mes chers collègues, comme l’a rappelé l’auteur de la proposition de loi organique, l’article 68 de la Constitution institue une procédure de destitution du Président de la République « en cas de manquement à ses devoirs manifestement incompatible avec l’exercice de son mandat ». Je rappelle que, avant la révision constitutionnelle, il était question de « haute trahison », notion incompréhensible sur laquelle les juristes se penchaient régulièrement, et qui n’a d’ailleurs jamais été appliquée.
Cet article 68 constitue, ainsi que M. Patriat l’a rappelé, le corollaire de l’article 67 de la Constitution relatif au statut juridictionnel du chef de l’État.
La loi constitutionnelle du 23 février 2007 portant modification du titre IX de la Constitution, dont j’étais le rapporteur, était largement inspirée du rapport de la Commission de réflexion sur le statut pénal du Président de la République, présidée par le professeur Pierre Avril.
Le dernier alinéa de l’article 67 renvoie la détermination des conditions d’application de la procédure de destitution à une loi organique qui, à ce jour, n’a fait l’objet d’aucune initiative du Gouvernement, ce que l’on peut regretter.
La commission des lois a observé que la proposition de loi organique présentée par MM. François Patriat et Robert Badinter, ainsi que par les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, répond à l’évidence à une lacune juridique touchant un aspect important du fonctionnement de nos institutions, même si elle vise, en pratique, des situations de crise mettant en cause le chef de l’État qui ne se sont jamais présentées sous la Ve République. Il y a bien eu, certes, la tentative individuelle d’un parlementaire que vous connaissez bien, monsieur Patriat, de déférer le précédent président de la République devant la Haute Cour, mais elle n’a jamais abouti, le nombre de signatures nécessaire n’ayant jamais pu être réuni. Il nous faut donc être extrêmement vigilants à ce qu’un tel dispositif ne puisse être utilisé à des fins politiciennes.
Le texte proposé prévoit de manière très complète les dispositions nécessaires à la mise en œuvre de l’article 68 de la Constitution, même si, à titre personnel, je suis réservé quant à la répétition systématique dans la loi organique de dispositions déjà prévues dans la Constitution. Soit ces dispositions sont reproduites purement et simplement, soit elles sont quelque peu modifiées, ce qui peut poser des problèmes de compréhension entre les deux textes.
Néanmoins, comme le révèlent certains des choix opérés par les auteurs de la proposition de loi organique, ces dispositions organiques ne correspondent pas seulement à de simples mécanismes procéduraux ; elles mettent aussi en jeu des équilibres institutionnels justifiant une réflexion approfondie. D’ailleurs, l’élaboration d’une loi organique de mise en œuvre de la Constitution prend souvent beaucoup de temps. Les lois organiques issues de la dernière révision constitutionnelle n’ont pas échappé à cette règle, certaines dispositions faisant l’objet de désaccords entre l’Assemblée nationale et le Sénat.
Je souhaiterais attirer plus particulièrement votre attention sur trois points.
Le premier sujet de réflexion concerne le nombre de signataires et, plus généralement, les conditions requises pour le dépôt d’une proposition de résolution tendant à la réunion de la Haute Cour.
La proposition de loi organique prévoit que la proposition de résolution doit être déposée par soixante députés ou soixante sénateurs, soit, comme nous sommes deux fois moins nombreux que nos collègues députés, une proportion deux fois plus grande de sénateurs. Le rapport de la commission Avril recommandait que la proposition soit signée par le dixième des membres de l’assemblée concernée, reprenant sur ce point les anciennes dispositions des règlements du Sénat et de l’Assemblée nationale concernant le nombre minimal de signatures exigées pour une proposition de résolution portant mise en accusation devant la Haute Cour de justice.
Si l’on peut s’interroger sur le nombre de signataires nécessaire, on peut également se demander si cette condition est par elle-même suffisante pour éviter un usage abusif de la proposition tendant à la réunion de la Haute Cour. La commission Avril suggérait qu’un membre du Parlement ne puisse être signataire que d’une seule proposition de réunion de la Haute Cour au cours du même mandat présidentiel. Selon le rapport de cette commission, « si la motion initiale n’aboutit pas mais que des circonstances ultérieures justifient une nouvelle proposition de réunion, celle-ci restera possible, à condition d’être signée par d’autres que ceux qui avaient pris la première initiative infructueuse ».
Faut-il prévoir d’autres mécanismes, comme, par exemple, la possibilité que l’assemblée ne soit pas appelée à délibérer d’une motion si le Bureau s’y oppose à l’unanimité ?
Le deuxième sujet de réflexion concerne la composition du Bureau de la Haute Cour et le rôle qui lui est imparti.
Tout d’abord, le choix de faire du Bureau de la Haute Cour la réunion des Bureaux des deux assemblées ne conduit-il pas à doter cette instance d’un effectif trop important – 48 personnes ! –, qui ne paraît pas adapté au rôle décisionnel qui lui serait confié ?
Surtout, les décisions du Bureau devraient-elles être prises au cas par cas, ou prendre la forme d’un règlement ? Certains des professeurs de droit constitutionnel que j’ai entendus, dans le bref délai dont je disposais, ont jugé souhaitable que tous les aspects de la procédure soient réglés avant que ne soient mises en œuvre les dispositions de l’article 68. D’aucuns, au contraire, peuvent ne pas juger opportun d’établir un règlement de la Haute Cour sur le modèle du règlement du Congrès. Celui-ci avait été élaboré le 20 décembre 1963 par le Bureau du Congrès qui, en vertu de l’article 89 de la Constitution, est celui de l’Assemblée nationale, et soumis au Conseil constitutionnel, le Congrès étant assimilé à une assemblée parlementaire au sens du premier alinéa de l’article 61 de la Constitution.
Le troisième sujet de réflexion porte sur la possibilité pour le Président de la République de se faire représenter tant devant la commission que devant la Haute Cour. La notion de représentant n’est-elle pas préférable, d’ailleurs, à celle de « conseil », utilisée dans la proposition de loi organique, qui conserve une connotation sans doute excessivement judiciaire ? Comme vous l’avez rappelé, monsieur Patriat, il ne s’agit pas d’une procédure judiciaire. Il faut donc absolument distinguer les deux procédures – la procédure devant la Haute Cour et la procédure judiciaire –, car elles présentent des différences évidentes.
Ces quelques questions importantes n’épuisent pas les différents sujets sur lesquels, je le crois, notre réflexion doit encore mûrir.
Par ailleurs, la commission a été informée par le Gouvernement qu’un projet de loi organique portant application de l’article 68 de la Constitution serait rapidement présenté au Parlement.
C’est pourquoi, avant de nous prononcer sur la présente proposition de loi organique – une initiative que je salue et dont je remercie les auteurs ! –, nous avons estimé nécessaire de prendre connaissance du texte du Gouvernement dans un domaine qui intéresse directement la stabilité de nos institutions et peut justifier, de la même manière, l’initiative du Parlement et celle de l’exécutif. Nous avons considéré que nous serions mieux éclairés par l’analyse comparée des dispositions proposées par les deux textes, s’agissant en particulier des aspects les plus complexes de la procédure de destitution. De toute façon, quatre heures n’auraient pas suffi pour épuiser un tel sujet…
Aussi la commission des lois souhaite-t-elle permettre un examen concomitant de la proposition de loi organique et du projet de loi organique. Elle propose en conséquence de ne pas établir de texte et d’adopter, à ce stade, une motion tendant au renvoi à la commission de la présente proposition de loi organique.
Bien entendu, nous attendons des engagements du Gouvernement sur ce sujet. Il ne saurait être question, monsieur Patriat, de renvoyer indéfiniment ce texte en commission. Par conséquent, si un projet de loi n’était pas déposé dans des délais raisonnables, votre proposition de loi serait reprise et examinée au fond par la commission.