Intervention de Michel Billout

Réunion du 9 novembre 2004 à 10h00
Aéroports — Discussion d'un projet de loi

Photo de Michel BilloutMichel Billout :

... ou simple lieu de relais des orientations définies par l'OMC ou par la Commission européenne. Ce projet de loi en est la parfaite illustration !

Quant à la commission des finances, saisie pour avis, notamment sur l'épineuse question des redevances, elle ne propose aucun amendement.

Ce texte, véritable passoire, renvoyant à des décrets des domaines extrêmement importants ayant trait à la fois à la liste des terrains et biens qui continueront à relever de la domanialité publique, au champ des obligations de service public, à la définition des statuts de la nouvelle société ADP, au bouleversement des règles de calcul et de modulation des redevances, ne devrait faire l'objet in fine que de modifications marginales. Et ce, malgré les incohérences du texte pointées d'ailleurs par MM. les rapporteurs ; il ne s'agit pas ici, entendons-nous bien, de remettre en cause la qualité remarquable de leur travail, que je tiens à souligner.

Ce qu'il convient de dénoncer, c'est bien l'omnipotence d'un exécutif qui tend de plus en plus à nier le rôle démocratique de nos institutions, en prenant appui sur le contexte actuel de domination de l'idéologie libérale s'érigeant en véritable dogme.

Pourquoi abandonner le système de la caisse unique - mais il se peut que je me trompe, monsieur le ministre -, qui, comme l'a souligné notre collègue Yvon Collin, est pratiqué par tous les aéroports du monde pour faire face à l'insuffisance des redevances tirées des seules activités aéroportuaires ?

Pourquoi remettre en cause le régime de la domanialité publique, ce qui est à contre-courant, là encore, de ce qui se pratique sur le plan mondial ?

Pourquoi abandonner le statut d'établissement public d'ADP au profit de celui de société anonyme, alors que, dans le contexte actuel, après la récente zone de turbulence sur fond de faillites de grandes compagnies aériennes, les résultats économiques et financiers d'ADP sont, somme toute, plutôt positifs ?

Dans un secteur fortement fragilisé et en pleine restructuration, ADP a su tirer son épingle du jeu. Il fait même plutôt figure d'exception au regard, dernièrement, de la hausse de son chiffre d'affaires et de son résultat net d'exploitation.

Ainsi, pour 2003, le chiffre d'affaires consolidé se situe aux alentours de 1, 7 milliard d'euros, soit une progression de plus de 15 % par rapport à 2002.

C'est la démonstration de l'efficacité d'une politique de développement d'un pôle irriguant une large zone économique, qui a permis à ADP, comme à Air France d'ailleurs, de mieux résister aux perturbations conjoncturelles. C'est la démonstration de la réussite d'une politique volontariste de développement des infrastructures à même d'amortir les chocs externes.

C'est tout cela que vous voulez remettre en cause en choisissant de mettre en oeuvre la privatisation d'ADP et des grands aéroports régionaux, en abandonnant ce secteur aux logiques purement marchandes.

Une telle politique a nécessité de lourds investissements, qui impliquent un niveau d'endettement élevé de l'établissement public. Cependant, ce dernier n'aura pas demandé un centime au contribuable depuis plus de vingt ans. Il aura même anticipé le remboursement à l'Etat des emprunts contractés au cours des années quatre-vingt.

Qu'en sera-t-il demain quand la société sera privatisée ?

Contrairement aux arguments traditionnellement invoqués par les libéraux, je crains que ce choix de privatisation ne fragilise profondément l'entreprise pouvant aller jusqu'à remettre en cause sa pérennité. Plutôt que de recourir aux emprunts sur les marchés financiers pour faire face aux besoins de financement de l'établissement, une recapitalisation aurait dû être envisagée, mais celle-ci se heurte au dogmatisme libéral actuel, qui n'a de cesse de réduire le champ d'intervention de l'Etat.

On pouvait tout aussi bien envisager la mise en place d'un pôle bancaire et financier public pour répondre aux besoins futurs. Cela aurait l'avantage de ne pas fragiliser l'établissement, tout en préservant son statut d'établissement public. Mais le Gouvernement préfère ouvrir le capital.

Pour l'Etat, qui deviendrait le seul et unique détenteur du capital d'ADP, comme le prévoit le projet de loi, c'est une manne financière extrêmement importante, au vu de l'ensemble des actifs financiers, fonciers et immobiliers valorisables, qui viendra alimenter les caisses du budget pour réduire le déficit lors de la privatisation.

C'est autant d'argent qui ne sera pas réintroduit dans le circuit économique pour alimenter la croissance.

Je doute sérieusement que le changement de statut d'ADP en société anonyme réponde à de réelles contraintes économiques et financières, et l'on ne saurait nier, après les exemples d'Air France, de France Télécom, d'EDF et bientôt, sans doute, de la SNECMA, que ce texte prépare le terrain d'une future privatisation d'ADP. J'ai de bonnes raisons de craindre de lourdes conséquences pour la future société et l'ensemble de ses salariés.

En premier lieu, comme on a pu l'observer dans d'autres secteurs, l'arrivée des actionnaires privés, qui exigeront des taux de rémunération de capitaux élevés - j'entends parler de 7, 5 % - prélevés sur la valeur ajoutée, pèsera finalement sur la situation financière de l'entreprise, et sur sa capacité à se développer dans l'avenir.

Cette ponction sur la richesse créée au profit des marchés financiers est, à terme, très préoccupante et peut remettre en cause l'entreprise.

En effet, le risque existe d'une fuite en avant pour assouvir les appétits des marchés financiers, par le biais de la recherche d'une diminution des coûts, d'un accroissement de la productivité, d'un développement de la sous-traitance et d'une précarisation du personnel.

A cela s'ajoute la perte de la garantie d'emprunt d'Etat, qui se traduira automatiquement par un accroissement des taux d'intérêt et un alourdissement de la charge de la dette:

En deuxième lieu, de par la volonté de diversifier les activités et le souci de répondre aux exigences d'une rentabilité financière immédiate, on risque d'assister au développement de la filialisation des activités, qui entraînerait autant de coupes dans le budget de la société ADP et fragiliserait fortement sa situation financière, et ce d'autant plus si certaines activités sont cédées à des intérêts privés. L'on connaît, par exemple, les appétits du groupe Vinci dans le domaine des activités aéroportuaires.

La recherche de la réduction des coûts se traduirait aussi par la poursuite de la réduction des emplois et de la masse salariale, y compris dans un contexte de reprise économique.

Ainsi, malgré la hausse d'activité, ADP a déjà externalisé certaines activités. La seule présence d'actionnaires privés accélèrera plus encore ce mouvement.

On comprend aisément dans ce contexte que le texte de loi n'apporte aucune véritable garantie au personnel, notamment en ce qu'il n'intègre pas les accords conventionnels.

En troisième lieu, et l'exposé des motifs de ce projet de loi est, de ce point de vue, très clair, il s'agit d'accroître au maximum la productivité en optimisant les capacités des plateformes aéroportuaires. Autrement dit, cela signifie un accroissement des flux et des mouvements, jusque-là encore réglementés, et la mise en concurrence des principaux aéroports du territoire national avec des pressions encore accrues des compagnies low cost.

En réalité, je crains que cet accroissement du trafic ne puisse se faire qu'au détriment de la qualité du service public et de la sécurité des usagers et des populations riveraines.

Je crains aussi que cela ne puisse se faire qu'au prix d'un accroissement des nuisances environnementales et notamment des nuisances sonores. Le développement du trafic aérien des aéroports d'Orly et de Roissy, mais aussi de nombreux aéroports et aérodromes régionaux soumettra de plus en plus de zones urbanisées aux nocivités aéroportuaires.

Mes collègues Hélène Luc et Robert Hue, particulièrement concernés, dans leurs circonscriptions, par ce problème essentiel qui concerne des milliers de citoyens, auront l'occasion d'y revenir au cours de leur intervention.

Avec les difficultés qu'a connues l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME, il faudra bien apporter, monsieur le ministre, des moyens financiers nouveaux pour répondre aux besoins d'insonorisation des logements dans les zones soumises aux nuisances sonores, d'autant que ces zones risquent de s'étendre, mais vous me démentirez sans doute.

Finalement, le changement du régime de propriété foncière et le passage de la domanialité publique à la domanialité privée soulèvent de graves questions, dont plusieurs ont été déjà évoquées et seront développées au cours de la discussion des articles.

Je me contenterai d'insister plus particulièrement sur la question de la valorisation à tout prix des terrains faisant partie des zones aéroportuaires.

Des projets de création de complexes commerciaux, comme à Roissy - Charles de Gaulle, sont à l'ordre du jour. Certes, leur réalisation permettrait sûrement d'accroître les recettes commerciales - celles-ci représentaient, en 2003, plus de 14 % des recettes d'ADP - mais elle risquerait de renforcer les difficultés d'accès aux aéroports par la route ou par le rail.

En bref, les enjeux économiques et financiers liés à l'exploitation de la zone aéroportuaire sont énormes, notamment pour les villes situées dans les zones environnantes.

En effet, avec ce projet de loi, on risque d'assister non seulement à un fractionnement de l'espace national par la mise en concurrence des régions et, en l'occurrence, par la mise en concurrence des aéroports comme moyens d'attractivité territoriale, mais aussi à la mise en concurrence des villes au sein même des zones aéroportuaires par l'instauration des zones à exonérations fiscales et abattements de toutes sortes, qui sont autant de pertes de ressources pour les collectivités locales.

Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous ne pouvons que nous opposer à un tel projet de privatisation, qui fragilisera la santé économique et financière de l'actuel établissement public, remettra en cause l'ensemble des missions de service public aéroportuaires et tirera vers le bas l'ensemble des droits des salariés.

Les craintes exprimées par le président d'une grande compagnie aérienne comme Air France à l'égard de mesures très défavorable à cette compagnie, comme la possible remise en cause de son hub de Roissy, sont tout a fait justifiées par certaines dispositions de ce texte.

C'est une grande entreprise chargée de missions de service public qui va peut-être connaître des difficultés, alors que, jusqu'à maintenant, elle avait bien résisté à la crise du secteur aérien.

Monsieur le ministre, nous avions su nous doter d'un véritable outil industriel, par le biais d'établissements qui furent conçus, jusque dans leur statut même, pour répondre aux exigences de développement économique et social de la nation et à l'aménagement de notre territoire.

Par le biais des missions de service public, ces établissements constituèrent de formidables instruments correcteurs des inégalités sociales et territoriales, au coeur même de la problématique républicaine.

Pour ces mêmes raisons, on était allé jusqu'à exclure la possibilité que ces établissements soient mis en faillite. Qu'en sera-t-il demain, quand ces établissements seront abandonnés aux logiques purement marchandes ?

L'Etat, en cas de faillite devra-t-il intervenir comme « sauveur en dernier ressort », comme cela s'est vu en Grande-Bretagne dans ce secteur ?

Devra-t-il racheter les propriétés immobilières et foncières qu'il aura cédées à une société anonyme ?

Face à de telles craintes, le groupe communiste républicain et citoyen s'oppose à ce projet de loi et mes collègues et amis Hélène Luc et Robert Hue défendront tout à l'heure des motions tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité ainsi que la question préalable, significatives de notre détermination à préserver les services publics aéroportuaires, ainsi que les services publics du transport aérien.

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