Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous proposons par cette motion de renvoyer le projet de loi qui nous est soumis aujourd'hui devant la commission des affaires économiques et du plan. A nos yeux, trois raisons justifient ce renvoi, raisons que vous me permettrez de détailler en m'en tenant à la forme puisque, en ce qui concerne le fond, j'ai eu l'occasion de donner mon sentiment lors de la discussion générale.
Tout d'abord, ce texte n'a pas, selon nous, fait l'objet d'une concertation suffisante : seul le Président d'ADP- cela a déjà été souligné - a été auditionné par la commission. Nous n'avons pas, à notre grand regret, entendu M. le ministre sur le sujet.
De plus, il semblerait que le Gouvernement n'ait pas jugé utile de consulter de manière approfondie les transporteurs aériens dans la phase de rédaction de son texte. Les représentants de la Fédération nationale de l'aviation marchande l'ont d'ailleurs sérieusement déploré lors de la dernière réunion du Conseil supérieur de l'aviation marchande : monsieur le rapporteur, pour y avoir assisté tout comme moi, vous avez entendu ces propos qui étaient fort sévères. Ne pas associer les transporteurs aériens à un texte d'une telle importance pose véritablement un problème.
Ensuite, ce texte législatif, somme toute assez court, ne peut que nous choquer, nous parlementaires, indépendamment des travées sur lesquelles nous siégeons, dans la mesure où il ouvre une trop large voie à l'exercice du pouvoir réglementaire. Il prévoit de trop nombreux décrets en Conseil d'Etat : au moins sept, plus quelques décrets simples, soit quasiment un par article. Et aucun projet de décret, il faut le dire à la représentation nationale, n'a été porté à la connaissance des membres de la commission.
Or ces décrets ne sont pas de simples modalités techniques d'application : ils vont, de fait, régir l'organisation de tout le système aéroportuaire français. Et cette réorganisation devait être opérée, avez-vous dit, dans la mesure où elle n'avait pas eu lieu depuis 1945.
Ces décrets vont ainsi fixer la liste des biens du domaine public des aéroports qui sont nécessaires à l'exercice des missions de service public et qui ne seront pas déclassés, ce qui signifie en clair que l'élaboration de cette liste nous échappera. Cette question de la nature publique ou privée des biens est essentielle. En effet, s'agissant des biens déclassés, on sait pertinemment que les actionnaires privés auront une tendance, fâcheuse à nos yeux, à les valoriser sous la forme la plus rentable possible, en privilégiant sans doute les activités commerciales au détriment d'activités liées à la seule navigation aérienne. Or, à notre sens, la navigation aérienne doit rester la priorité de la future société.
Ces décrets fixeront également : les statuts initiaux de la société Aéroports de Paris, dont nous n'avons aucune connaissance ; la liste des aérodromes de la région d'Ile de France concernés par le changement de statut ; la liste des grands aéroports régionaux actuellement gérés par des chambres de commerce et d'industrie, CCI, et qui pourront changer de statut - certes, une liste circule, mais je note qu'un journal du soir évoque l'éventualité d'un aéroport supplémentaire, ce qui prouve qu'elle n'est pas définitivement arrêtée.
Ils fixeront aussi les conditions de détermination des bases annuelles des redevances aéroportuaires, en l'absence de contrats entre l'Etat et les sociétés gestionnaires, ainsi que les modalités d'application des redevances aéroportuaires et le seuil de trafic des aéroports sur lesquels seront exercées des activités d'assistance en escale.
Cette deuxième raison de demander le renvoi à la commission nous semble essentielle puisque les parlementaires se trouvent par là privés, en quelque sorte, d'une part de leurs pouvoirs législatifs.
Enfin, l'article 6, qui renvoie toute la gestion du système aéroportuaire parisien à un cahier des charges dont nous n'avons pas la moindre idée et qui sera approuvé par décret en Conseil d'Etat, nous semble à lui seul nécessiter une nouvelle étude ou à tout le moins le renvoi du texte en commission.
Le président de la commission des affaires économiques a d'ailleurs déclaré, le 13 octobre dernier, lors de la réunion de la commission, qu'il était indispensable que celle-ci obtienne quelques précisions sur le cahier des charges - le rapporteur nous a d'ailleurs indiqué qu'il ferait quelques efforts en ce sens, efforts qui, semble-t-il, n'ont pas abouti - dans la mesure où il ne pouvait être envisagé d'approuver des dispositions qui renvoyaient très largement audit cahier des charges.
Ainsi, ce cahier des charges organise la gestion des services publics par ADP : la police administrative - pour la prévention du péril aviaire, la lutte contre les incendies d'aéronefs par exemple -, ainsi que la répartition des transporteurs entre les aérodromes et les différentes aérogares. Il organise aussi la participation éventuelle aux services de navigation aérienne exercés par l'Etat, le contrôle technique, administratif et financier de l'Etat, le contrôle des contrats confiés par ADP à des tiers sur des missions de service public et le droit pour l'Etat de s'opposer à la cession de terrains ou d'ouvrages liés à des missions de service public.
Comment imaginer débattre de ce texte sans avoir au moins examiné en commission un avant-projet de ce cahier des charges ?
Je ne veux pas être plus royaliste que le roi, mais je remarque que, dans son rapport au nom de la commission des finances, M. le rapporteur pour avis a fait part de son dépit, notant que la rédaction de l'article 6 laissait dans l'ombre de nombreux points qui sont de fait renvoyés au cahier des charges. Il a regretté en particulier que des éléments aussi cruciaux que le principe de non-discrimination ou que la définition des obligations de service public ne soient pas inscrits formellement dans la loi.
Il s'est de plus inquiété que plusieurs logiques puissent s'affronter en ce qui concerne les biens transférés à ADP qui, en effet, peut être tenté de rentabiliser au mieux son patrimoine, ce qui est cohérent pour une société anonyme, mais est susceptible à terme d'entrer en conflit avec la mission de service public.
Il importe donc d'identifier très clairement dans le texte de loi les éléments qui devront impérativement figurer dans le cahier des charges et être le cas échéant portés à l'appréciation du juge. Je sais qu'un amendement relatif à l'article 6 apportera quelques précisions, mais pas toutes celles que nous avions souhaitées.
Nous nous interrogeons par ailleurs sur la précipitation du Gouvernement, précipitation que M. le rapporteur reconnaît puisqu'il nous proposera tout à l'heure un amendement en vue de repousser l'entrée en vigueur des dispositions relatives à ADP, les décrets d'application ne pouvant à l'évidence être prêts pour le 1er janvier prochain.
J'espère, mes chers collègues, par ces arguments raisonnables, qui portent essentiellement sur la forme puisqu'il s'agit d'une motion de renvoi, vous avoir montré que, compte tenu de l'importance du sujet, qui n'avait quasiment pas été évoqué depuis 1945, et qui pose à l'évidence de nombreuses questions en terme de sécurité, de sûreté, de protection de l'environnement, le Sénat devrait se donner les moyens d'élaborer un bon texte, d'en mesurer toutes les conséquences, sans nécessairement signer un chèque en blanc au Gouvernement.