Intervention de Jacques Muller

Réunion du 5 février 2008 à 16h00
Organismes génétiquement modifiés — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jacques MullerJacques Muller :

Monsieur le président, monsieur le ministre d'État, mes chers collègues, nous voici réunis pour travailler sur un nouveau projet de loi visant à enfin transcrire en droit national la directive 2001/18/CE relative à la diffusion des OGM dans l'environnement.

La carence juridique qui a prévalu depuis octobre 2002 jusqu'aujourd'hui avait fini par créer une situation difficile dans nos campagnes. En mettant plusieurs fois à l'index notre pays pour défaut de transcription de la fameuse directive, les instances de l'Union européenne ont implicitement indiqué l'origine de ces difficultés. Je me dois de souligner que ce n'est, hélas ! pas une première pour notre pays, bien au contraire : la France avait déjà été rappelée à l'ordre en ce qui concerne la transcription des directives « Nitrates » et « Natura 2000 ». Un mal récurrent, en quelque sorte...

C'est pourquoi je me réjouis très sincèrement de voir le problème enfin pris à bras-le-corps, et ce dans un contexte national profondément renouvelé.

En effet, si la Haute Assemblée avait déjà été amenée à se pencher sur le sujet en 2006, un événement majeur, central, inédit, s'est produit cet automne : le Grenelle de l'environnement.

Indiscutablement, le Grenelle de l'environnement a créé une nouvelle donne, sur la méthode, d'abord, mais aussi le fond, où il a permis, en matière d'OGM, trois avancées essentielles : d'abord, la reconnaissance du fait de la dissémination des transgènes, qui introduisent dans l'environnement des événements génétiques nouveaux ; ensuite, l'affirmation du principe de responsabilité, constitutif du concept de développement soutenable ; enfin, et surtout, la reconnaissance du droit fondamental de « consommer et produire sans OGM ».

Le Grenelle de l'environnement consacre ainsi les libertés d'entreprendre et de choisir sa consommation, qui sont imprescriptibles dans une démocratie digne de ce nom.

Monsieur le ministre d'État, le projet de loi déposé par le Gouvernement porte dans sa rédaction quelques atteintes à ces avancées.

Manifestement rédigé sous la pression à peine voilée des lobbies productivistes, dont on perçoit le poids dès l'article 2, le texte présenté aujourd'hui devant la Haute Assemblée est en recul par rapport aux engagements du Grenelle de l'environnement. Il ne répond pas aux attentes légitimes de celles et de ceux qui sont attachés à cette liberté sacrée « d'entreprendre et de consommer sans OGM » ; il est même en retrait par rapport à l'esprit et à la lettre de la directive 2001/18 qu'il est censé transcrire - j'y reviendrai durant la discussion des articles.

Le premier dérapage apparaît dès l'article 1er : on passe subrepticement du droit de « consommer et produire sans OGM », affirmé dans le Grenelle de l'environnement, au droit de « consommer et produire avec ou sans OGM », dérive d'ailleurs portée par le Président Sarkozy lui-même.

Ce faisant, la dissymétrie liée à l'introduction d'un événement génétique nouveau est implicitement niée : le « avec » et le « sans » deviennent équivalents, d'où il résulte que le principe fondateur de nos lois, censées « protéger le faible », comme le rappelait déjà Lacordaire au xviiie siècle, n'est plus respecté.

Le deuxième dérapage apparaît dans la constitution et le fonctionnement de la nouvelle Haute Autorité tels qu'ils sont décrits à l'article 2.

Au lieu de s'appuyer sur la préfiguration qu'en a donnée la Haute Autorité provisoire, qui a bien fonctionné - même si son avis a déchaîné la colère des partisans du MON 810 ! -, au lieu de s'appuyer sur l'expérience réussie du dialogue qui s'était instauré au sein du Grenelle de l'environnement entre les scientifiques et la société civile, le Gouvernement semble revenir en arrière. Serait-ce pour donner quelques nouveaux gages aux lobbies ? J'estime pour ma part que disparaît ici la richesse qu'a apportée le Grenelle de l'environnement sur le plan de l'innovation sociétale, plus particulièrement le concept d'élaboration à cinq d'un avis faisant « autorité ».

La troisième grande difficulté provient de la manière dont le Gouvernement traduit dans la loi le principe de responsabilité. Je relève un décrochage sensible, voire une contradiction, entre l'article 1er et l'article 5, lequel définit les modalités d'indemnisation des victimes de contamination par des OGM sur des bases minimalistes et inacceptables. En effet, en toute rigueur, « sans OGM » signifie « pas d'OGM au seuil de détection scientifique » ! C'est ce qu'expriment très clairement les organisations de consommateurs...

Monsieur le ministre d'État, vous aurez compris ma déception !

Les conclusions consensuelles du Grenelle de l'environnement - plus particulièrement la protection du faible, de celui qui subit la contamination génétique - sont mises à mal. C'est pourquoi, dans un esprit parfaitement constructif, je ferai des propositions concrètes pour rectifier le tir.

Mais il y a plus grave : ce sont les amendements déposés par le rapporteur, semblables, ô combien semblables aux desiderata des lobbies à l'audition desquels j'ai assisté, en même temps que lui, dans le cadre du groupe de travail du Sénat sur les OGM.

Le nouveau parlementaire que je suis découvre avec étonnement le caractère partisan de ces auditions : écoute attentive et complaisante des partisans et promoteurs des OGM ; indifférence, voire impatience envers les autres...

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