Mes chers collègues, dans une décision du 22 mars dernier, l'Autorité des marchés financiers a accepté, comme relevant d'une pratique de marché admise, l'acquisition d'actions propres par une société aux fins de conservation et de remise ultérieure en paiement ou en échange dans le cadre d'opérations de croissance externe.
Lesdites pratiques de marché admises sont visées par le dispositif communautaire relatif à l'abus de marché. Définies par les autorités nationales de régulation, elles permettent aux émetteurs de bénéficier d'une présomption simple de légitimité au regard de l'abus de marché.
Or, il convient de rappeler l'origine de la législation française en matière de rachat d'actions. Cette pratique s'est répandue très rapidement dans les marchés financiers, peut-être même trop aux yeux de certains analystes, de certains commentateurs, de certains économistes, mais elle est très récente.
En effet, c'est en 1998 que le premier jalon sur ce chemin a été posé avec le rapport de place confié à M. Bernard Esambert.
Le Parlement avait accepté les régimes de rachat d'actions à l'occasion de la discussion d'un texte de 1998, qui étendait les dispositifs préexistants, lesquels n'admettaient que la régularisation de cours, c'est-à-dire des acquisitions réalisées dans le cadre de programmes assez strictement définis et pour de faibles volumes.
Dans son rapport de janvier 1998 sur la réforme du rachat d'actions, M. Bernard Esambert proposait une certaine libéralisation de ce régime, mais insistait sur la nécessité d'éviter les pratiques de contournement et d'assurer la transparence des opérations :
« La nouvelle législation devrait permettre aux entreprises qui décident de ne pas les annuler d'utiliser les titres rachetés notamment pour procéder à une acquisition ou à un échange par remise de titres comme c'est le cas aux Etats-Unis. Cette possibilité pourrait cependant faire craindre certains abus : remise des titres à des sociétés amies, risque de dilution pour les actionnaires, possibilité de replacer les titres sur le marché sans passer par la procédure protectrice d'émission [...], financement d'acquisitions sans respecter la procédure des apports en nature.
« Afin de supprimer ces risques, il serait nécessaire que la plus grande transparence existe quant au sort des titres rachetés. C'est pourquoi l'entreprise devrait être contrainte d'informer les actionnaires et le marché de l'exacte situation des titres autodétenus, et cela régulièrement. »
Au regard des propositions formulées dans ce rapport, la décision précitée de l'AMF paraît trop souple. En effet, elle est de nature à entériner certaines pratiques controversées des émetteurs et tend à s'écarter des objectifs du règlement européen de 2003, adopté dans le cadre du dispositif communautaire sur l'abus de marché.
Certains épisodes de la vie du marché financier, notamment celui que j'ai évoqué au cours de la discussion générale, ont attiré notre attention. C'est pourquoi la commission des finances propose de renforcer l'encadrement des rachats d'actions selon trois axes.
Premièrement, il s'agit de faire en sorte que les assemblées générales des sociétés concernées respectent le principe de constance et de cohérence.
En effet, les actionnaires votent un programme de rachat d'actions en vue de la réalisation d'un objectif parmi les quatre qui sont admissibles : il faut s'y tenir et rendre compte sur l'exécution. Les rachats d'actions prévus pour chaque objectif ne doivent pas être commodément réaffectés à un autre objectif.
En d'autres termes, les objectifs autorisés par l'assemblée générale ne sont pas fongibles et toute réaffectation suppose la convocation d'une nouvelle assemblée générale des actionnaires, laquelle, en la matière, reste seul juge. J'insiste, monsieur le ministre, sur l'opportunité de valoriser ici le rôle des actionnaires délibérant en assemblée générale.
Deuxièmement, il s'agit d'introduire un sous-plafond de 5 % du capital de l'émetteur pour les opérations de rachat d'actions destinées à la croissance externe, au sein du plafond global de 10 % du capital de l'émetteur prévu pour les rachats d'actions.
Troisièmement, enfin, et conformément aux préconisations du rapport Esambert, il s'agit de prévoir que les actions ainsi rachetées ne pourront servir au financement d'une opération de croissance externe que dans un délai de trois mois à compter de leur acquisition, et ce afin d'éviter les aléas de marché.
En outre, si aucune opération de croissance externe n'a été réalisée dans un délai de deux ans et si l'assemblée générale n'a pas décidé de réutiliser les titres acquis pour une autre finalité, ces titres seront purement et simplement annulés. Ainsi cet autocontrôle qui ne dit pas son nom ne pourra-t-il plus prospérer.
Tel est, monsieur le ministre, le raisonnement sur lequel se fonde la commission des finances pour présenter cet amendement.