Intervention de Yvon Collin

Réunion du 9 novembre 2004 à 10h00
Aéroports — Discussion d'un projet de loi

Photo de Yvon CollinYvon Collin, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation :

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le projet de loi relatif aux aéroports que nous allons examiner est le premier texte présenté sur ce thème depuis une cinquantaine d'année : c'est dire à quel point les structures héritées de ce lointain passé méritaient d'être enfin modernisées.

Je rappelle que la commission des finances s'est saisie pour avis du projet de loi, qui est traité au fond par la commission des affaires économiques et notre collègue Jean-François Le Grand. Je tiens d'ailleurs à souligner l'excellent esprit qui a présidé à nos travaux communs.

A l'origine, ce texte ne devait concerner que la première société aéroportuaire française, Aéroports de Paris, dont le statut n'a pas évolué depuis 1945. Le Gouvernement a cependant profité de l'occasion pour y intégrer des dispositions concernant les grands aéroports régionaux. Nous avons toutefois choisi de ne nous saisir que des dispositions relatives à Aéroports de Paris, non par manque d'intérêt pour les autres, bien sûr, mais parce qu'elles relèvent plus directement de la compétence de la commission des finances.

Je vais donc débuter mon propos en précisant, dans un premier temps, les données relatives à Aéroports de Paris, dont découle finalement la nécessité de faire évoluer le statut de cet établissement, avant de présenter les principales innovations que comporte le texte. Comme vous le constaterez, mes chers collègues, elles visent à transformer l'établissement public ADP en une société de services et, corrélativement, à lui donner les moyens de son développement.

Le chiffre d'affaires d'Aéroports de Paris s'est élevé, en 2003, à environ 1, 5 milliard d'euros. ADP a statutairement la responsabilité de la gestion des aéroports en Ile-de-France, ce qui lui confère le plus grand domaine aéroportuaire d'Europe, avec 6 600 hectares composés majoritairement des plateformes de Roissy, d'Orly et du Bourget. ADP emploie ainsi 8 000 salariés de droit privé, mais qui relèvent d'un statut particulier, et est chargé de missions de sécurité sur les aéroports, missions financées par une taxe spéciale.

Je ne pense pas qu'il soit nécessaire d'insister sur les enjeux cruciaux d'un aéroport de cette importance, non seulement pour l'Ile-de-France, mais également pour le pays en général. Plus de 70 millions de passagers transitent chaque année par Roissy ou Orly, contre 40 millions pour l'ensemble des autres aéroports. De plus, ADP est le hub d'Air France, c'est-à-dire le centre des activités de l'une des premières compagnies aériennes mondiale, en fait la première, depuis la fusion avec KLM, en termes de chiffre d'affaires.

Mes chers collègues, vous comprenez donc à quel point son changement de statut présente un intérêt évident.

Pourquoi est-il justement nécessaire de faire évoluer ce statut ? La réponse n'a rien à voir avec le droit communautaire, contrairement à ce qui se passe d'autres secteurs. Elle relève d'une raison beaucoup plus « triviale ».

Aujourd'hui, ADP doit faire face à de très lourds investissements : 700 millions d'euros en 2005. La société doit en effet impérativement se moderniser, améliorer ses procédures et son image - ceux qui connaissent le terminal 1 comprendront ce que je veux dire -, et, surtout, se mettre aux normes afin de recevoir l'A380, ce qui nécessitera des sommes très importantes, de l'ordre de 300 millions d'euros.

Il en va de la place de la plateforme aéroportuaire de Paris en Europe à l'heure où la concurrence, par exemple avec Heathrow à Londres, est devenue une réalité.

Or ADP est endetté. Le ratio d'endettement par rapport aux fonds propre dépasse 150 %, ce qui empêche tout financement futur par emprunt. En conséquence, ce serait à l'Etat de doter ADP des moyens nécessaires à son développement, mais l'Etat n'a pas 700 millions d'euros à mettre chaque année dans le capital de l'entreprise.

La solution est donc double, et passe de toute façon par un changement de statut.

D'une part, ADP doit conduire une politique productive et efficace afin de devenir une plateforme plus performante. Des efforts sont actuellement menés par son président, M. Pierre Graff, en concertation étroite avec les organisations syndicales. Cela dit, vous observerez que le statut des personnels n'est pas touché par le texte, l'article 1er - ce n'est sans doute pas un hasard - le précisant encore.

D'autre part, cela nous concerne plus directement, ADP doit se doter des moyens juridiques lui permettant de recevoir des capitaux privés, ce qui est réalisé par sa transformation en société anonyme. Mais il doit également s'efforcer de devenir un placement rentable pour les investisseurs. Cela résonne comme une évidence, mais il faut relever que la société est étroitement liée à des missions d'intérêt général et au développement économique du pays ; elle supporte donc, à ce titre, de nombreuses contraintes, comme d'ailleurs tous les aéroports du monde.

Un point reste cependant en suspens, sur lequel M. le ministre pourra sans doute nous éclairer. Compte tenu des investissements très lourds à réaliser, dans quel délai le projet de loi pourra-t-il être adopté ? Il serait en effet regrettable que ce projet ne trouvant pas de place dans le calendrier parlementaire, ADP soit contraint d'accroître encore un peu plus son endettement.

Pour en revenir à notre propos, comment le projet de loi répond-il à ces défis ?

Il réalise deux innovations principales : la première concerne la domanialité, la seconde le financement par redevances.

Le passage au statut de droit privé étant acquis, le Gouvernement avait la possibilité d'assurer le maintien du régime de la domanialité publique, ce qui aurait entraîné de facto la perte par ADP de terrains qui étaient jusqu'à présent sa propriété. Il semble que, sur ce point, les personnels de l'entreprise se soient montrés très attachés à l'intégrité de la société, qui aurait alors été compromise.

De plus, il convient de rappeler que la valeur d'un actif est égale au flux de trésorerie qu'il permet de générer dans le futur. Si l'Etat avait conservé la propriété des terrains, il aurait dû demander une redevance symbolique ou nulle, ce qui lui aurait été défavorable, puisque les terrains ne lui auraient alors rien rapporté pas plus qu'à la future société ; si l'Etat avait choisi de demander une redevance correspondant à la valeur des terrains, il aurait obligé ADP à augmenter ses propres ressources, ce qui se serait produit au détriment de ses clients et aurait diminué ses possibilités d'investissement.

C'est donc le passage à un régime de domanialité privée qui a été privilégié, mais en tenant compte des obligations du service public.

Le projet de loi encadre le passage à la domanialité privée par de nombreuses garanties, dont les principales sont fixées dans un cahier des charges qui sera approuvé par un décret en Conseil d'Etat. On peut remarquer qu'il n'y aura aucune perte pour l'Etat, qui est propriétaire de 100 % du capital de la société. Les investisseurs la valoriseront en prenant en considération les terrains dans son bilan.

En ce qui concerne les redevances, celles-ci représentent 29 % du chiffre d'affaires, soit un produit total de 489 millions d'euros. Elles correspondent aux différents services rendus par l'aéroport aux compagnies aériennes, qui acquittent donc une redevance pour chaque avion qui se pose, chaque passager qui débarque, etc. Actuellement, les redevances sont fixées par ADP, après concertation avec les compagnies aériennes ; l'Etat dispose d'un droit de veto.

Dans le passé, on a pu observer une certaine « sous-évaluation » des redevances. Ainsi, entre 1990 et 2000, elles ont à peu près progressé au même rythme que l'inflation, ce qui semblait correspondre à une volonté des différents gouvernements de ne pas pénaliser les compagnies aériennes, notamment Air France. Depuis 2001, elles augmentent d'environ 5, 5 % par an, ce qui tient compte des besoins en investissement de la société.

Il me faut ici faire un point rapide sur le principe dit de la « caisse unique ». En effet, les redevances perçues par les aéroports ne couvrent pas l'ensemble des coûts.

Tous les aéroports du monde pratiquent le système dit de la « caisse unique », qui consiste à assurer leur équilibre économique par des recettes provenant des activités annexes, notamment les commerces implantés sur l'aéroport et les parkings. Il n'est pas question de remettre en cause ce principe, mais la tendance est à la « vérité des prix ». M. le ministre pourra d'ailleurs nous préciser ce point. C'est la raison pour laquelle le projet de loi prévoit, notamment, que les redevances pourront tenir compte de la rémunération des capitaux investis. Cette disposition paraît évidente, mais cela n'avait jamais été écrit.

Cependant, sur le plan procédural, une difficulté est apparue. A l'heure actuelle, il existe une large concertation pour la fixation des redevances. Demain, l'Etat sera régulateur, actionnaire d'ADP et actionnaire d'Air France. Cela fait beaucoup, ce qui nous a conduits à réfléchir sur l'opportunité de créer une autorité de régulation indépendante.

Toutefois, après analyse, on peut penser qu'une telle structure serait lourde à gérer et susceptible d'interférer avec la politique des transports et la politique d'aménagement du territoire, qui restent, cela ne nous a pas échappé, la prérogative du Gouvernement.

Il me semble donc que la formule, que notre collègue Jean-François Le Grand présentera au nom de la commission des affaires économiques, consistant à créer une « commission de conciliation aéroportuaire » indépendante qui adresserait au ministre des avis motivés sur le sujet, va dans le bons sens. Cette commission permettrait également de contrôler l'application du cahier des charges relatif à la gestion par ADP de son domaine public. M. le ministre pourrait d'ailleurs nous répondre sur le type de régulation qu'il envisage concrètement de mettre en oeuvre, et s'il estime que l'architecture choisie offre toutes les garanties.

Mes chers collègues, vous vous interrogez peut-être sur les exemples étrangers de régulation. En fait, il n'y a pas de « modèle » aéroportuaire. En Allemagne, la régulation est directement réalisée par les Länder, qui sont propriétaires des aéroports. En Grande-Bretagne, elle est réalisée par le Conseil de la concurrence.

En conséquence, dans ce domaine, il faut avant tout avoir présent à l'esprit que les intérêts des compagnies aériennes et de l'Etat actionnaire et régulateur sont convergents.

Il faut offrir à ADP les moyens financiers de se développer. Cela passera certainement par des hausses de redevances, mais ces dernières ne représentent, si j'ose dire, que 4 % du prix d'un billet d'avion. Je crois que les dirigeants d'ADP sont tout à fait conscients de leur responsabilité en la matière. Je compte donc soutenir M. le rapporteur de la commission des affaires économiques sur ce point.

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