Intervention de Hélène Luc

Réunion du 9 novembre 2004 à 10h00
Aéroports — Exception d'irrecevabilité

Photo de Hélène LucHélène Luc :

Ce n'est pas ainsi que nous concevons le rôle d'ADP.

Le président d'ADP entend valoriser, je le cite, « des activités périphériques comme le commerce et l'immobilier aéroportuaire ».

Monsieur le ministre, est-ce là l'emploi qui sera fait du domaine public ? L'avenir d'ADP doit-il être incarné par le commerce et l'immobilier ?

Ce serait déjà, en soi, tout un programme !

Il me semblait pourtant que la mission d'ADP était de gérer, dans un but d'intérêt général, l'ensemble des aéroports et aérodromes ouverts à la navigation aérienne civile et situés dans un rayon de cinquante kilomètres autour de Paris.

Qu'il s'agisse de spéculation immobilière ou de spéculation commerciale, où est l'intérêt général ?

Le groupe communiste républicain et citoyen considère que cette conception purement commerciale est incompatible avec la domanialité et le service publics. L'Etat doit rester le garant d'une utilisation strictement légale de sa propriété et du respect rigoureux de l'intérêt général.

Par conséquent, c'est la notion même de propriété qui constitue la base de cette motion d'irrecevabilité.

L'inviolabilité de la propriété est consacrée précisément dans le préambule de la Constitution. Ce dernier se réfère à l'article XVII de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789 : « La propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige évidemment, et sous la condition d'une juste et préalable indemnité. »

La décision du 21 juillet 1994 du Conseil constitutionnel vient préciser cette notion de propriété et étendre son champ à la propriété publique. Ce sont particulièrement les deuxième et troisième considérants qui sont ici importants.

Conformément au second considérant, « le législateur, lorsqu'il modifie les dispositions relatives au domaine public », ne doit pas « priver de garanties légales les exigences constitutionnelles qui résultent de l'existence et de la continuité des services publics auxquels il est affecté ».

Le troisième considérant précise, lui, que les dispositions de l'article XVII « ne concernent pas seulement la propriété privée des particuliers mais aussi, à un titre égal, la propriété de l'Etat et des autres personnes publiques ».

Maintenant, si l'on s'attache au seul texte du projet de loi, il est flagrant de remarquer l'absence de disposition envisageant la possibilité pour l'Etat de reprendre la propriété d'infrastructures indispensables pour assurer la bonne marche du service public.

Or cela peut se révéler nécessaire, notamment dans l'hypothèse d'un manquement flagrant à ses obligations par l'exploitant ou encore dans l'hypothèse de difficultés économiques sérieuses, que les actionnaires privés refuseraient de supporter.

Pour aller encore plus loin, la modification du statut d'ADP pourrait également jouer sur les principes de fonctionnement du service public eux-mêmes.

Un dernier argument vient motiver notre exception d'irrecevabilité. Il se rapporte à deux des lois de Roland définissant les règles prétoriennes du fonctionnement des services publics, à savoir l'égalité et la continuité de ces derniers.

Comme c'est déjà le cas avec la loi relative aux libertés et responsabilités locales, le principe d'égalité sera mis à mal avec le présent projet de loi, notamment en raison des redevances et taxes aéronautiques.

De fait, leur augmentation substantielle aura de graves conséquences, et ce de manière inégalitaire sur le territoire, d'une part, sur les usagers directs des aéroports, au premier rang desquels les compagnies aériennes, et, d'autre part, sur les usagers indirects, tels que les clients du transport aérien.

Le principe d'égalité est un corollaire du principe général d'égalité devant la loi, principe à valeur constitutionnelle inscrit dans la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen de 1789.

Le principe d'égalité des usagers des services publics en matière de tarification lui est lié. Cette notion a été circonscrite dans une décision du Conseil constitutionnel du 12 juillet 1979 et dans plusieurs arrêts du Conseil d'Etat, dont le célèbre arrêt Denoyez et Chorques du 10 mai 1974, bien connu des étudiants en droit.

Ce dernier arrêt prévoit justement la possibilité d'ajustements dans la fixation des tarifs, sous certaines conditions. Il s'agit notamment de l'existence, entre les usagers, de différences de situation appréciables ou imposées par un intérêt général.

Or, en l'espèce, il n'existe aucun impératif d'intérêt général dans l'augmentation des taxes. Celle-ci résulte simplement d'un impératif à visée purement et uniquement financière.

En matière de continuité, la mise en cause globale d'un service public essentiel pour le développement de notre pays, notamment pour un aménagement du territoire harmonieux, aura pour inévitable conséquence de mettre à mal ce principe à valeur constitutionnelle.

Dans tous les cas de figure, c'est la mission même de service public qui pâtira de ce projet de loi.

Dans ces conditions, vouloir déposséder la nation sans avoir la compétence de cette initiative et sans prévoir de garde-fous nous paraît contraire à la Constitution.

C'est la raison pour laquelle nous jugeons ce projet de loi irrecevable.

Souvenons-nous, mes chers collègues, de notre regretté Maurice Schumann, ou de l'amiral de Gaulle, qui ne siège plus parmi nous : ils savaient évoquer la qualité et l'intérêt du service public. Les malheureux accidents ferroviaires survenus à plusieurs reprises depuis la privatisation du rail britannique viennent nous rappeler son importance.

Les salariés, les usagers, savent, comme nous, qu'ADP a été créé - il est bon de le rappeler - le 25 octobre 1945, sous le gouvernement provisoire de la République française, par une ordonnance qu'ont signée le général de Gaulle, Charles Tillon, ministre de l'air, Alexandre Parodi, ministre du travail et de la sécurité sociale, René Pleven, ministre de l'économie nationale et des finances, Raoul Dautry, ministre de la reconstruction et de l'urbanisme, et Eugène Thomas, ministre des PTT. C'est dire si la création d'ADP avait un caractère rigoureusement public et constitutionnel.

Puissiez-vous, chers collègues qui vous réclamez de cette période, avoir le courage d'être fidèles à ces décisions prises à un moment crucial de l'histoire de notre pays au regard de son développement économique futur.

Aujourd'hui même, nous allons commémorer la séance inaugurale de l'Assemblée consultative provisoire. C'est tout à fait symbolique.

Pour toutes ces raisons, je vous appelle à voter notre motion d'irrecevabilité, qui, vous l'avez compris, se justifie amplement.

Ce serait une manière responsable, monsieur le rapporteur, d'ouvrir le débat que vous-même appelez de vos voeux. Je considère qu'il ne fait que s'ouvrir. Il est loin d'être clos. Car je ne crois pas qu'il sera terminé au terme de cette première lecture, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale.

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