Intervention de Jean-Pierre Michel

Réunion du 18 octobre 2011 à 15h00
Contentieux et procédures juridictionnelles — Discussion en nouvelle lecture d'un projet de loi dans le texte de la commission

Photo de Jean-Pierre MichelJean-Pierre Michel :

Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, le 14 avril dernier, je dénonçais déjà le recours à la procédure accélérée sur ce sujet particulièrement technique.

Permettez-moi aujourd'hui de rappeler quelques dates. Après avoir décidé d’engager la procédure accélérée sur ce projet de loi, déposé sur le bureau du Sénat le 3 mars 2010 – peut-être sera-t-il promulgué deux ans après ? –, le Gouvernement ne l’a inscrit à l’ordre du jour de la Haute Assemblée qu’un an plus tard.

Ensuite, il a fallu attendre près de trois mois supplémentaires pour que l’Assemblée nationale s’en saisisse et y introduise une série de dispositions, lesquelles ont triplé le volume du texte. Deux jours après, en commission mixte paritaire, le Sénat a été mis devant le fait accompli. Mais comme le Sénat n’aime pas cela, ce que vous, monsieur le garde des sceaux, devez comprendre, il a fait échouer la CMP.

Le texte nous est aujourd'hui soumis en nouvelle lecture. Il ne faut donc pas se plaindre, comme j’ai entendu certains de nos collègues le faire en commission des lois ce matin, que nous revenions aujourd'hui sur des dispositions ayant été adoptées. C’est une nouvelle lecture : on peut donc tout supprimer, tout modifier.

Voilà où nous en sommes. À qui la faute, monsieur le garde des sceaux ?

Je me contenterai aujourd'hui d’aborder deux sujets.

En première lecture, nous avions voté contre le texte pour plusieurs raisons, notamment celles qui ont été évoquées par mon collègue et ami, M. Jacques Mézard. Notre opposition portait sur deux points de la procédure pénale : la disparition du procès contradictoire et l’extension de la compétence du parquet.

En effet, sous couvert de simplification, votre texte prévoit deux mesures totalement inacceptables de notre point de vue : l’extension du champ de l’ordonnance pénale et celle du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité.

Il est vrai que, avec l’ordonnance pénale, les choses vont plus vite. Le justiciable est condamné sans avoir comparu. Il reçoit par La Poste un courrier, au dos duquel il est écrit – en tout petit ! – qu’il peut faire opposition, mais il ne sait évidemment pas ce que cela signifie. Il ne fait donc pas opposition et se voit condamné. Voilà exactement comment cela se passe !

Je suppose, mes chers collègues, notamment vous qui siégez à la commission des lois ou qui êtes juristes ou avocats, que vous devez recevoir dans vos permanences un grand nombre de gens étonnés d’avoir été condamnés et d’avoir à payer une amende sans jamais, disent-ils, en avoir été avertis. Or ils ont bien été prévenus, mais ils n’ont malheureusement pas bien lu le courrier qu’ils ont reçu.

Pour toutes ces raisons, nous pensons que l’audience contradictoire – un juge, des justiciables et, éventuellement, des avocats – est la seule façon de juger. Tout autre système est pervers. Le genre de procédure accélérée que vous nous proposez, monsieur le garde des sceaux, ne vise qu’à rationaliser les moyens, à pallier le manque de magistrats et de greffiers et à aller plus vite.

Plus grave encore est l’extension de la procédure de comparution sur reconnaissance préalable de culpabilité. On a beaucoup glosé, au moment où elle a été introduite, sur cette innovation procédurale, qui n’est pas dans notre tradition. Dans notre tradition, monsieur le garde des sceaux, c’est le juge qui juge, et non le procureur !

Si l’article que vous proposez est finalement voté et si l’Assemblée nationale a le malheur de vous suivre, monsieur le garde des sceaux – je dis bien « le malheur » ! –, les procureurs de la République, qui ne sont pas des juges, comme l’arrêt Moulin l’a encore redit fortement – jugeront à peu près 60 % du contentieux pénal.

Et ne me dites pas, monsieur le rapporteur, que le juge pourra ensuite contester. Ce dernier, compte tenu de la masse des affaires que lui transmettra le procureur, ne fera qu’apposer sa signature au bas d’un document. C’est tout juste s’il n’utilisera pas un tampon ! Voilà exactement comment cela va se passer.

Cette disposition est absolument inacceptable et justifie, aujourd'hui encore, notre opposition à ce texte.

Nous acceptons d’autant plus mal l’extension du champ de la procédure de comparution sur reconnaissance de culpabilité que, aujourd’hui – grâce à vous, monsieur le garde des sceaux ! –, le statut des membres du parquet est au cœur de l’actualité.

Il est au cœur des discussions sur toutes les travées depuis la réforme de la garde à vue. Mon collègue Jean-René Lecerf et moi-même avons rédigé un rapport sur la réforme de la procédure pénale, dans lequel nous indiquions ce qui nous paraissait acceptable pour l’avant-projet de loi, lequel, au demeurant, est resté dans les cartons.

Nous y indiquions clairement que nous n’étions pas défavorables à la suppression du juge d’instruction, mais que, au préalable, nous souhaitions une modification des conditions statutaires des membres du parquet, en termes tant de nomination que de discipline. Nous ne parlions pas de l’indépendance fonctionnelle du parquet.

Aujourd’hui, la question se pose de nouveau, d’autant plus, monsieur le garde des sceaux, que, si l’on en croit la presse – je ne suis pas membre de votre cabinet, fort heureusement, d’ailleurs –, vous proposez la nomination de votre directeur de cabinet au poste de procureur de la République de Paris. Bien entendu, votre directeur de cabinet n’est nullement en cause en tant que personne. Vous aviez déjà proposé sa nomination au poste de procureur général à Lyon, ce qui était tout de même un peu gros ! Le Conseil supérieur de la magistrature l’ayant refusée, vous lui proposez aujourd'hui de le nommer à Paris.

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