si chacun peut obtenir, comme cela est envisagé, un prix particulier ou une bonification de prix en fonction de sa seule situation personnelle et de son seul pouvoir de négociation ?

Les réponses à ces questions difficiles ne peuvent pas être fournies en dehors du champ de compétence de la représentation nationale. Sur ces interrogations fondamentales, mes chers collègues, le Parlement ne peut pas se dessaisir de son pouvoir de légiférer.

Telles sont, monsieur le ministre, les observations que je souhaitais formuler au nom de mon groupe. Nous sommes d'accord sur les objectifs que vous avez rappelés dans votre intervention. Mais nous émettons le souhait que soient fortement renforcés les quatre premiers articles de ce projet de loi. Nous déposerons des amendements en ce sens. Par ailleurs, nous souhaitons une saisine directe du Parlement s'agissant de la directive MIF, et donc le retrait de l'article 5. Si ces demandes ne recevaient pas un accueil favorable de votre part, monsieur le ministre, il va de soi que nous ne saurions adopter ce projet de loi.

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