Intervention de Claire-Lise Campion

Réunion du 14 janvier 2010 à 15h00
Création des maisons d'assistants maternels — Adoption d'une proposition de loi

Photo de Claire-Lise CampionClaire-Lise Campion :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collèges, au cours des vingt dernières années, des efforts importants, y compris financiers, ont été réalisés pour répondre aux besoins des parents en matière d’accueil d’enfants. La création d’un fonds d’investissement de la petite enfance, proposée lors de la conférence de la famille du 15 juin 2000 et décidée lors de la loi de financement de la sécurité sociale de 2001, a été poursuivie les années suivantes. La France consacre aujourd’hui plus de 1 % de son PIB aux aides à la garde et aux services d’accueil des jeunes enfants.

Pourtant, si la politique familiale se focalise depuis plusieurs années sur la problématique de l’offre d’accueil du jeune enfant, nombre de parents sont encore dans l’impossibilité de trouver une solution qui corresponde à leur choix. Beaucoup d’entre eux sont encore contraints d’interrompre leur activité professionnelle pour garder leurs enfants. Entre 2003 et 2006, une hausse de 7 % des parents confrontés à une telle situation a été enregistrée.

Les parents sont d’autant plus obligés de cesser leur activité que se développent les horaires atypiques et décalés, contraignant les familles, et donc les enfants, à un rythme de vie auxquels nos structures collectives ne peuvent apporter de réponse, sauf à ne plus distinguer le jour et la nuit.

La PAJE, prestation d’accueil du jeune enfant, qui correspond en fait à une redistribution d’aides et à une amélioration de l’AGED – allocation de garde d’enfant à domicile –, s’est révélée beaucoup plus coûteuse que prévu et n’a pas permis de pallier l’insuffisance globale de l’offre d’accueil, alors que le coût moyen d’un enfant gardé a augmenté de 60 %.

Le nombre de places chez les assistantes maternelles n’a, quant à lui, que peu progressé ; le nombre de places disponibles en accueil collectif n’a augmenté que de 2 % par an entre 2000 et 2007, soit un taux qui n’atteint même pas celui de la fécondité.

En outre, un certain nombre de places créées ne peuvent pas être ouvertes en raison du déficit d’encadrement et de personnels. Il manque à ce jour entre 300 000 et 400 000 places pour répondre à la demande des parents. Tel est le constat, que nous connaissons tous, établi par la Cour des comptes et par le rapport de notre collègue députée Mme Tabarot.

L’objectif tendant à permettre aux femmes la conciliation entre leur vie professionnelle et leur vie familiale n’est donc pas atteint.

À ce constat s’ajoute aujourd’hui celui de la dégradation prévisible des finances des collectivités locales, en raison, notamment, de la réforme de la taxe professionnelle : ces dernières n’auront plus la capacité d’investir au même niveau que ces dix dernières années dans les modes d’accueil collectif.

Soyons clairs : il ne s’agit nullement d’un renoncement. La convention d’objectifs et de gestion 2009-2012 signée entre la CNAF et l’État a pour objet de créer, sur cette période, 60 000 nouvelles places en établissements d’accueil des jeunes enfants. Mais l’accueil collectif a un coût que les collectivités ont de plus en plus de difficulté à supporter seules, comme je viens de l’indiquer.

Enfin, un élément supplémentaire doit absolument être pris en compte : alors que les assistantes maternelles assurent 63 % de l’offre d’accueil extra-familial des jeunes enfants à l’échelon national et 87 % en milieu rural, 50 000 d’entre elles vont partir à la retraite d’ici à 2015.

Il est donc urgent de susciter des vocations, en rendant plus attractive cette profession, longtemps confrontée à un problème de définition, de statut et de reconnaissance professionnelle, et en offrant des perspectives d’évolution de carrière et de formation.

Permettre à une assistante maternelle ayant une certaine ancienneté de travailler dans un établissement d’accueil pendant une période limitée ou d’obtenir un CAP « petite enfance » constitue des pistes intéressantes, avancées notamment par notre collègue Jean-Marc Juilhard dans son rapport d’information sur l’accueil des jeunes enfants en milieu rural, document cité à plusieurs reprises cet après-midi, mais les conditions pour s’y engager ne sont malheureusement qu’exceptionnellement réunies.

La principale difficulté rencontrée par ces professionnels au cours de l’exercice de leur activité réside dans un manque d’information et un relatif isolement. Parfois confrontés à des difficultés et assurant seuls la relation d’accueil ou les tâches administratives, les assistants maternels souhaiteraient bénéficier d’un soutien plus structuré.

Selon la configuration locale, les relais assistants maternels, les RAM, permettent la rencontre entre professionnels ou un accompagnement. Le réseau des RAM présente un intérêt incontestable et mériterait d’être encore amplifié et développé. Je profite de mon intervention pour souligner ce point.

Afin de rompre l’isolement de ces professionnels, la loi de financement de la sécurité sociale pour 2009 autorise les assistants maternels à accueillir les enfants dans une maison ou un appartement extérieur à leur domicile. Cette possibilité était cependant soumise à la signature de la fameuse convention entre les assistants maternels, le conseil général et la caisse d’allocations familiales. Or la CNAF a élaboré une convention type, jugée inapplicable par de nombreux présidents de conseil général, parce qu’elle interdit la délégation d’accueil entre les assistants maternels et s’impose à eux alors que, dans certains départements, des regroupements fonctionnent déjà.

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit cette délégation d’accueil, rend facultative la convention nationale et revient sur le contrôle des maisons d’assistants maternels.

L’utilité ou le bien-fondé du regroupement des assistants maternels fait consensus. Il est adapté essentiellement à la demande en milieu rural, où le manque de places d’accueil concerne tous les modes d’accueil. Or l’accueil des jeunes enfants est une question prioritaire dans ces territoires, car elle est l’un des éléments majeurs qui conditionne l’installation des parents dans ces secteurs. À ce jour, comme cela a été indiqué, un certain nombre de départements ont autorisé de tels regroupements. Environ 200 projets seraient en attente d’autorisation d’ouverture. De plus, 1’attrait pour un tel mode d’accueil est bien réel.

Je me contenterai de rappeler les atouts que M. le rapporteur et différents orateurs, notamment M. Arthuis, ont exposés tout à l’heure.

Le regroupement apporte une solution d’accueil dans les petites communes rurales, où les frais de fonctionnement d’un établissement d’accueil collectif représentent une charge financière trop lourde pour les municipalités. Même si d’autres solutions innovantes expérimentales existent, le regroupement mériterait d’être mis en œuvre.

Il apporte aux parents dont les horaires de travail sont atypiques et qui ne peuvent ou ne veulent recruter un salarié à domicile une solution d’accueil pour leurs enfants. En effet, une assistante maternelle exerçant chez elle accepte rarement d’accueillir pendant plusieurs heures et régulièrement un seul enfant avant sept heures trente le matin ou après vingt heures.

De plus, le regroupement a l’avantage de permettre à des personnes qui, en raison de l’exiguïté de leur logement, n’offrent pas les garanties d’accueil suffisantes de réaliser leur projet.

De la même façon, ce pourrait être une solution pour les assistants maternels vivant dans les zones urbaines sensibles, les ZUS, qui ne peuvent exercer en raison des réticences des parents à venir dans leur quartier. Des professionnels connaissent cette situation, notamment dans mon département, l’Essonne.

Le regroupement participe aussi au renforcement de l’attractivité de la profession en rompant l’isolement et en donnant la possibilité de partager les expériences professionnelles et d’appréhender le travail en équipe. Il peut apporter une certaine stimulation entre les professionnels pour progresser dans la qualité de l’accueil des enfants.

Enfin, il permet aux assistants maternels d’exercer un autocontrôle sur les problèmes de maltraitance qui peuvent toujours être rencontrés.

Ce mode d’accueil s’ajoute à ceux qui existent et, à l’évidence, il ne doit pas se substituer à la mise en place des autres types d’accueil, notamment collectifs.

Nous avons d’ailleurs constaté que c’est essentiellement le volontarisme des assistants maternels qui fait exister les maisons d’assistants maternels, plus que celui des élus. C’est ce que le déplacement de la commission des affaires sociales en Mayenne a mis en évidence.

Certes, dans ce département, le succès des regroupements d’assistants maternels repose sur une collaboration étroite entre les professionnels et le service de protection maternelle et infantile, ou PMI, mais le facteur essentiel de réussite de ces expérimentations réside dans la très grande motivation et la personnalité des assistants maternels.

À l’inverse, dans d’autres départements, par exemple les Alpes-Maritimes, la volonté politique forte de mettre en place ce mode de garde n’a pas trouvé le même écho dans la profession. Des difficultés sont apparues dès les premiers désaccords entre les professionnels eux-mêmes ou entre les parents et les assistants maternels. Je regrette d’ailleurs que nous n’ayons pu trouver le temps de nous déplacer dans les Alpes-Maritimes et d’autres départements.

Vous l’avez donc compris, sur le fond, je suis loin d’être opposée aux regroupements. Je suis même convaincue du bien-fondé et de la nécessité de trouver des modes d’accueil innovants.

En revanche, je crois fermement que le succès de l’expérience de la Mayenne, qui repose sur la bonne volonté, la motivation et la personnalité des différents partenaires que sont les assistants maternels, les services de PMI, les communes, les départements, n’est pas transposable dans les autres départements en tant que tel. Des garanties juridiques supplémentaires sont nécessaires, et les membres du groupe socialiste en sont tous persuadés.

En réalité, au-delà même de cette nécessaire volonté initiale, il semble que la proposition de loi n’intègre pas toutes les conditions réunies dans le cas de la Mayenne. Elle ne peut donc permettre la reproduction de cette expérimentation réussie.

Je citerai un seul exemple pour illustrer ce propos : les regroupements en Mayenne bénéficient d’un encadrement de fait assuré par l’action de l’association nationale des regroupements d'associations de maisons d'assistantes maternelles, l’ANRAMAM, qui a son siège à Laval et dont la présidente est particulièrement motivée.

Innovation ne doit pas être synonyme de déréglementation. Les normes votées par le pouvoir législatif ou fixées par le pouvoir réglementaire ont d’ailleurs pour seul objet de garantir la sécurité et la qualité de l’accueil des jeunes enfants et, en aucun cas, de réfréner les initiatives locales. Ainsi le rôle des services de PMI, souvent décriés, est de vérifier objectivement que ces normes sont respectées.

J’évoquerai à présent la situation des directions de la PMI dans notre pays. Dans nos départements, ces professionnels ont un rôle essentiel à jouer dans le domaine des politiques relatives à la famille et à l’enfance. Mais ils subissent trop souvent critiques et stigmatisation en raison de leur prétendue trop grande rigidité.

J’aimerais que nous soyons plus nuancés au sujet de ces services, qui font preuve d’une grande capacité d’adaptation face aux très nombreuses modifications législatives et réglementaires. Leur seul souci permanent est l’intérêt de l’enfant, sa sécurité, son bien-être et la qualité de sa prise en charge, exigences qui permettent de préserver la tranquillité d’esprit des parents.

Avons-nous le droit de prendre le risque qu’un ou plusieurs enfants soient victimes de notre imprévision ? Notre responsabilité de législateur nous impose évidemment d’anticiper et de prévenir les risques potentiels.

La convention proposée par la Caisse nationale d’allocations familiales, la CNAF, avait le mérite de préciser un grand nombre de points et de poser le cadre de fonctionnement de ce qui sera, de fait, une collectivité d’enfants. Mais je reconnais bien volontiers qu’elle était lourde et complexe.

La précision de la convention type de la CNAF, validée par le cabinet de Mme Morano, prouve à tout le moins la multiplicité de questions que pose nécessairement tout type d’accueil collectif : qui planifie les horaires d’accueil ? Qui prépare les repas ? Qui assure l’entretien des locaux et les réparations en cas de dégradations ?

De nombreux autres points restaient en suspens. La question majeure était certainement celle de la délégation d’accueil entre les assistants maternels et de la responsabilité qu’elle engage pour ces derniers.

Toutes ces questions nous ont beaucoup préoccupés lors des discussions préparatoires à la séance d’aujourd’hui, en commission et lors de notre déplacement. Nous avons entendu tout à l'heure les réponses que le rapporteur, M. André Lardeux, nous a faites ; nous y reviendrons tout à l’heure.

Si les parents veulent disposer d’une offre d’accueil, ils souhaitent que celle-ci soit de qualité pour pouvoir déposer leur enfant en toute confiance. Cette confiance dépend de la formation des professionnels, de leur encadrement, de leur contrôle et du projet pédagogique défini.

Quoi que l’on en dise, les maisons d’assistants maternels sont bien des structures d’accueil collectif, et à ce titre nous retrouvons tous les enjeux liés à la sociabilisation des tout petits : le taux d’encadrement, la qualification des professionnels, leur disponibilité pour les très jeunes enfants. L’accueil collectif doit donc être envisagé sur un plan collectif.

Accueillir des enfants à domicile demande aux professionnels des qualités relationnelles, de l’organisation et certaines connaissances concernant l’enfant.

Travailler en collectivité nécessite d’autres compétences, telles que l’aptitude à animer ou à gérer un groupe d’enfants, ou encore la capacité à gérer les conflits professionnels. Un positionnement professionnel n’est pas acquis. Il faut l’apprendre, se former. La question des relations avec les parents est également essentielle. La motivation des professionnels ne suffit pas !

La convention type, présentée par la CNAF et rendue facultative par la proposition de loi, définit un projet d’établissement, qui permet de garantir des critères de qualité pour la mise en place d’un mode d’accueil collectif et de développer la cohésion des membres en les associant dans la poursuite d’objectifs communs. Ce projet est indispensable à nos yeux pour mettre en place les maisons d’assistants maternels.

La proposition de loi telle qu’elle nous est présentée ne permet donc pas de satisfaire aux exigences minimales d’un dispositif correspondant, dans les faits, à une structure d’accueil collective de seize jeunes enfants.

J’estime que l’encadrement et la formation des professionnels sont indispensables. De ce fait, l’élaboration d’un projet d’établissement est un préalable à tout projet de maisons d’assistants maternels.

Lors des auditions menées par M. le rapporteur, j’ai été sensible à la proposition émise par le président de la CNAF, M. Deroussen, suggérant de travailler à une version simplifiée de la convention type. Rappelons que nous sommes partis d’un document dense et complexe de plus de douze pages pour arriver, le 15 novembre dernier, à une version allégée, d’un peu plus de six pages.

Aussi, je m’interroge sur les raisons de la précipitation de mes collègues à légiférer sans prendre en compte cette proposition qui nous a été faite d’étudier une nouvelle convention type simplifiée et plus facile à mettre en œuvre.

Y aura-t-il une navette parlementaire ? C’est là une question que nous sommes en droit de nous poser. J’ai cru comprendre que, pour cette proposition de loi, comme pour tous les textes que nous examinons dans cet hémicycle, il s’agissait d’aller vite ! La navette, si elle a lieu, permettra à la CNAF d’avancer en ce sens avec notre participation, et, pendant ce temps, la commission pourra organiser d’autres rencontres de regroupements d’assistants maternels existants afin d’enrichir son analyse.

Les amendements que nous défendrons cet après-midi vont donc dans le sens de la réintroduction d’éléments de réglementation et de garanties qui nous paraissent indispensables.

Nous souhaitons que le nombre d’assistants maternels pouvant se regrouper se limite à trois et que l’un d’entre eux fasse obligatoirement état d’une ancienneté de cinq ans au minimum. Nous ne pouvons en effet imaginer le regroupement d’assistants maternels sans expérience.

Un amendement vise également à modifier le délai de réponse des services de protection maternelle et infantile pour une demande de modification d’agrément. Compte tenu des nouvelles compétences que ces services vont se voir attribuer avec le transfert de la responsabilité du contrôle d’hygiène assuré aujourd’hui par les services vétérinaires de l’État, il me semble nécessaire d’en revenir à un délai tenable.

En conclusion, nous regrettons que l’esprit d’ouverture affiché tout au long du travail en commission se soit soldé par une fin de non-recevoir opposée à la presque totalité de nos amendements !

Nous espérons que la richesse du débat infléchira la majorité, afin que de véritables garanties de qualité et de sécurité soient introduites dans cette proposition de loi, ce qui nous permettrait de voter tout à l'heure ce texte dans l’allégresse, comme vous nous y avez invités, monsieur Arthuis. C’est là mon souhait le plus sincère, mais permettez-moi, malheureusement, de douter qu’il se réalise !

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