Intervention de Jean Desessard

Réunion du 9 novembre 2004 à 10h00
Aéroports — Discussion d'un projet de loi

Photo de Jean DesessardJean Desessard :

Dans l'hypothèse où ADP deviendrait une société anonyme, il ne serait pas incongru d'envisager de lui attribuer une licence d'exploitation et de permettre ainsi à l'Etat de rester propriétaire des terrains.

Quelle est la genèse de cette étrange proposition ? Tout découle du fait que l'Etat a demandé au président d'ADP d'établir lui-même un plan de changement de statut. Le texte du projet ayant été conçu par le président d'ADP, il est clair que celui-ci ne s'est rien refusé et qu'il a préféré un transfert de propriété au profit de la future société anonyme.

Quelle en est la nécessité ? A très court terme, si l'on part du principe qu'il a été envisagé d'ouvrir en priorité le capital à des collectivités territoriales comme la région d'Ile-de-France ou les départements franciliens, ainsi qu'aux compagnies aériennes utilisatrices, il semble évident que ce n'est pas le transfert du foncier qui motivera leur décision.

En revanche, si l'on envisage effectivement de faire appel à des sociétés privées capitalistiques, on comprend parfaitement quel serait pour elles l'intérêt d'un transfert du foncier à la nouvelle société anonyme.

Nous ne comprenons pas que l'Etat, responsable de l'aménagement du territoire, garant des missions de service public et du statut du personnel, se mette dans une position aussi périlleuse. En cas de situation économique difficile, M. Reiner l'a parfaitement démontré, l'Etat peut se trouver brusquement minoritaire ! Or il a une seule et unique garantie de garder le contrôle de cette infrastructure, c'est de conserver la propriété du foncier.

Dans la mesure où nous sommes déjà opposés au changement de statut, la perte du foncier nous semble encore plus inquiétante pour la mission de service public.

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les différents arguments qui sont avancés pour justifier le changement de statut d'ADP ne nous ont pas convaincus.

Un seul mérite notre attention : donner la possibilité à une entreprise qui a un grand savoir-faire et des compétences reconnues, de pouvoir les exercer de façon diversifiée et à l'échelon international, puisque l'on sait très bien que ces compétences ne peuvent s'exercer de façon régulière et permanente sur les seuls aéroports franciliens. Mais, pour cela, comme nous vous l'avons dit, nous aurions préféré un amendement au projet de loi qui prévoie le statut d'établissement public à vocation économique.

Cependant, ce projet de loi souffre, aux yeux des Verts, d'une grande faille, puisque ses auteurs semblent considérer qu'ADP n'a de responsabilité que par rapport au développement de son activité aéroportuaire.

Je ne reviendrai pas sur les missions de service public qu'exerce un aéroport, M. Reiner les a clairement expliquées. J'insisterai sur trois points.

Premièrement, il n'est pas possible de concevoir l'activité d'un aéroport sous le seul angle de son efficacité commerciale. S'il doit, à l'évidence, répondre au besoin premier d'un transport des passagers et des marchandises facilité, le trafic doit être conçu en fonction des objectifs politiques de l'aménagement du territoire, ce qui signifie que le rôle de l'Etat est essentiel !

Deuxièmement, nous devons trouver l'équilibre entre ce qui doit obligatoirement relever du trafic aérien et ce qui peut être effectivement traité par d'autres moyens de transport plus écologiques et moins coûteux, en particulier le chemin de fer. C'est à l'Etat qu'il incombe de ne pas multiplier les liaisons aériennes et d'éviter de vaines concurrences entre le rail et l'avion. La recherche de la rentabilité maximum peut conduire, sous prétexte de bonne gestion, à multiplier les offres aériennes au détriment d'autres moyens de transport plus écologiques et bien souvent plus rationnels !

Troisièmement, dans le cadre de l'aménagement du territoire, il convient que l'Etat décide de la répartition du trafic entre les grands aéroports nationaux. S'engager dans une politique d'amplification du trafic à Roissy peut nuire à la mise en place de lignes internationales sur les grands aéroports régionaux. Mettre les différents aéroports en situation de concurrence, au lieu de choisir la voie d'un aménagement concerté, multiplie les nuisances aériennes pour les riverains de Roissy et d'Orly. Souhaitons-nous que la rentabilité économique d'ADP amène les aéroports à accueillir toujours plus de trafic, au détriment des populations riveraines d'Ile-de-France, comme c'est le cas dans les départements du Val-d'Oise, de la Seine-Saint-Denis, de la Seine-et-Marne, du Val-de-Marne, de l'Essonne ?

Un autre argument est avancé : Roissy devrait être compétitif par rapport aux autres grands aéroports d'Europe.

Cela m'amène à faire deux réflexions.

Tout d'abord, vouloir augmenter le trafic d'un aéroport parisien et assumer à ce titre la compétition avec d'autres, c'est peut-être rentable à court terme pour l'aéroport, mais cela promet, à long terme, de multiples nuisances pour la collectivité. Cela nécessitera de nouvelles infrastructures routières et de nouveaux aménagements collatéraux qui coûteront cher et qui porteront atteinte à l'environnement et à la qualité de vie. En outre, ces aménagements ne rentreront pas directement dans le calcul du prix du transport aérien. Pourra-t-on, alors, parler de rentabilité pour la collectivité ?

Ensuite, nous pouvons penser que l'aménagement du territoire ne se limite pas à une concertation à l'échelon national, mais concerne également le Parlement européen et la Commission européenne.

Les instances européennes se doivent d'élaborer un schéma directeur aéronautique et aéroportuaire à l'échelle de l'Europe dans son ensemble. L'Europe doit se construire avec une volonté politique commune, en particulier dans le domaine de l'aménagement des territoires entre les grandes métropoles européennes.

Vous l'aurez compris, la transformation d'ADP et des aéroports régionaux en SA nous inquiète, car, si le seul critère valable reste le développement économique de chaque structure indépendamment de ses responsabilités vis-à-vis de la collectivité, nous aboutirons à une concurrence qui sera fatale au développement harmonieux du territoire. Certaines collectivités ne pourront plus financer leurs infrastructures, d'autant qu'il n'est pas tenu compte, dans les prévisions, de l'augmentation inéluctable du prix du baril de pétrole.

Pour toutes ces raisons, les Verts sont opposés au changement de statut d'ADP.

Enfin, pour conclure cette première prise de parole devant la Haute Assemblée, je souhaite féliciter les membres de la commission des affaires économiques, son président et son rapporteur, pour l'excellent climat qui a présidé à nos travaux.

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