Je veux d'abord rappeler que l'aide publique française au développement est orientée, à hauteur de 75 %, depuis les indépendances, vers l'Afrique francophone et méditerranéenne. Mais toutes les études et les enquêtes judiciaires mènent à la même constatation : nous continuons à recevoir de l'Afrique beaucoup plus que nous ne lui donnons.
D'après le dernier rapport de la CNUCED du mois de septembre 2007, sur la période 1991-2004, 13 milliards de dollars en moyenne ont été transférés illégalement chaque année de l'Afrique vers l'Europe. En trente ans, ce sont 400 milliards de dollars qui ont été subtilisés aux peuples africains et transférés dans les pays riches, dont le nôtre. Cette somme doit être comparée aux 215 milliards de dollars de la dette de l'Afrique. Mais qui doit, combien et à qui ?
Et à qui la faute ? Certainement à l'instabilité politique et économique des pays qui incitent les entrepreneurs à mettre leurs capitaux à l'abri. Mais surtout, ces détournements de fonds sont le fait des régimes corrompus, nos partenaires gouvernementaux fréquentables, que nous maintenons au pouvoir via notre aide budgétaire, par la mise en oeuvre d'accords de défense obscurs, l'appui de nos forces armées, comme cela a été le cas au Tchad il y a moins d'un an. Nous sommes maintenant piégés par des décennies de politique complaisante et complice avec ces chefs d'État qui font plus ou moins rempart à des anarchies encore plus prédatrices et sanglantes que leur régime. L'impératif de sécurité entre aujourd'hui en conflit avec le développement et le progrès humain.
Ces détournements de fonds sont aussi le fait des entreprises internationales qui emportent des marchés grâce aux pots de vin versés aux responsables politiques et administratifs. La Banque mondiale estime leur montant à 40 % de celui de l'aide publique internationale. Et la situation s'aggrave avec l'arrivée des entreprises et de l'État chinois en Afrique.
« Qui osera rendre un jour au Nigeria, au Cameroun, au Congo, au Congo-Brazzaville ce que la France leur doit ? », s'interroge la magistrate Éva Joly à l'issue de son instruction de l'affaire Elf et sur la base des enquêtes qu'elle mène actuellement.