Alors que la dureté des conditions de travail et son retentissement toujours plus négatif sur la santé des salariés sont un constat journalier, la confusion entretenue par l'État et les employeurs, qui accusent pêle-mêle les comportements à risque des Français et l'attitude irresponsable des médecins, a pour objet de cacher l'évidence : les inégalités sociales en matière de santé sont en France les plus importantes de la Communauté européenne.
Les maladies professionnelles sont en constante inflation, les salariés âgés ou handicapés sont toujours plus pénalisés et les atteintes psychosociales dues au travail sont de plus en plus fréquentes.
Enfin, les rapports officiels déjà mentionnés dans ce débat mettent en lumière de très importants transferts de coûts des caisses AT-MP vers celles de l'assurance maladie, au détriment de ces dernières.
Aux termes de l'article L. 241-2 du code du travail, le rôle du médecin du travail « exclusivement préventif consiste à éviter toute altération de la santé des travailleurs du fait de leur travail ». L'article L. 241-10-1 précise que « le médecin du travail est habilité à proposer des mesures individuelles telles que mutations ou transformations de postes, justifiées par des considérations relatives notamment à l'âge, à la résistance physique ou à l'état de santé physique et mentale des travailleurs ».
De fait, et selon les textes, il est incontestable que l'adaptation du travail à l'homme permettrait, en faisant disparaître ou en diminuant le plus possible les risques professionnels, de faire régresser les pathologies professionnelles qui affectent trop souvent notre société.
Or les dispositions règlementaires de 2003 et de 2004 relatives à la médecine du travail, en fixant entre autres choses la périodicité de la visite systématique à deux ans, en mettant en place des valeurs plafonds d'activité réparties entre entreprises, visites et effectifs, ont pour conséquence désastreuse la diminution du temps consacré à la visite médicale professionnelle, ce qui altère nécessairement la qualité et la pertinence de l'exercice de la médecine du travail.
Alors que l'on déplore depuis des années la pénurie de médecins du travail - elle est chiffrée à environ un millier -, il n'aura été question, en guise d'amélioration des services de la santé au travail, que de la rationalisation de son activité au profit de ceux qui sont tenus de la financer, à savoir les entreprises !
Je souhaite attirer votre attention sur un point, mes chers collègues : si l'État poursuit son désengagement de ses obligations envers l'intérêt public en donnant la primauté de la prévention des risques professionnels au patronat, c'est-à-dire à ceux qui ont tout intérêt à en dissimuler les conséquences, nous assisterons dans un avenir qui pourrait être très proche à des catastrophes sanitaires comparables à celle de l'amiante.
C'est pourquoi il nous semble juste et urgent de réinvestir la médecine du travail de l'esprit de la loi, c'est-à-dire de conférer au médecin du travail une pratique exclusivement centrée sur la santé des salariés afin d'assurer la prévention des risques professionnels et non exclusivement la santé économique de l'entreprise.
Le médecin du travail étant le seul médecin à avoir accès aux lieux de travail, il peut donc identifier a priori les facteurs de risque sur le poste de travail et conseiller l'entreprise au sujet des actions à mettre en oeuvre en vue d'assurer la gestion de ces risques.
En affirmant le caractère central de la consultation médicale professionnelle, nous lui redonnons une fonction préventive de première ligne, contribuant ainsi à l'efficacité générale de notre système de santé.
Cette consultation doit en particulier pouvoir contribuer aux trois finalités de l'action de la médecine du travail : tout d'abord, la prévention primaire, qui organise le repérage des risques a priori pour leur prévention en amont ; par ailleurs, la prévention secondaire, qui permet la mise en oeuvre d'une veille sanitaire afin de repérer les risques existants et leurs effets sur la santé des sujets au travail et qui conduit à leur mise en visibilité individuelle et collective ; enfin, la prévention tertiaire, qui invite à la prescription d'aménagements du poste de travail individuel, aux conseils sur les conditions du travail et, le cas échéant, aux alertes sanitaires de risque environnemental ou psychosocial.
Ainsi, les médecins du travail, en s'occupant fondamentalement de la santé au travail, participeront pleinement à la santé publique. Ils contribueront concrètement à une entreprise plus sûre pour la santé des salariés et pour celle des populations vivant dans leur environnement.
En conséquence, au-delà d'une réforme générale des services de santé au travail qui jetterait les fondements d'un véritable service public de santé au travail que nous appelons de nos voeux, je vous demande, mes chers collègues, de voter cet amendement.