Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le débat sur l’application de la loi du 3 août 2009 relative à la gendarmerie nationale vient très opportunément devant notre Haute Assemblée aujourd’hui, un an après le rapprochement budgétaire et financier des deux institutions, police nationale et gendarmerie, et près de six mois après la promulgation d’une loi qui avait suscité bien des inquiétudes sur l’ensemble de nos travées.
Que notre collègue Jean-Louis Carrère, que Mme Klès a bien voulu remplacer aujourd'hui, soit remercié d’avoir pris l’initiative de ce débat dont nous attendons qu’il apporte éclaircissements et explications sur certains points et apaise les craintes que nous avons entendu s’exprimer ici et là.
J’étais intervenue dans cet hémicycle, il y a un an, devant le prédécesseur de M. Hortefeux et je l’avais interrogée sur la nécessité de revenir sur un mode de fonctionnement de la police et de la gendarmerie, institué en 1798, qui faisait encore ses preuves avec deux forces distinctes placées sous deux autorités différentes œuvrant de conserve à la sécurité des biens et des personnes. Je m’étais inquiétée de la non-concordance des temps entre l’examen de la loi de finances mettant concrètement en œuvre des dispositions et le vote de ces dispositions qui ne devait intervenir que huit mois plus tard.
Je me dois d’admettre que l’épreuve du terrain donne raison au Gouvernement. Concrètement, le rapprochement, opéré de fait depuis bien longtemps, tend maintenant vers un enrichissement mutuel des cultures dont police et gendarmerie tirent un vrai bénéfice. La mise en commun de compétences et de savoir-faire, le renforcement de la cohérence et de la complémentarité de l’activité des deux forces ne sont plus à démontrer. La mutualisation de certaines formes de logistique contribue également à cette meilleure efficacité opérationnelle. Le spectre de la « fusion », que nous étions nombreux à redouter, s’est quelque peu éloigné. Le statut militaire des gendarmes n’est pas entamé ; la spécificité de la police est respectée comme celle de la gendarmerie.
Mais alors d’où vient ce malaise que font remonter jusqu’à nous certains gendarmes qui nous ont interpellés ?
En effet, certains sous-officiers en fin de carrière et certains officiers prononcent encore mezza-voce le mot « fusion ». S’agirait-il de problèmes statutaires que pourtant le ministre de l’intérieur s’efforce de régler selon les engagements pris ? Les décrets publiés à la fin du mois de décembre sont là pour en témoigner, comme ceux qui sont en préparation ou prêts à être publiés.
D’autres militaires ont cru que leur mode même d’action serait remis en cause dans le cadre de cette recherche d’efficience que le Gouvernement s’est donné pour objectif.
Il faut les rassurer : la quête de l’efficience ne passe pas par un appauvrissement des tâches. Il n’y a pas « doublon » entre police et gendarmerie lorsque, pour une activité donnée, les méthodes d’approche, les moyens, les objectifs sont différents. Le renseignement tel que pratiqué dans nos zones rurales par la gendarmerie n’a rien à voir, chacun s’accorde à le reconnaître, avec le renseignement recueilli par les nouveaux services unifiés de la police.
Je serai aux côtés de ces militaires pour veiller à ce que la spécificité de leur métier soit reconnue et respectée et qu’ils ne soient pas relégués, parce que là est leur crainte, à un rôle de « police des chemins creux ». Cette crainte est d’ailleurs partagée par bon nombre d’élus ruraux, dont je suis.
Nous connaissons les contraintes de la RGPP, nous mesurons la nécessité de réduire les effectifs, mais ne sommes-nous pas en droit de nous inquiéter de cette suppression de 1 303 postes en 2010, succédant à une suppression déjà réalisée de 1 246 emplois en 2009, soit au total 2 500 en deux ans alors que la LOPSI avait fixé à 7 000 emplois les renforts nécessaires ?
N’avons-nous pas raison de faire valoir que la seule prise en compte des statistiques du nombre des plaintes déposées ou du taux d’élucidation des crimes et délits ne doit pas gouverner toute la réflexion sur les conditions du maillage territorial de la gendarmerie ?
Il y a bien peu de temps qu’ont été réorganisées les communautés de brigade, avec leurs conséquences sur l’organisation quotidienne de l’activité de la gendarmerie. Et voilà que l’on se retrouve au pied du mur à chercher comment réparer le non-remplacement de gendarmes dans nos territoires ruraux où s’installe de plus en plus une forme de désespérance, à l’image de celle dont nous gardons tous la mémoire et qui avait atteint il n’y a pas si longtemps le département de la Creuse.
Avec les gendarmes et pour eux, nous avons maintenant, au-delà de la guerre des chiffres, besoin de nouveaux fondements.
M. le ministre de l’intérieur nous a montré qu’il veillait à lutter contre l’instabilité textuelle et je suis assurée de sa volonté de conduire à bonne fin les 147 décrets prévus par la loi.
La paix sociale est au cœur de ses préoccupations. Il le démontre aussi sur le plan statutaire. Néanmoins, il reste beaucoup à faire pour maintenir à bon niveau le fonctionnement des casernes, la part patrimoniale de l’État dans l’immobilier de la gendarmerie.
Mais plus que tout, me semble-t-il, il faut mettre en chantier ce qui jusqu’ici n’a été qu’approche partielle : je pense à la nécessaire répartition des territoires et à la fixation d’objectifs respectueux de la police et de la gendarmerie dans leurs différences en même temps que dans leur complémentarité.
Je suis sûre que M. le ministre saura entendre les inquiétudes des uns et des autres et y répondre.