Dans le même esprit, la Haute Autorité décrite à l'article 2 est définitivement mise à mal par l'amendement du rapporteur.
Je conclurai mon propos par trois réflexions.
Premier point, monsieur le ministre d'État, je vous avais exprimé en toute cordialité mes craintes à l'issue de cette formidable expérience sociétale que s'est révélé être le Grenelle de l'environnement : celles de voir les lobbies bien connus saper le travail qui a été fourni par l'ensemble des acteurs. Eh bien, c'est chose faite ! Le projet de loi marque de nets reculs par rapport aux engagements du Grenelle de l'environnement en matière d'OGM, plus particulièrement par rapport à cette liberté de consommer et de produire sans OGM que j'évoquais. Pis, les lobbies productivistes se sont vu complaisamment relayer par le rapporteur : il s'est d'ailleurs nettement déclaré demandeur d'amendements lors des auditions et les a repris pratiquement tels quels, y compris ceux qui jouent clairement contre le Grenelle de l'environnement.
Deuxième point, je souhaite attirer toute votre attention sur le fait que ce projet de loi sur les OGM, attendu depuis octobre 2002, est le premier grand texte d'application du Grenelle de l'environnement. Quand bien même nous n'en sommes qu'au stade de la première lecture, et à la veille des élections municipales, nos concitoyens observent très attentivement ce qui est en train de se passer. L'échec ainsi programmé, si le projet de loi reste en l'état ou, pis, s'il devait être dévoyé, les amènera à tirer les conclusions qui s'imposeront ! Je pèse bien mes mots : sur ce sujet de société, qui relève d'une question centrale pour nos sociétés démocratiques, celle de la liberté, du libre choix du consommateur, du libre choix du producteur en faveur du « sans OGM », c'est la crédibilité même de l'ensemble du Grenelle de l'environnement qui se joue, et non pas seulement en matière d'OGM.
À chacun de prendre ses responsabilités en conscience. Je prendrai les miennes, sans états d'âme ni prise en considération des étiquettes politiques, car les enjeux sont évidemment beaucoup trop graves pour que l'on se laisse aller à de petits jeux politiciens...
Monsieur le ministre d'État, il faut « sauver le soldat Grenelle »... « parce qu'il le vaut bien » ! Vous pourrez compter sur mes propositions constructives.
Troisième point, je conclurai sur une note plus technique, économique - ma double qualité d'ingénieur agronome et d'ancien professeur d'économie m'y oblige.
Par les dispositions du projet de loi que nous allons adopter, le choix d'ouvrir en grand - ou pas - les vannes des OGM dans notre agriculture ne relève pas que de choix éthiques ou moraux déjà abordés, il relève aussi de véritables choix stratégiques, sur le plan économique.
Permettez-moi de citer M. Guy Paillotin, ancien président de l'INRA et secrétaire perpétuel de l'Académie d'agriculture : « La question qu'il faut poser est : en quoi les OGM peuvent-ils consolider ou au contraire dégrader nos propres avantages comparatifs ? »
En effet, dans un monde devenu globalisé, où l'OMC met l'Union européenne sous pression au nom de la libre concurrence, déchaînant ainsi des phénomènes de dumpingenvironnemental dans le domaine de l'agroalimentaire, il s'agit, permettez-moi de citer de nouveau M. Guy Paillotin, d'« éviter un suivisme aveugle guidé par le simple souci de relever un défi technologique qui pourrait ne pas être favorable à nos intérêts. »
La théorie des avantages comparatifs nous enseigne qu'un pays a intérêt à se spécialiser dans le domaine où il dispose d'avantages relatifs par rapport à ses concurrents. En matière d'OGM, M. Guy Paillotin estime ainsi que « notre intérêt est de maintenir la diversité de nos productions et l'image de qualité de nos produits et non point de nous fondre dans un moule indifférencié. »
Autrement dit, la préservation de nos structures agricoles de petites tailles par rapport à celles des nouveaux pays agricoles exportateurs de produits agricoles de base issus d'OGM, doit nous inviter à nous positionner intelligemment dans les créneaux de la division internationale du travail agroalimentaire.
Ces pays disposent de structures agricoles immenses, face auxquelles nous ne pourrons jamais tenir : à terme, nous aurions tout à perdre à essayer de nous placer dans cette catégorie poids lourds, mais bas de gamme !
En revanche, nous devons nous donner les moyens de préserver et de développer nos productions de terroir, à haute valeur ajoutée, porteuses de signes de qualité reconnus par les consommateurs : appellations d'origine, labels, notamment biologiques mais pas exclusivement. Quoi qu'en pensent certains, signes de qualité signifient « sans OGM », puisque telle est la demande explicite des consommateurs !
Faisons le choix de la raison, celui d'une agriculture durable, valorisant intelligemment les potentialités de nos terroirs de France, riches de leur diversité. Par conséquent, ne confondons pas les intérêts immédiats d'une fraction des exploitants agricoles, productiviste et corporatiste, avec les intérêts à long terme de l'ensemble de l'agriculture et de l'agroalimentaire français : chacun aura compris que ces intérêts seraient mis à mal par un déferlement des OGM dans nos campagnes !
Ainsi, respecter l'esprit et la lettre de la directive 2001/18/CE que nous avons à transcrire, rester à l'écoute des attentes de la société attachée à la liberté de « consommer et de produire sans OGM » telle qu'elle est affirmée dans le Grenelle de l'environnement, « sauver le soldat Grenelle » aujourd'hui menacé de disparition sous la pression de ces lobbies corporatistes plus que jamais mobilisés...